Ce n’est pas que je déteste parler de moi mais… Quel serait pour vous l’intérêt de connaître mon histoire ou, au risque de devoir y passer des jours, les détails marquants de ma vie ? Qui plus est, avec mon âge, je ne conserve pas vraiment de véritables souvenirs de ma vie passée mais, plutôt des fragments de souvenirs qui, avec le temps, sont de plus en plus flous. Euh que faites-vous ? Mais je vous en prie, installez-vous confortablement dans mon divan ! Faites comme si je vous avais invité ! Ah oui, c’est vrai, je l’ai fait. Hum… Je crois que j’ai quelques heures devant moi avant de reprendre le travail. Qui plus est, vous ne m’avez pas l’air bien pressé. Bon, très bien.


Commençons par le commencement.


Je suis né durant un mois octobre dans un petit village à quelques milles de Londres, en 1809. Ma famille était tout ce qu’il y avait de plus modeste, vivant dans une vieille ferme qu’elle avait peine à entretenir. Ma mère était une femme magnifique, incroyablement douce, offrant toujours un éternel sourire à ceux qu’elle chérissait. Malgré sa pauvreté, mon père était un homme droit et fier. Il était toujours sûr de lui, capable de prendre les décisions les plus cruciales et, bien mieux encore, d’assumer ses erreurs et de se confronter à elles. C’est probablement pour cette raison qu’il fut le leader de notre pard. Oui, un pard. Cela signifie bien ce que vous pensez. Ma mère et mon père, ainsi que mon idiot de frère ainé, étaient tous victimes d’une « soit disant » malédiction qui, sous l’influence de la pleine lune se déchaine, transformant les hommes en bêtes féroces. Et aussi malheureux soit-il, ces damnés sont aussi plus intelligents et bien plus forts que le commun des mortels et, accessoirement, immortels. J’emploi la dernière personne du pluriel mais, nés de parents jaguar-garou de sang pur, j’ai inévitablement moi aussi reçu ce cadeau. J’étais juste… différent.


J’ignore ce fût l’élément déclencheur, ce qui acheva de faire de moi un monstre parmi les monstres. Le fait que mes parents n’avaient que faire de ma personne ? D’avoir grandi dans l’ombre de mon frère ? Ou, celui d’avoir été persécuté par ceux qui se prétendaient être ma famille, mon pard, sous la seule excuse que j’étais faible ? Ou peut-être bien, que je suis simplement né avec ce côté sombre. Quoi qu’il en soit, ma vie me débuta vraiment qu’en été 1840, lors d’une nuit qui se veut être écarlate dans mes souvenirs. Tout brûlait. Même le ciel était en feu. Tout ce qui avait jusque lors composé ma vie, s’était retrouvé sous une mer de flammes incessantes. Cette pitoyable ferme, ces êtres indignes… L’odeur des cendres et de la chair brûlée était comme un véritable bain d’air pur. J’étais comme libéré de mes chaines. Alors que j’observai mon ancienne vie partir en fumée, une tout autre créature de la nuit m’avait rejoint, contemplant elle aussi notre œuvre. Hadrien Venkrisar était un sang bleu anglais, puissant et influent. Père fondateur du clan Venkrisar. Il ne m’avait pas été difficile de le séduire, de lui faire croire que ce pard de lycanthrope ne cessait de croire en nombre et que, tôt ou tard, il finirait par représenter une réelle menace pour son espèce. Je n’avais eu qu’à m’assurer que tous serait à la ferme au moment de l’attaque, me contentant de n’être qu’un simple spectateur égaré, assistant à l’anéantissement de mon ancienne famille par une horde de buveurs de sangs déchainés. La surprise avait été telle, qu’il n’y avait eu que peu de pertes du côté des vampires. J’avais trahi les miens mais, pour atteindre les hauteurs, je n’avais eu d’autres choix que d’escalader leurs carcasses. Puis, entre nous, ils avaient d’eux-mêmes creusés leur tombe en me traitant comme un moins que rien. Je suis du genre rancunier.


Des années après ce tragique évènement, plus précisément en 1872, je m’étais laissé croire que plus jamais ma vie ne changerait, que mon passé était définitivement et sagement enterré derrière-moi. J’étais devenu le bras droit de Venkrisar, exerçant une certaine emprise sur le monde de la nuit. J’étais devenu intouchable, puissant et pas qu’un peu fortuné. Je vivais dans le luxe et la luxure, dans un monde où, tous mes moindres désirs étaient rois. Si je m’étais toujours montré d’une loyauté sans faille envers Hadrien, je l’étais beaucoup moins envers les autres… J’avais à plusieurs reprises dû me débarrasser de certains éléments gênants, couvrant mes arrières en mettant mes propres crimes sur le dos de ces satanés foutus chiens. Oui, les loups garous n’étaient pas si rares à Londres au 19ème siècle. Ah, que je suis nostalgique de cette douce époque… Quand la science n’était qu’une douce illusion, à tel point qu’il ne fallait qu’un brin d’imagination et de charisme pour maitriser tout ce beau petit monde. Enfin, qu’importe.
S’il y avait bien une chose à laquelle Hadrian tenait, s’était son humaine. Une jeune demoiselle nommait Annabeth. Elle était tout ce qu’il y avait de plus… banale. Je n’ai jamais compris d’où provenait la stupide attraction qu’avait le père fondateur pour ce petit tas de viande aux formes insuffisantes. Du moins, jusqu’à ce qu’elle soit sauvagement assassinée en ce qui fût la plus longue et périlleuse nuit de toute mon existence. Hadrian Venkrisar venait de perdre la seule chose que ni le pouvoir, ni l’argent, ni l’immortalité ne pouvait lui rendre. En de telles circonstances, il ne reste plus qu’une seule chose à laquelle s’accrocher : la vengeance. J’avais été contraint de fuir l’Angleterre tel un voleur, d’emporter que le strict minimum, d’abandonner tout ce qui m’étais si précieux, tout que j’avais si durement gagné. Annabeth avait été assassiné par un jaguar-garou et, j’étais supposé être le seul encore en vie à Londres. Je n’ai alors jamais cessé de penser que c’était là l’œuvre de mon frère ainé, Edouard Hendriksen. Lui, dont je n’avais pas cessé de chercher en vain le corps dans les décombres de mon ancienne vie… D’une manière ou d’une autre, il avait survécu au massacre. Il aurait ainsi attendu tout ce temps juste pour signer la plus amère des vendettas. Il était inutile que je tente de convaincre Hadrien de mon innocence, ce n’était franchement pas un rôle que je maitrisai, en plus de ne pouvoir prouver quoi que ce soit à ce vampire en soif d'une pseudo-justice. Je n’avais aucune preuve. Mes belles paroles ne pouvaient pas me sauver cette fois-ci.


Des années durant, je fus pourchassé, contraint de fuir constamment de villes en villes et de pays en pays, ne dormant que d’un œil, changeant régulièrement d’identité, craignant ma toute fin à chaque recoin de ruelles. Certes, il y aurait tant de choses à conter sur les incroyables aventures d’Adel durant sa cavale mais, ma montre ne semble pas approuver, si vous voyez où je veux en venir… La traque a durée pendant plus de 50 longues années puis, sans que je sache le pourquoi du comment, le clan Venkrisar ne donna plus aucun signe de vie. Je n’ai également jamais revu Edouard de mes propres yeux, bien que je m’obstine à croire qu’il est toujours de ce monde. Du moins je l’espère, j’ai comme un petit quelque chose à régler avec lui.
Je suis arrivé à la Nouvelles-Orléans que depuis quelques mois. Je n’ai d’ailleurs eu aucune difficulté à trouver un emploi dans ma branche ici, il faut dire que les cadavres s’empilent rapidement dans ce genre de grande ville… Ce qui est plutôt bon pour les affaires. Mais vous vous doutez bien que je ne suis pas venu spécialement en Louisiane juste pour goûter ses spécialités à base de fruits de mer. Je dirai simplement qu’il est grand temps pour moi de reprendre ce qui me revient de droit. Ma place au sein du monde de la nuit. Hum… Je vais être en retard. Dans l’espoir que vous ayez disparu à mon retour… Voyez-vous, je ne suis pas spécialement favorable à une quelconque collocation.