Citation :

Origins _ If you don't know where you come from, how will you ever know where you go ?
Comment raconter son histoire quand celle-ci est si dense, qu’elle en devient oppressante ? Vraiment, j’aimerais pouvoir trouver un fil conducteur, une vraie chronologie de ma vie pour pouvoir vous la relater, mais à chaque fois, un chaos indescriptible s’installe dans ma tête. Je ne sais pas exactement où commence cette histoire… Les générations de sorcière dont descendait ma mère ? Le départ brusqué d’Albanie de ma grand-mère ? Ou simplement ma naissance ? Déjà, vous vous demandez sûrement comment moi, jeune femme aux origines et au métissage improbable, je puisse être citoyenne américaine ? Tout simplement parce que je suis née au Texas, à quelques kilomètres à peine de la frontière. Oui, je suis de ces enfants bercés entre deux pays, à qui on a offert la chance de vivre le rêve américain au péril de sa vie. Heureusement, mes parents n’y ont pas perdu la leur. Tous deux formaient un couple vraiment redoutable, puisque ma mère venait d’une longue lignée de sorcières, et mon père était un chasseur de créatures surnaturelles, un savoir qui se transmettait depuis des siècles dans sa famille. Ils sont venus s’installer en Amérique quelques mois avant la naissance de ma sœur, trois ans avant la mienne.

Maintenant vous avez un aperçu général de ma situation. Mais pour tout comprendre de moi, il faut maintenant plonger au cœur d’un arbre généalogique pour le moins original.
Ma mère, Alvira Nuñez Galvez est une Mexicaine de pure souche, dont la famille réside depuis toujours à Reynosa, juste à la frontière du Texas. Grande ville assez industrielle et à forte croissance économique, Reynosa n’est pourtant pas une ville que je conseillerais d’habiter. Due à sa location, elle est la destination préférée de tous les migrants et des cartels de drogue trafiquant avec l’Amérique. C’est donc dans ce cadre charmant qu’est née ma mère. Mais du fait de leur réputation mystérieuse et assez effrayante, ma famille là-bas se fait largement respecter. Les Mexicains, fervents croyants et superstitieux de première ne veulent pas s’attirer de problème avec ma bruja de famille. Ma mère y a appris la pratique de la magie et y était particulièrement douée, et c’est d’ailleurs grâce à son savoir ésotérique qu’elle a fait la rencontre de mon père. Mon père, métisse mexicain-albanais, et toute la famille Saldaña en général est une branche assez sombre de mon histoire. A les voir la première fois, on se croirait au milieu d’une bande de mafieux ou alors de membres d’un cartel, alors qu’en fait, ce sont des chasseurs de CESS. Bon, même cette dernière option n’est pas rassurante. Ils seraient arrivés avec les Conquistadors au Mexique, cherchant à fuir ce qu’ils appelaient les monstres de Satan, ces créatures inhumaines qui faisaient rage. Au fil du temps, ils se sont préparés au jour où ces créatures débarqueraient au Mexique, et c’est ainsi qu’a commencé la transmission du savoir de cette lignée de chasseurs. Les temps ont bien évidemment changé, la chasse est devenue plus une conviction plutôt qu’une défense, et c’est par besoin de sang que je soupçonne ma famille de continuer leur quête de domination de l’humain. Avec l’évolution, les Saldaña ont également développé de nouvelles techniques et un système solide d’entraînement, que j’ai subi dès mon plus jeune âge. Nous sommes une organisation familiale en gros.
C’est quand les Saldaña se sont basés à la frontière américaine pour chasser les vampires Américains qui viennent se nourrir en masse au Mexique qu’ils ont rencontré la famille de ma mère. Chasseurs et sorciers ont formé une alliance, les premiers pour puiser des ressources magiques, les seconds pour bénéficier d’une meilleure protection. C’est grâce à cette alliance que mes parents ont fini par se rencontrer, mon père cherchant des remèdes de guérisons que ma mère savait préparer à la perfection. Je vous épargne toute la romance mièvre qui s’en suit.

Event 1 _ Life's a game, but it's not fair. I break the rules, so I don't care

McAllen, Texas. Juin 2009.
Perchée, rêvant de toutes les contrées que je n’avais pas encore explorées, je ne la vis pas entrer. Ce ne fut qu’au dernier moment que je l’aperçus, alors qu’elle se tenait devant moi, les bras fermement croisés et le regard dur. Voilà un moment que je ne l’avais pas vue, et ça m’allait très bien comme ça. Je jetai un regard derrière moi, vers mon patron, qui fit semblant de ne pas nous remarquer, me laissant ainsi le champ libre. Je me redressai alors, lui faisant face moi aussi avec toute la fierté dont j’étais capable, et enchaînai sur un ton sec. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Elle ne tiqua même pas et répondit aussitôt : « Toujours aussi chaleureuse à ce que je vois. » « Tu ne mérites pas que je t’accueille avec chaleur… » Elle esquissa un petit sourire et finalement s’installa au bar. « Je ne pensais pas qu’un jour ma petite sœur me jetterait ainsi. » Et voilà qu’elle remettait ça ! Elle avait ce don pour faire culpabiliser les gens, et elle savait plus que quiconque que les relations familiales étaient ma plus grande faiblesse. Et pour cause, depuis que notre mère nous avait quittés, j’ai fui mon père et son incessante tyrannie. Je revoyais ma sœur parfois, lorsque je rendais visite à ma grand-mère à Reynosa, mais jamais volontairement. Alors qu’elle vienne sur mon lieu de travail, pendant mon service, m’étonnait fortement. « Eh bien, puisque tu ne veux pas m’accueillir comme ta sœur, accueille moi comme une cliente. Une margarita s’il-te-plaît Juanita. » Il me fallut quelques secondes pour réagir, et ravalant toute réplique cinglante, je lui préparai alors son cocktail. D’un coup sec, je déposai son verre devant elle. « Pour l’amour de Dieu Gracia, qu’est-ce que tu me veux ? » Gracia prit le temps d’avaler une gorgée, puis elle haussa les épaules et lança avec nonchalance : « Je pars m’installer à La Nouvelle Orléans. » Son annonce m’estomaqua. Je ne pensais pas qu’un jour ma grande sœur quitterait un jour la demeure familiale où elle semblait se sentir si bien. « Qu’est-ce qu’il en pense ? » demandai-je immédiatement. Nul besoin de précision, nous savions toutes les deux que je parlais de notre père. Il avait très mal vécu le fait que je ne retourne pas avec ma sœur et lui au Mexique, et surtout, que je refuse de continuer ce pour quoi j’avais été formée : la chasses aux CESS. Combien de fois il m’avait rabâché que j’étais indigne de porter son nom maintenant que je tournai le dos au destin familial ? J’avais arrêté de compter. Surtout quand ma sœur s’y était mise aussi… « Il approuve. » J’essayais tant bien que mal de reprendre contenance, mais je devais avouer que jamais ma famille ne m’avait autant étonnée. « La Nouvelle Orléans, c’est le nouveau repère des surnats. On dirait qu’ils s’y sont tous massés. Je vais aller chasser du sang de sudiste un peu. » Voilà donc le fin mot de l’histoire. Evidemment que c’était pour le « travail » ! « Hmmm. » marmonnai-je. Gracia descendit son verre d’un trait et le posa d’un coup sec. « Tu peux venir avec moi si tu veux. » Là, elle entrait carrément dans le domaine de l’étrange. « Tu connais déjà ma réponse. » Je ne comprenais même pas pourquoi elle me le proposait. J’avais arrêté de chasser, j’avais arrêté de les fréquenter, j’avais recommencé ma vie, fui le destin qu’on voulait pour moi, et je tenais à mes choix coûte que coûte. « Han Juanita bon sang ! Arrête un peu tes chichis de pseudo rebelle. Tu es faite pour botter le cul des CESS, pas pour aider des immigrés à passer la frontière ! Souviens-toi comme on formait une bonne équipe ! » Je ne dis rien, pris son verre et le lavai. J’avais beau prétendre être hermétique à toutes ces tentatives, mais au fond, quelque chose me poussait à me jeter dessus comme un naufragé sur sa bouée de sauvetage. Et dans ma tête résonnait infiniment les mots de mon père « L’instinct du tueur. » Selon lui, c’était le salut du bon chasseur. Ceux qui se lançaient dans le métier sans l’instinct pouvaient toujours aller se faire sucer la moelle par un lycan, ils ne s’en sortiraient pas vivants. « Va-t’en. Je veux plus te voir. Je suis très bien où je suis, avec ce que je fais. J’ai pas besoin de bousiller ma vie à en finir avec celle des autres. » « Les vampires sont morts déjà. » « Les garous, non ! » répliquai-je du tac au tac. « Han encore avec tes foutus principes bidon… » « Bon merde à la fin, c’en est trop ! Je t’ai dit de t’en aller et tu vas le faire maintenant ! » Cette conversation, on l’avait déjà eu des centaines de fois, et j’en étais lasse. Toujours les mêmes arguments, toujours la même rengaine, un bourdonnement incessant dans mes oreilles. Sans demander mon reste, je me tournai et cherchai quelque de plus captivant à faire que d’écouter ma sœur me servir sa morale. Après un moment d’attente, j’entendis la porte du bar claquer. Ce fut la dernière fois que je vis ma sœur.


McAllen, Texas. Mai 2011.
Putain de téléphone à la con. Il était deux heures du matin, et j’émergeai difficilement, réveillée par l’agréable sonnerie antédiluvienne du poste fixe de mon appartement. Owen qui dormait à mes côtés grogna un moment, mais se rendormit aussitôt, emporté par le sommeil lourd des humains insouciants. Ah sacré Owen. Il ne savait pas ce que c’était que d’avoir une vie compliquée lui. D’une voix encore ensommeillée et donc peu aimable, je répondis au téléphone. Une voix sortie d’outre-tombe, que je ne pensais pas réentendre de sitôt me répondit. « Juanita. » Long moment de silence. « Papa, toujours un plaisir d’avoir ta voix comme réveil. » Il ne releva pas l’ironie de mon ton, et sans me ménager énonça l’objet de son appel. « Ta sœur est en danger. » Je levai un sourcil et voulus hausser les épaules avec désinvolture, mais je me rendis compte qu’il ne me voyait pas. « Ah ? Les canines d’un suceur de sang se sont retrouvées coincées dans son cou ? » « Je n’ai pas le temps de rire Juanita. Ta sœur a besoin de toi. Je pense qu’elle a retrouvé la piste que nous cherchions et… » Je l’interrompis aussitôt. « Attends deux minutes là, ça fait bien quatre ans qu’on ne s’est pas parlé et deux ans que je n’ai pas vu Gracia, et tu penses pouvoir m’appeler comme ça au beau milieu de la nuit comme si je faisais encore partie de votre délire d’agence familiale ? Ça ne va pas ? » J’avais terminé la phrase en hurlant presque. Bravo papa, encore une fois, tu avais réussi à me mettre hors de moi. « Juana Olimpia ! Tu crois que je m’amuserais à te réveiller si ce n’était pas important ? » Le fait qu’il m’appelle par mon prénom entier me fit l’effet d’une douche froide. Voilà bien trop longtemps que je n’avais pas eu affaire à mon père, et j’avais presque oublié le ton froid de ses réprimandes. La rigueur quasi militaire dont il faisait preuve pendant mon entraînement ne m’avait jamais laissé indifférente, et m’inspirait plus de crainte que n’importe quelle créature monstrueuse.

Il fallut donc que je me calme, puis je repris. « Qu’est-ce qui se passe ? » J’entendis mon père prendre une profonde inspiration, mauvais signe. « Je pense Juana Olimpia qu’il est temps que tu saches ce que ta sœur est vraiment allée faire à la Nouvelle Orléans. » « Elle me l’a dit, il y a profusion de CESS à chasser là-bas… » Je devais avouer que je ne comprenais plus rien. Le souvenir de la visite de ma sœur était très clair, et j’entendais encore ses mots. Tout ce qu’elle voulait, c’était botter le cul des dents longues. « Pas n’importe quel CESS Juanita. Ta sœur était sur la trace du vampire qui a tué ta mère. » Le choc et ses effets dévastateurs. J’avais lâché le combiné, totalement déboussolée par cette annonce. Je m’effondrai à mon tour, et le carreau glacé ne fut pas le moins du monde bénéfique. Ma mère, tuée par un vampire ? Je jugulai une crise de larmes et repris le téléphone, non sans peine. « S’il-te-plaît dis-moi que j’ai mal entendu ! Dis-moi que c’est faux ! » « Juanita, tu es assez grande maintenant pour apprendre la vérité. Ta mère a été la proie d’une de ces sangsues… » « NON ! Tu nous as dit qu’elle était morte dans un accident ! Tu mens ! » Cette fois c’en était trop. Je ne pus retenir les larmes plus longtemps. Voilà dix minutes que mon père était de nouveau entré dans ma vie, et il chamboulait déjà tout. Un accident. Un sort qui avait échappé à tout contrôle et avait fini par mettre le feu à la maison. Ma mère n’avait pas réussi à s’en sortir. Voilà la version que m’avait servie mon père il y a cinq ans de ça. J’avais à peine 19 ans certes, mais j’étais suffisamment mature pour savoir la vérité… Non ? « Toutes ces années tu m’as caché la vérité… POURQUOI ? » « Je savais que j’étais en train de te perdre Juanita. Tu n’as jamais eu le même engouement que ta sœur pour la chasse. Tu préférais concocter des potions avec ta mère hein… Tu voulais de moins en moins nous accompagner en chasse. Si tu avais su pour ce vampire, je sais que tu aurais pris peur. » Je ne savais plus quel sentiment dominait à ce moment, le désespoir ou la colère, l’amertume ou le vide tout simplement… « Eh bien tu m’as perdue quand même papa… Devine quoi ? C’est pas gagné pour les retrouvailles familiales. Va falloir compter sur un autre agent. » « Mais c’est ta sœur ! Tu dois l’aider ! » « Si elle était assez grande pour connaître la vérité, elle est assez grande pour s’en sortir seule à la gérer ! » Sans lui laisser le temps de replacer quelque chose, je raccrochai violemment le téléphone, et fondis encore une fois en larmes.

C’est ainsi qu’Owen me trouva le lendemain, roulée en boule dans la cuisine, les yeux gonflés, le visage dévasté. « Joe ! Réveille-toi chérie, qu’est-ce qu’il y a ? » Deuxième réveil brutal. L’appel de mon père me revint en pleine figure, mais cette fois je ne réussis pas à pleurer. J’avais vidé mon stock de flotte pour les deux prochaines années au moins. Sans un mot, je me levai et préparai une valise. Je devais retourner au Mexique pour un moment, demander des explications à ma grand-mère. « Owen, j’ai besoin de partir. » « Mais pourquoi ? Joe, explique-moi ! » Je pris une profonde inspiration. Parfois j’aimerais pouvoir lui balancer toute la vérité, lui dire ce que j’étais, lui raconter que j’avais suivi un entraînement pour devenir une tueuse redoutable, lui expliquer que j’avais des pouvoirs, que le monde était encore plus compliqué qu’il n’y paraissait… Mais je n’avais pas le droit de lui infliger ça. La vérité le mettrait en danger. « Tu sais qu’avec ma famille, nous avons des relations compliquées et tout… Et j’ai appris quelque chose hier soir, qui ne va pas nous aider à mieux nous entendre. J’ai besoin de partir quelque temps, régler mes problèmes… » Il me regardait sans comprendre, les yeux dans le vague, puis il se ressaisit. « Tu peux pas partir comme ça ! T’es pas toute seule dans l’histoire ! On est deux je te rappelle… C’est comme ça que ça marche un couple ! Tu peux pas te barrer quand tu veux et revenir comme une fleur ! Merde à la fin ! » J’avais conscience que franchir cette porte serait peut-être un acte définitif. J’avais cherché la stabilité, la normalité, et je pensais qu’en restant avec un humain, tout se passerait sans problème, que je pourrais vivre une vie normale, loin du killer instinct, loin des vampires, loin des cartels mexicains qui cherchaient de l’aide près des sorciers… J’étais presque bien dans ma vie, à aider des immigrés mexicains à reconstruire une vie aux Etats-Unis, cacher notre réseau derrière le restaurant de mon patron… Mais j’aurais dû un jour refaire face à ma nature, à tout ce savoir surnaturel qui m’habitait, à cet hôte malveillant qui demandait du sang à profusion… « Je m’en vais Owen. Tu ne peux rien y faire, et vaut mieux pour toi. Tout ce que tu récoltes avec moi, ce sont des mensonges et des risques. Non, n’essaye pas de parler, écoute-moi. Il te faut quelqu’un de normal, quelqu’un avec qui tu ne risques pas ta vie. » J’avais débité ces mots avec un froid que je ne me connaissais pas. Je ne le laissais pas le temps de répondre et sortis ma mallette d’armes de mon placard. J’en sortis un revolver que je pointai sur lui. Je vis dans ses yeux de la peur, de l’incompréhension, mais j’étais déterminée. « Tu vois chéri, ça, c’est vraiment qui je suis. Je ne suis pas quelqu’un de fréquentable. Ce flingue, je sais m’en servir. Il a déjà tué des gens… J’espère que ça te dissuadera de me chercher… Retourne à ta vie normale. Essaie de m’oublier. » Il ne dit rien, la peur phagocytait ses mouvements. J’en profitai pour finir mes valises Sur le pas de la porte, je me retournai une dernière fois Voilà que je disais adieu à une vie normale, et je ne pourrais jamais revenir en arrière. « J’aimerais que tu saches que je t’ai beaucoup aimé. Là-dessus, je n’ai pas menti. »

Voilà comment, le cœur gros, je retournais vers tout ce que j’avais toujours voulu fuir.



La Nouvelle-Orléans, Louisiane. Décembre 2012

« Black Mamba ! Ben tiens, tu es encore sur un coup ? » « Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça Eddy ! Ca fait très organisation secrète. » Le Dead Sunday, un vendredi soir. Le repère est plein de chasseurs n’attendant qu’une chose, qu’on leur offre un contrat pour aller dégommer du surnat. Voilà trois mois que je suis arrivée à La Nouvelle-Orléans, finalement convaincue que je devais retrouver ce vamp qui avait réussi à détruire ma famille en tuant ma mère et maintenant ma sœur. Car oui, durant mon exil au Mexique, j’ai peu à peu repris contact avec mon père et me suis renseignée sur l’opération. Replongée dans le bain des entraînements et de la soif de sang, j’ai exploité au maximum mes capacités jusqu’au jour où ma sœur se retrouverait en difficultés. C’était mon ultime condition. Tant qu’elle s’en sortait, je restais à l’écart, mais si un jour elle rencontrait un problème majeur, je devais la rejoindre sur le terrain. Ce problème est arrivé plus vite que prévu, quand trois mois auparavant, on avait cessé d’avoir des nouvelles d’elle. Désespéré, mon père m’a aussitôt envoyé au secours. Elle a disparu voilà trois mois et il est impossible de retrouver son corps, mais je ne suis pas pleine d’espoir quant à de possibles retrouvailles. A mon avis, un suceur de sang lui a fait la peau. « A quoi tu penses encore ? » Je levai les yeux vers lui. Eddy était une des rares connaissances que je me permettais d’avoir ici. Autant dire qu’en trois mois, j’avais plus foutu le bordel qu’autre chose. Mais ça fait partie de mon non plan ! Oui oui, un non plan. C’est-à-dire que j’ai un objectif, que j’ai une idée de comment l’atteindre, mais que ça ne repose pas sur le timing parfait et l’organisation sans accroc d’une opération. Mon non plan consiste à me faire connaître tout simplement, et à secouer un peu le petit monde des buveurs de sang en clamant bien haut et fort que je cherche toujours celui qui a tué ma mère. Pour l’instant, je n’ai que de faibles pistes, et un tableau assez vague des missions que ma sœur a accepté, de ses fréquentations qu’elle avait. Mais comme le dit si bien Eddy, j’ai la meilleure ou la pire des motivations : la vengeance. « Je pense à la manière dont vais botter ce vampire à coup de talons en argent dans le cul. » Je posai devant lui la photo de ma dernière cible, un bobo tout juste transformé qui continue à ennuyer sa chère famille de riches. « L’enfant refuse tout bonnement de rejoindre un clan et a été abandonné par son créateur. Quelqu’un doit le remettre sur le droit chemin… ou l’éliminer. » Eddy éclata de rire et finit d’essuyer les verres qu’il venait de laver. « Tu as ce qu’il faut ? » J’hochai la tête. « J’ai préparé l’attaque. C’est ce soir ou jamais, parce que je travaille le reste de la semaine. » Il secoua la tête, dépité. Il me demandait toujours pourquoi je continuais à vouloir un boulot, quand mes contrats me suffisaient largement à financer mon train de vie. Je lui expliquais toujours que c’était pour maintenir une couverture, et que le casino était un endroit idéal pour se tenir informé. Mais au fond, je sais très bien que c’est parce que je m’évertue à garder quelque chose de normal dans cette vie de dingue.

Une heure plus tard.
Je poussai la porte de mon appartement, et ce fut une explosion de couleur qui m’accueillit. Je fis un bond en arrière et sortis aussitôt mon fidèle SIG-Sauer. Une épaisse fumée s’échappa de la cuisine et j’entendis une petite voix crier « Tout va bien ! Juanita pas la peine de sortir les armes ! » Ma colocataire sortit en toussant un peu. J’enchaînai immédiatement en espagnol : « Luz ! Qu’est-ce que t’as fait encore ? » « Juste une potion, mais je crois que j’ai trop forcé sur les doses… » Je soupirai. Luz était une immigrée qui a bénéficié de l’aide du réseau et que j’ai personnellement aidée. Je lui avais trouvé du travail au Texas, mais un an après, elle manifesté le désir de quitter l’Etat pour aller en Louisiane, à La Nouvelle-Orléans. Là-bas elle était sûre de ne plus se faire embêter par les autorités, et ne vivrait plus dans la crainte d’être expulsée. Quand elle avait appris qu’à mon tour je quittais tout pour venir à La Nouvelle-Orléans, elle avait insisté pour m’accueillir. Elle avait beaucoup de place, et le loyer passerait mieux à deux. Je n’avais pas bronché. Luz est devenue ma seule amie. Sorcière elle aussi de son état, elle était pleine de ressources et découvrait toujours de nouvelles astuces magiques qu’elle voulait expérimenter… à nos risques et périls. Je rangeai mon arme et entrai dans l’appartement. « J’ai pas le temps d’arranger tous les problèmes, je dois partir en chasse dans un instant. » « Hmm », marmonna-t-elle en guise de réponse. Bien qu’elle ne m’empêche pas de chasser, Luz n’approuvait pas totalement mes activités. Même si par principe je ne chassais que les vampires et qu’elle était terrifiée, elle s’inquiétait toujours pour moi, craignant que je ne cède complètement à l’instinct. « Tu peux juste tracer un cercle pour moi ? Que j’annule les effets de la potion ? » « Bien sûr ! » Ce genre de tâche qui dans les rituels sorciers nécessitaient beaucoup de concentration était d’un naturel déconcertant pour moi. En effet, grâce à mon pouvoir spécial, j’avais enregistré le tracé d’un cercle parfait, et je pouvais le reproduire à l’infini, les yeux bandés et sur une main même ! En l’espace d’une dizaine de seconde donc, je traçai un grand cercle avec du sel pour que ma colocataire puisse réparer ses dégâts. En attendant, je n’avais plus qu’à préparer mes affaires. J’enfilai ma tenue, m’armai assez lourdement en général, récupérai quelques potions de guérisons, et m’pprêtai donc à partir. « Bye Luz. Je prends la route ! »

Mon nouveau train de vie avait commencé.