La lumière jetait des ombres sur les murs de pierre de ma demeure. Au dehors, j’attendais les automobiles klaxonnant et les chauffeurs se gueuler dessus alors que le soleil venait à peine de se lever. Je me frottai les tempes, me retournant lentement pour admirer la silhouette apeurée rouler en boule dans le coin de la cellule. Ses yeux gris se pausèrent sur moi quelques instants, pendant un bref instant j’ai cru y discerner une lueur de défi… qui ne dura qu’une fraction de secondes avec qu’il ne détourne le regard.

Il avait à peine une vingtaine d’années, ce qui n’en faisait à mes yeux qu’une fraction d’existence. Une poussière qui aussitôt arrivée repartirait ailleurs- si ailleurs il y avait, ce dont je n’étais pas tout à fait certain. Il en a déjà été autrement. Le regard maintenant sur ses pieds, j’entendais sa respiration saccader ainsi que le battement de son cœur, fou furieux dans sa cage thoracique, comme s’il savait que la fin était proche et que si son maître avait abandonné, lui jamais ne le ferait. Je lui jetai l’appareil de métal sur la poitrine, preuve de son méfait.

Le jeune loup le ramassa en tremblant. « Écoute Thomas, je te jure que» mais c’était inutile. Même ses explications – qui m’apparaissaient plutôt comme une plaidoirie, comme une supplication- s’interrompirent lorsque je le regardai. C’était un jeune loup, l’un des plus jeunes de notre petite bande. Une lubie d’un des membres, un gamin, rien de plus. Un plaisir du moment pour se distraire quand on a une éternité devant nous. Un jeune loup qui avait enfreint l’une des règles fondamentales de notre clan et de notre espèce, qui avait mit en danger notre secret. Entre ses mains tremblantes, le petit appareil avec lequel il avait filmé l’un de ses crimes, et sur la bande l’un de ses potes, encore humain, qui riait avec lui. L’idiot. Transformé depuis peu, il avait recroisé l’une de ses connaissances qui le croyait mort. Tout aurait pu se terminer facilement, un accident est si vite arrivé… mais la tentation était trop grande. Il avait partagé son secret avec cet humain et comme cadeau lui avait laissé la preuve de son surnaturel. Aussitôt de retour dans la bande, j’ai senti sa culpabilité avant même qu’il ne passe la porte. Le faire parler n’avait pas été si difficile.

La porte du cachot s’ouvrit, révélant ma freki avec son air glacial habituel, parfaitement de circonstance. Si tuer les humains est pour moi un plaisir sans limite dont je ne me lasse jamais, tuer l’un des miens, ayant partagé ma chair et mon sang, ne me laisse jamais indifférent. Il ne s’agissait là qu’un des devoirs les moins amusant qu’incombait mon poste d’Ulfric de la meute. Une responsabilité dont je devais m’acquitter de la façon la plus solennelle. « Bon matin Éli, ça ne devrait pas être long» J’étais content qu’elle soit là, fidèle au poste.

La respiration du jeune loup s’accéléra, l’adrénaline montant en lui, lui parcourant les veines, mais inutiles contre les chaînes qu’il avait au poignet. Cette fois, malgré la peur qu’il éprouvait et que je sentais en lui, ses yeux ne quittèrent pas les miens. Pendant un bref instant, je fis replongé dans mes propres souvenirs où un loup tout aussi têtu avait tenu tête à un Ulfric. Ce loup, c’était moi…

Il faut dire que j’ai eu une existence qui, malgré tout, fut tout ce qui a de meilleurs au cours des siècles. Je suis né en Angleterre, dans la soierie et la luxure. Il parait que j’ai crié pendant les nuits entières, pendant les premiers jours de mon existence. Devant moi, avant même d’avoir atteint ma majorité d’homme, s’étalait un monde de possibilité et des droits comme peu de personnes à cette époque possédaient. À quelques jours seulement, j’étais déjà plus puissant que les personnes servant dans notre demeure familiale, j’avais plus d’influence que mon cousin vivant sous notre maisonnée. Malgré la dureté de cette époque, mon enfant fut heureuse. J’avais des instituteurs privés, des cours de maniements d’armes et je rêvais de prendre la place de mon père, et comme les garçons de mon âge je rêvais de champs de bataille et de gloire. Lorsque j’étais avec les autres garçons de mon âge, j’étais quelqu’un de charismatique et d’ambitieux. J’aimais surtout élaboré divers plans pour embêter les garçons du peuple, qui n’avait rien dans la cervelle et qui n’était pour nous que des jouets. Lorsque je fus en âge, j’intégrai la cours du roi Henri VIII au côté de mon père. J’étais prêt à tout pour me hisser dans les plus grands sommets. Ce fut malheureusement de courte durée.

À mes 17 années, je revenais d’une soirée à la cour lorsqu’un mal m’envahit entier, me coupant le souffle. J’ai senti mon sang se bouillir et l’adrénaline se hisser en moi. Pendant quelques heures, je perdis le contrôle de mon être, entièrement mener par mes instincts primaires et sauvages. Le goût du sang et le plaisir du meurtre se mêlèrent en moi et, jusqu’à l’aube, j’en profitai avec joie. Le réveil fut des plus brutaux. On avait suivi la bête, on l’avait traqué… Redevenu moi-même, il ne fut pas difficile pour ces idiots de comprendre ce qui venait de se passer. Je me rappelle avoir fixé mon regard sur mon père alors que l’on me chassait de ma demeure, de mes terres. Chassé par tous ces petits paysans grotesques et tous ceux qui se disait de mes amis. Ma mère me remit une bourse avant mon départ et me dit ces mots : «Il n’était pas ton père. Je suis désolé mon fils». J’ai quitté en silence cette demeure qui n’était plus celle de mes ancêtres.

J’ai erré par la suite pendant des mois à la recherche d’une cure. J’ai cru pendant un moment que cette sorcellerie n’était l’œuvre que d’un rivaux jaloux de mon succès, qu’une des filles du village voisin au mien s’était finalement rendu compte des conneries que je lui racontais et avec usé de sorcellerie pour me punir. J’ai même cru à un pacte avec le diable m’ayant pris pour cible et je priai pendant des nuits entières pour que le prix payé fût des plus cruels. De plus, chaque mois, j’appréhendais la lune sachant que la bête s’emparerait de moi. Si j’aimais la sensation de puissance qui m’assaillait dans ces moments, la perte de contrôle m’était insupportable. J’avais toujours été en contrôle de mon destin et je n’en pouvais plus qu’une bête prenne possession de moi sans que je ne lui accorde. Une nuit de pleine lune, alors que je parcourais la forêt sous ma forme de loup, j’entendis un hurlement qui m’apeura et m’attira tout à la fois. J’ai su que je ne serais plus jamais seul.

Ce sont eux qui m’ont trouvé. Une meute. Le lendemain matin, j’étais avec eux autour de la table, une petite communauté vivant sur ces terres depuis des dizaines d’années, des loups comme moi. Des lycanthropes. Il n’était pas des êtres cruels et avaient appris à contrôler leur bête. Je voulais tout apprendre d’eux. Pendant des années, j’appris à maitriser ma partie animale, à la contrôler. Pendant près d’un siècle, j’appris ce qu’il y avait à savoir sur notre race. J’avais maintenant la réponse à ma question et la phrase que ma mère m’avait chuchoté avant mon départ faisait maintenant du sens. J’étais un loup par filiation. Mon père – mon vrai père- devait en être un lui aussi. Et puis, un matin, je suis parti. J’avais tout appris ce que je voulais apprendre et je voulais plus de cette vie que ce qu’il pouvait m’offrir. J’avais eu le pouvoir entre mes doigts pendant des années et je recherchais de nouveaux cette sensation, ayant maintenant un avantage sur les hommes : l’éternité.

J’arrivai en France, notre ennemi de toujours. Je fis alors la connaissance de loups qui, comme moi, voulait profiter de leur ressource. Je les rassemblai sous une même bannière : celle de la cruauté, de la débauche et du plaisir sans fin. Être l’alpha ne fut pas difficile, plusieurs d’entre eux étant né dans des familles de prolétaires habituées à recevoir des ordres. De plus, je me rendis compte que même pour un loup, j’avais une force assez respectable. Un jeu se dessina rapidement pour nous : le jour, parfaits petits vagabonds, nous n’étions que des jeunes sans travail parcourant les rues des villages. La nuit par contre, nous étions les terreurs de la région, des chasseurs sanguinaires à la recherche de la proie idéale. Rien ne nous arrêtait et c’était à plaisir qu’on se joignait aux paysans dans leur «recherche de la bête», couvrant nos traces avec ruse et talent. Je regrettai presque d’avoir découvert mon côté bête de cette façon barbare et de n’avoir pu en profiter lorsque j’étais à la cours du roi. Quel homme serais-je devenu?

Pendant plus de trois ans, les meurtres se succédèrent alors que nous usions de toute notre imagination possible pour tuer, dépecer et faire souffrir. Nous avons tué des familles entières, laissant qu’un seul survivant, le plus fort, pour que s’abreuver de leur vengeance. Maintenant pleinement impliqué dans la chasse à la bête, nous les intégrions dans notre groupe de chasseurs le jour, riant le lendemain de notre malice. Nous fûmes si populaires qu’un jour, le roi de France lui-même envoya son chasseur à notre recherche. Un mythe naquit dans ces années, que j’ai entretenu jusqu’à m’en lasser. Pendant des semaines, les parties de cache-cache continua. L’occasion se présenta de pouvoir m’éclipser lorsqu’un des idiots de ce village repéra un bête loup plus gros que la moyenne et l’abattit. Maintenant «chasseurs sans travail», je m’éclipsai avec ma meute à la recherche d’un nouveau passe-temps pour meubler notre éternité.

Pendant les années qui suivirent, nous fîmes le tout des bourgades de l’Europe, amassant à coup de vols et de meurtres une petite fortune. Ma bande changeait d’une année à l’autre. Il est difficile pour les loups de changer avec les époques et les progrès des humains laissèrent plusieurs de mes loups dans la confusion, les menant à leur mort prématuré. D’autres nous rejoignirent, la bande se promenant partout sous le couvert de marchands prospères. Sur un coup de tête, je décidai de rejoindre ma patrie, m’étant exilé pendant déjà trop longtemps. Je me posai sur Londres où je pris possession d’un grand appartement luxueux au cœur de la ville. C’est là que je la rencontrai.

Léonara. On me l’avait promise en mariage, elle devait devenir la Lupa de ma meute. Un mariage de raison que c’était le cas à mon époque. Rien de choquant si ce n’était le désir brulant que j’éprouvais pour sa sœur, le désir d’une ligné proprement louve. La fugue de Léo me fit entrer dans une fureur noire pendant près d’un mois, non pas parce que je l’aimais ou quoi que ce soit de ce genre, mais pour l’affront qu’on m’avait fait subir. Les changements d’époque sont mal vécus par les lycans et pour un homme de la mienne, il s’agissait d’une terrible trahison, insupportable. Malgré l’attirance pour Spencer que j’éprouvais, je ne pouvais entreprendre d’autres démarches avec cette famille qui s’était déshonorée- et ce même si nous passions nos nuits ensemble. J’envoyai mes loups chercher pendant quelques semaines l’ingrate sans qu’aucune nouvelle ne fut donné. Et puis… et puis rien. J’avais l’éternité pour la retrouver et ce jour là, elle le paierait cher.

Je passai des années à Londres savourant chacune des inventions et chacun des progrès de l’homme, participant à la vie mondaine, accumulant des richesses et investissant d’un côté et de l’autre. Puis, je partis. L’orient et ses merveilles attirèrent ma meute redevenu nomade, les années se succédèrent sans que rien ne change à l’exception de mes camarades de routes. L’Eurasie était mon territoire et nous le parcourions comme nous l’avions toujours fait : enchaînant les plaisirs diverses même si les meurtres en série ne m’amusait plus autant et que les règles se resserraient avec les technologies de surveillance se développaient. Et puis, comme beaucoup de mes congénères, nous partîmes pour le nouveau monde. Nous ne fûmes que 5 à mettre les voiles vers le vieux continent. Dans les bras de Charlotte qui, je le crois encore, a des choses à régler, nous mîmes les pieds sur le sol de la Nouvelle-Orléans où j’achetai un vieux manoir près d’un marais, l’un de ceux ayant survécu au terrible passage de Katerina.

Ce même manoir dans lequel le jeune loup attendait enchaîné. Dans ce nouveau monde où la surveillance constante m’étouffait, une partie de moi le comprenait d’avoir succombé à la tentation de s’exposer au monde. N’avais-je pas moi-même, des siècles auparavant, exposé à la lumière du jour notre secret et créé un mythe? Être né à cette époque, j’aurais pu être cet idiot enchaîné, sur le bord de la mort. Je m’avançai vers lui rapidement et d’un coup sec lui brisai la nuque. Voilà. Ce soir, nous l’enterrerons selon nos traditions. Je ne ressens rien pour ce dernier, qui, tout compte fait, n’avait rien à voir avec moi. Il avait été assez idiot pour se faire prendre, tant pis pour lui.