J’ai coutume de dire que ma vie a commencé à l’âge de 20 ans. Oui, c’est étrange. Mais ma vie entière a été gouvernée par l’étrange et le bizarre. Comme si j’y étais prédisposée, comme si quelque chose en moi l’attirait. Je naquis dans la ville de Londres en l’an de grâce 1584. A l’époque, la ville anglaise était un véritable cloaque puant et putride. Les maladies emportaient rapidement les enfants nouveau-nés et faisaient des ravages parmi le peuple. J’eus la chance de survive, je ne sais pas quel miracle. Je vis le jour dans une famille modeste des faubourgs de Londres. Des paysans qui vivaient du produit de leur terre. La vie était âpre et dure à l’époque. C’est fou comme tout cela paraît loin. Tout a tellement changé… Mon père était un homme froid et sans guère d’affection. Il était aux champs du matin au soir et lorsque le travail se terminait, il buvait, parfois plus que de raison. Je m’en suis toujours instinctivement tenu à distance. Ma mère n’était qu’une ombre, une vague forme qui nous nourrissait, mon frère cadet et moi, en ne parlant que rarement. Autant dire que, très jeune, je sortais dehors, tentant de me tirer d’un quotidien morne et désolé en m’amusant avec quelques enfants des voisins. Une fois sur trois, mon père venait me chercher par la peau du cou, empestant l’alcool et vociférant contre ces bons à rien que je fréquentais. Il n’a cependant jamais levé la main sur moi. Je grandis ainsi dans une ambiance terne et triste. Mais je ne m’en plaignais pas. Mon frère m’apportait du réconfort et constituait mon compagnon de jeu. Naturellement, il était impensable que je reçoive une éducation digne de ce nom, non content d’être pauvre, j’étais une fille.
A l’époque, les filles se mariaient très jeunes. J’échappais à cette obligation car aucun paysan ne voulait avoir comme bru une fille d’alcoolique sans dot. Dès mon adolescence, j’allais dans la forêt cueillir des fruits des bois, ramasser des champignons. Nous en gardions une part pour manger et je revendais l’autre au marché. Parfois, lorsque la récolte avait été suffisamment fructueuse, ma mère parvenait à obtenir un peu de viande. Ces soirs-là, c’était repas de rois à la maison. Très jeune, dès mes premières balades en forêt, je me suis sentie attirée par ces lieux. La nuit qui tombait ne m’effrayait pas, pas plus que les bruits inquiétants des bois. Je tombais sur des faons qui fuirent à mon approche, j’avais un jour aperçu un sanglier. J’étais fasciné par la nature sauvage. Et un soir, j’étais convaincue qu’un loup m’avait fixé de ses yeux jaunes à travers un fourré avant de disparaître. Je me gardais d’en parlais à mes parents qui m’auraient accueilli avec des réprimandes. Mais je continuais, sous prétexte de trouver des fruits et des bais, à aller régulièrement dans la forêt. Je pense que j’y trouvais une liberté que je ne rencontrais nulle part ailleurs.
J’étais devenue une vieille fille, comme on le disait à l’époque. Agée de 20 ans, je n’étais toujours pas mariée. Mon père se désintéressait de mon sort et ma mère n’était plus que souvenirs. Une maladie l’avait emportée. Je ne l’ai pas pleuré, je n’étais guère liée avec elle. J’étais si naïve… Je rencontrais Adam dans les bois, alors que je m’étais échappé encore une fois pour ramasser des champignons. Ce jeune homme qui semblait de bonne famille avait un petit quelque chose dans le regard de différent… Une force et une puissance incroyable. Il me subjuguait, littéralement. Il me fit la cour et je me laissais faire, protestant mollement. Nous avions convenu de nous rejoindre en pleine nuit pour profiter de la pleine lune. Je m’étais assise dans la clairière, profitant de la fraicheur. Il me prit la main et le rouge me monta aux joues. Il me disait que j’étais belle, si belle… Ses lèvres se nichèrent dans mon cou et un long frisson me remonta le long du dos. Il mordilla ma peau. Alanguie, offerte, je n’avais plus aucune volonté. Quand soudain, une violente douleur me déchira l’épaule. Je voulus hurler mais aucun son ne sortit de ma bouche. Apeurée, me débattant, je tentais d’échapper à son étreinte. Mais l’homme me tenait fermement et ses dents avaient transpercé ma peau. Je le repoussais finalement mais je m’effondrai avant d’avoir fait deux pas. Le noir total, je sombrai dans l’inconscience. Lorsque je rouvrais les yeux, je frissonnais. J’avais chaud, j’étais en sueur et pourtant je grelottais de froid. Une forme sombre se tenait devant mes yeux. Je voyais flou. Quand je parvins à faire la mise au point, j’étais persuadée d’avoir perdu la raison, d’être en proie à la fièvre. Cela ne pouvait en être autrement… Un énorme loup se tenait devant moi. Je nageais entre conscience et sommeil durant un temps qu’il m’est impossible de mesurer. Des heures, des jours, des mois ? A chaque fois que j’ouvrai les yeux, le loup se trouvait là ou bien mon soupirant. Jusqu’à ce que je ressorte de cette brume vaporeuse. Il se tenait là à mon réveil et m’expliqua sa vraie nature. Je ne voulais y croire. Et pourtant, je sentais un feu terrible brûler en moi. Ce fut à ma première pleine lune que je compris qu’il ne m’avait pas menti. Mon corps se déchira en une douleur terrible, je hurlais lors de cette transformation, cette naissance. Je sentais chaque muscle brûler, chaque os se briser. Je parcourus la forêt, guidé par mon mentor. Ce fut ma première chasse et je goûtais au sang. Cette rage et ce feu brûle en moi depuis. Mon mentor et amant fut mon guide, il m’apprit comment lutter contre ses instincts, comment les dompter sans les brimer trop. Je m’ouvrais au monde…
Les siècles passèrent, l’Angleterre était puissante et en conflit permanent avec la France. Nous vécûmes deux siècles de paix totale avec Adam au sein de cette nation. Ce fut au cours du XVIIIème siècle qu’Adam me fut arraché. Je retrouvais son corps, en pleine forêt, tué d’une balle en argent. Je hurlais, je tentais de le sauver. J’ignorais l’art de la guérison. J’ignorais même que, contre une balle en argent, il n’y a rien à faire… La rage au cœur, je pris l’Angleterre en haine. Je retrouvais le chasseur et le mis en pièce. Puis, je partis direction le Nouveau Monde. Le grand siècle, le XIXème siècle commença et son lot de merveilles de la technologie. Les femmes commencèrent à prendre une place plus importante dans la société. J’avais ainsi commencé des études de médecine. Je souhaitais soigner et apaiser les blessures. Paradoxal pour quelqu’un qui en crée… Je rejoignis rapidement la meute de la Nouvelle-Orléans, ce qui m’apporta une aide et un soutien plus que bienvenue… Mais à présent, le chaos règne et je m’inquiète… Où est passé l’Ulfric ? Que lui est-il arrivé ? Et ces créatures qui hantent nos bois ? Que sont-ils ? Le Secret doit être maintenu mais y parviendrons-nous seulement ?