Un jour, je retournerai en Inde. Je ne peux encore déterminer l’heure ni le temps, mais un jour, je repasserai par là-bas. Mon cœur y est d’une certaine manière et je ne laisserai pas le temps oublier ma patrie d’origine. J’y suis née, j’y ai vécu la majeure partie de ma vie, la Nouvelle-Orléans n’a pas cette place aussi forte que l’a New Delhi dans mon cœur. Quand je repense à mon enfance, je vois tout l’héritage familial transmis par mes parents. Je suis sorcière, et si on nous voit comme des êtres menaçants et dangereux, ce n’était pas le cas dans ma famille. J’ai tout appris de la pratique par l’intermédiaire de mes parents, même si petite, je devais éviter d’en parler pour ma sécurité. Tout le monde n’était pas assez ouvert d’esprit pour accepter les manipulateurs d’ombre comme des personnes normales. La peur, c’est ce qui pousse les personnes à commettre des erreurs, d’énormes fautes. Tout ce qui relève du domaine de l’inconnu et de l’ignorance en fait. Ce n’est pas leur faute, ils sont humains. Je remercie pourtant mes parents pour leur savoir et leur patience dans la transmission de cet héritage, à la foi intriguant et passionnant à la fois. J’ai enseigné par la suite l’art de la magie à ma petite fille avec cette même passion que je pouvais deviner dans le regard de Papa et Maman. C’est la meilleure façon d’enseigner son savoir : avec son cœur.

J’ai toujours été une grande voyageuse. Déjà enfant je rêvais à beaucoup de choses comme les pays que j’aurais l’occasion de visiter ou encore à quoi pouvait bien ressembler l’Angleterre qui nous avait colonisée. Solitaire, je me réfugiais souvent dans les livres et l’écriture. Les enfants uniques développent cette faculté, celle de s’occuper seul sans l’aide d’autres enfants pour passer le temps. Je ne jouais pas avec mes camarades de classe, préférant m’isoler avec mes personnages imaginaires et ma soif de connaissances. Trop précoce pour mon âge, ce mûrissement cérébral me posa défaut de longues années durant : les enfants de ma classe ne me comprenaient pas, j’avais beau avoir leur âge, je m’intéressais à ce que lisaient les adultes, calmant le temps d’un livre ma soif de connaissance. Mon comportement me prédestinait à un métier intellectuel, bien qu’en Inde, le statut de la femme a encore des progrès à faire. Elle ne doit pas être trop intelligente et pourtant prête pour le mariage avec celui qui voudra bien d’elle. Je fis comprendre à mes parents que je voulais travailler et non me destiner à attendre un époux qui ne viendrait jamais. Heureusement que mon père accepta ou j’étais condamnée à l’ennui. Le métier qui me tentait : hôtesse de l’air. Je verrais ainsi le monde, je le survolerai, et ça m’émerveillait. Ce fut le métier qui m’ouvrit aux portes du mariage, étrangement. Comme beaucoup de femmes indiennes, je rêvais à l’homme que j’épouserai un jour. Une sorte de prince charmant des temps modernes en quelque sorte. Lors d’un séjour en Europe, je fis la connaissance d’un commissaire indien en voyage d’affaires. Je ne sais même plus dire qui a commencé à parler à l’autre et mais le courant passait plutôt bien entre nous, et nous eûmes l’occasion de nous revoir par la suite. Puis vint le jour où il fit sa demande à mon père, celle de m’épouser et je fus heureuse que ce soit lui. Je le considérai comme un prince charmant, celui dont j’avais longtemps rêvé.

Je ne pensais pas qu’à l’époque mon conte de fées allait virer au drame. Tout allait bien, j’étais enceinte de mon premier enfant et mon mari en était heureux. Hélas, j’ignorais ce qu’il se tramait avec son travail, mais depuis quelque temps, je sentais mon époux soucieux et inquiet. Il ne parlait pas trop de ses enquêtes et en bonne épouse, j’évitais les questions indiscrètes. Je ne mis pourtant pas longtemps à comprendre que l’enquête en cours allait trop loin lorsqu’une meute de loups encercla un soir la maison. Même si mon mari fit tout pour me protéger, je ne fus que le dommage collatéral de leur colère. Sous mes yeux, la meute tua le commissaire. Comme s’il n’avait pas fait assez de mal comme ça, ils me firent mal à tel point que j’en garde encore des séquelles dans ma mémoire. Certaines choses ne s’oublient pas, jamais. Leur départ me laissa une trace de crocs sur l’avant-bras ainsi qu’une vive douleur au ventre : j’appris quelques heures plus tard à l’hôpital la perte de mon enfant.

N’en avaient-ils pas assez fait, en tuant mon mari ? A croire que non. La morsure me condamnait à rejoindre la meute qui avait causé tant de dégâts dans ma vie. Qu’avais-je fait pour mériter cette injustice ? Rien, et pourtant j’en payais les frais. Désormais loup garou nouveau né, je ne pouvais pas m’en sortir seule. J’avais besoin d’aide et c’est avec mépris et rage que je dus la demander aux assassins de mon mari. Tous autant qu’ils étaient avaient leur part de responsabilité et ma rage ne semblait pas prête à s’éteindre. Le temps passé en leur compagnie fut long, trop long pour moi. Rancœur et amertume m’alimentaient au quotidien sans que je puisse faire quoi que ce soit pour assouvir ma colère comme la vengeance. Je m’étais souvent demandé pourquoi la meute avait décidé de me transformer, alors que j’étais la femme de l’homme qui fouinait dans leurs affaires pour une enquête. Si je mis quelques années à le comprendre, la réponse semblait évidente : plutôt que de me tuer, apporter une louve de plus dans la meute n’en était que bénéfique pour celle-ci.

Puis vint ma petite Dhania, trésor de mon cœur. L’aventure arriva par hasard avec un américain venu séjourner à New Delhi. Je ne pensais pas vivre une histoire aussi courte avec un homme, moi, la grande rêveuse au prince charmant. Je ne pensais ne plus jamais le revoir, bien que je voulais qu’il m’emmène avec lui dans sa contrée, au moins pour fuir ma meute que je haïssais tant. Peine perdue, il me quitta et repartit d’où il était venu. Dhania arriva, et, par soucis de sa protection, j’émis des distances entre la meute et ma vie. Ne pouvant pas reprendre mon métier d’hôtesse de l’air et refusant d’abandonner ma petite fille, j’enchainais les petits boulots. Entretemps, l’alpha de New Delhi commença ses menaces, m’ordonnant de revenir m’assouvir à lui et la meute. Comment pouvait-il me demander ça alors qu’il avait commandité l’assassinat de mon mari ? J’avais une fierté, et jamais je ne me plierai corps et âme à leur volonté. Quand il menaça Dhanya qui venait tout juste d’avoir seize ans, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Il n’y avait qu’un endroit où aller. La Nouvele-Orléans, là où vivait le père biologique de ma fille. A supposer qu’il y vive encore…

Ce qui fut le cas. A l’expression de son visage quand je le revis, il ne s’attendait pas du tout à me voir ici. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’il avait un enfant quelque part ces seize dernières années. J’eus la chance d’avoir un soutien de sa part, car je n’avais aucune idée d’où aller si je ne l’avais retrouvé en Nouvelle-Orléans ou qu’il m’avait repoussé. Une louve solitaire ne fait pas long feu en général …
Connor fit mieux que de m’offrir son soutien, il me nomma Lupa de sa meute. Pourtant, même si la Nouvelle-Orléans avait des airs de rêve quand on en entend parler en Inde, ce n’est pas tout à fait le cas sur place. Je m’inquiète pour Dhanya, si New Delhi était dangereux, ici, c’est pire encore. Je ne baisse pas les bras pour autant : Père et fille semblent s’entendre, quant à mon sort, il n’est pas si mal, puisque je suis respectée au sein de la meute, ce que je trouve étonnant. J’ai également appris que je n’étais pas apprécié par certaines personnes, particulièrement la maîtresse officielle de Connor, et l’ancienne Lupa est même venue m’avertir que bientôt je serais rejetée tout comme elle. J’ai également comme une impression que mon passé n’est pas pour autant scellé, comme une menace rôdant autour de moi. Mon ancienne meute n’a pas pu lâcher les bras aussi facilement…