Etant l’auteur de nombreux articles sur le thème du vampirisme et de la littérature fantastique dans des revues scientifiques, des ouvrages collectifs et des dictionnaires, mes écrits avaient attiré l’attention d’un homme qui, à ma première impression, me semblait complétement instable psychologiquement. Une nuit, il se présenta à moi tandis que je quittais mon bureau de l’université en me disant que mes recherches le fascinaient au plus haut point et que malgré mon acharnement, je ne parviendrai jamais à délier le vrai du faux en ce qui concerne le mythe du vampire. Il me proposa alors un rendez-vous dans une ancienne bâtisse au nord de la ville, l'Amnistia. Bien sûr, je refusai. Mais il m’affirma avec véhémence qu’il avait de précieuses informations au sujet des vampires et des preuves irréfutables de leur existence. Je ne crus pas un mot de ce qu’il avançait mais je restai toutefois perplexe et curieuse, cet homme avait un regard si pénétrant et convaincu.
« Demain, au crépuscule, présentez-vous aux portes de l’Amnistia. C’est une opportunité à ne pas manquer, elle pourrait bien marquer l’apogée de votre carrière professionnelle et vous connaîtrez enfin la vérité, croyez-moi… » déclama-t-il sur un ton empreint de mystère et d’éloquentes inclinations.
J’avais entendu de nombreuses rumeurs sur le château de l’Amnistia, son histoire était tout aussi obscure que celles de ses anciens occupants, et en tant que chercheur, j’avais cette volonté de connaître et d’appréhender la vérité par moi-même. Cependant, je devais avouer que ma quête de vérité n’était pas la première raison pour laquelle je me rendis le lendemain au château ; cet homme avait une présence si forte qu’il m’était impossible de ne pas céder à la tentation de ce rendez-vous, même seule depuis plusieurs heures, j’avais toujours l’incroyable sensation qu’il ne m’avait jamais quitté.
A la fois attirée par ces propos énigmatiques et hypnotisée par le personnage de cet homme surgi des ténèbres de la nuit, je frappai à la porte de l’Amnistia. Un domestique vint m’ouvrir et me conduisit sans préambule auprès du maître des lieux, l’homme de la veille, Luthìan Newrewell. Il eut un petit sourire en coin en me voyant et me proposa une tasse de thé que j’acceptai timidement, alors même que je n’aimais aucune sorte de boissons chaudes à base de plantes. Je ne pouvais rien lui refuser : ce rendez-vous, le thé.
Il m’installa dans un sofa matelassé de couleur amarante, dans un vaste bureau éclairé par un lustre de cristal et un feu de cheminée. Le domestique nous servit le thé, puis il prit congé sur ordre du maître. Newrewell me dévisagea un long moment avant de me tendre un carnet et un stylo en me conseillant de prendre des notes durant ce qui allait s’avérer être un long monologue. Puis il continua en ces termes :
« Je me doute que cette situation est assez embarrassante pour vous. Après tout, vous ne me connaissez pas et vous avez toutes les raisons du monde de vous méfier de moi. Néanmoins, je suis ravi de voir que vous avez accepté mon invitation. Vos recherches sur le mythe du vampire ne m’ont pas laissé indifférent et j’ai décidé de vous venir en aide dans vos travaux. Il est grand temps que l’ombre se dissipe pour laisser place à la lumière, le monde doit savoir et vous, vous briserez le culte du secret pour qu’enfin rayonne l’affreuse vérité. L’humanité doit se préparer à combattre une nouvelle menace… »
Le stylo harcelait le papier de sa pointe de façon presque frénétique alors que je prenais grand soin de noter chacune des paroles que mon hôte venait de prononcer, captivée, envoutée. Soudain, ma main se crispa d’étonnement et de stupeur lorsque Newrewell m’avoua être atteint de vampirisme. Pour me prouver ses dires, il s’entailla profondément le bras avec une dague qu’il avait retiré de son présentoir. A ma plus grande surprise, la plaie cicatrisa en l’espace d’une poignée de secondes.
« Ce n’est là qu’une partie de mes pouvoirs » précisa-t-il, en léchant le sang qui maculait son avant-bras.
J’étais pétrifié, à la fois terrifiée et fascinée par ce que je venais de voir. Je regardais tout autour de moi, comme une proie prise au piège, afin d’évaluer la distance qui me séparait de la sortie la plus proche. Un silence de mort s’en suivit. Newrewell me fixait droit dans les yeux, ne cillant ni ne baissant le regard.
« N’ayez crainte, je ne vous veux aucun mal. J’ai besoin que vous écoutiez mon histoire et que vous la partagiez avec vos semblables. Les Hommes doivent être mis au courant de ce qui se cache dans l’ombre, où l’ombre finira par les emporter, tous. Les uns après les autres… Jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne. Ce serait à mes yeux une grande tragédie et malgré, le sang impie qui brûle mes veines, je ne peux me résoudre à une telle fin pour l’humanité et si je devais renoncer à mon éternité pour préserver la vie, alors je le ferai sans hésiter. »
Mon cœur battait de plus en plus fort dans ma poitrine et une angoisse sans nom me tenaillait l’estomac. Mais, je ne pouvais pas quitter ce sofa amarante, ni détourner mon regard de cette créature de cauchemar aux traits pourtant si humain. D’un geste à peine perceptible de la tête, je l’invitai à continuer et je l’écoutai me raconter son histoire.
« Je suis né dans la France du Vème siècle avant Jésus-Christ, j’ai grandi dans une petite communauté perdue au nord-est de la Bretagne. Nous vivions des produits de la terre et nous vénérions de nombreuses divinités primaires qui furent bannies bien après au profit du culte d’un dieu unique apporté par la dictature du christianisme. Mes souvenirs de cette époque tendent à s’évanouir peu à peu avec l’âge mais je me souviens encore parfaitement de la nuit où je fus engendré pour la seconde fois…
La lune était pleine, jetant sur le monde un voile spectral aux nuances nacrées. Je venais de quitter la couche d’une de mes maîtresses pour rejoindre l’étreinte chaude de ma femme, mais ce fut l’étreinte glaciale et brutale d’un homme en toge qui m’attendait au pas de la porte. Je pensais avoir affaire à une sorte de druide en quête d’une âme à sacrifier pour apaiser ses dieux et je n’étais pas si loin de la réalité en fin de compte. C’était un servant, le laquais d’un ancien vampire qui cherchait à infanter. Il se prenait pour un dieu et avait trouvé en moi quelqu’un d’aussi prétentieux et narcissique que lui-même. C’est la raison pour laquelle, il me choisit parmi tant d’autres.
Après plusieurs jours de captivité et de rites préparatoires dont je ne comprenais pas le sens, le vampire fit de moi ce que je suis aujourd’hui. J’ignore quelles étaient ses aspirations pour moi et ce qu’il est devenu par la suite, car il m’a abandonné, enseveli, ni mort ni vivant, dans une sépulture de pierres, de bois et de terre. En revanche, je me souviens encore très nettement de ce qu’il me murmurait à l’oreille avant de me faire boire le contenu d’un calice d’or. « L’Eternité est le fardeau des Dieux, la mortalité est celui des pieux. » Je pense qu’il a voulu dire que le vampire est un dieu et que les mortels sont ses adorateurs. En tout cas, c’est ce que j’ai toujours cru et je me suis appliqué à suivre son commandement à la lettre. Asservissant des villages entiers, gouvernant au fil des âges des royaumes de plus en plus grands.
Pour ne pas susciter de soupçons sur ma nature vampirique, je m’inventais une indenté, je me créais une histoire et je mettais en scène ma propre mort une fois las de mon règne. Mais le soleil et la journée ont toujours été un frein à mes ambitions et malgré toutes ces vies à errer sur Terre, je n’ai jamais trouvé le moyen d’abattre la cruelle tyrannie de l’aube !
Durant les premiers siècles de mon existence, je me suis mis en quête d’autres créatures telles que moi et après avoir suivi maintes rumeurs, je n’avais toujours rencontré aucun autre vampire. Je commençais à croire que j’étais le seul spécimen de mon espèce. Mon Sire ne m’ayant dispensé aucun enseignement, ce fut lors d’une fornication plutôt musclée, où je bus autant le sang de ma compagne qu’elle le mien, que je découvrisse la possibilité d’infanter. Mais, je préférai utiliser ce don qu’en de rares occasions, horrifié à l’idée qu’un de mes infants ne me dépasse en puissance et tente de me renverser. D’ailleurs, ma maîtresse eut une éternité à laquelle je mis un terme assez rapidement. Je n’avais pas encore la patience et la volonté d’assumer les responsabilités incombant à un Sire.
Il vint un jour où le sang et la peur ne suffisait plus à combattre l’ennui d’une vie beaucoup trop longue pour être supportée. Durant cette période, j’adoptai un style de vie nomade, voyageant de pays en pays, de nations en nations, afin de trouver une raison à mon existence ; et j’en trouvai une dans la personne d’une reine très connue dont je tairai le nom. Elle m’apporta le divertissement dont j’avais besoin, un flot continu d’émotions changeantes et de distractions. Elle perdure encore à ce jour, toujours aussi fraîche et belle.
Au fil de l’histoire, les vampires devinssent de plus en plus nombreux, nous commençâmes alors à nous organiser. Un conseil vit le jour en Europe et je fis plusieurs adeptes qui me suivirent lors de mes voyages. Nous étions comme une famille et j’en étais le patriarche. Ce ne fut que bien des siècles plus tard que je donnai un nom à notre petite coterie d’immortels et ainsi naquit le clan Newrewell.
Il faudrait bien plus qu’un bref rendez-vous pour vous raconter mon histoire en détail, une vie toute entière ne suffirait pas. Voilà pourquoi j’ai synthétisé au maximum afin que vous en saisissiez l’essentiel : les vampires existent, nous sommes de plus en plus nombreux et nous avons soif de vies humaines. Beaucoup d’infants ont été engendré sans nécessité réelle et la suffisance des jeunes vampires est souvent un problème. Le conseil en gère une partie mais, à mon humble avis, la transmission du don obscur devrait être réglementée et limitée. Comme l’a dit mon créateur : « L’Eternité est le fardeau des Dieux, la mortalité est celui des pieux. », or, si rien ne change, il n’y aura bientôt plus de pieux pour nous servir. Nous sommes toujours une minorité mais ce n’est qu’une question de temps avant que le vampire ne prenne le dessus sur l’humanité. A quoi bon être un dieu parmi les dieux, s’il n’y a plus personne pour nous vénérer et nous distraire d’une éternité parfois lourde à porter.
En ce qui me concerne, je suis las de cette vie de damné et si par mon témoignage et le sacrifice de mon immortalité, je pouvais offrir une chance aux Hommes de nous vaincre alors qu’il en soit ainsi ! »
Stupéfaite par l’intensité de son discours, je le remerciai de m’avoir ouvert les yeux sur la réalité du vampirisme. Il ne s’agissait donc pas d’un simple mythe mais d’une menace véridique. De retour chez moi, je m’empressai de décrire dans ce rapport tout l’entretien que j’eus avec Monsieur Newrewell pour que, et je reprends les mots de mon interlocuteur, « rayonne l’affreuse vérité ».
Je publierai dans un prochain article les forces et les faiblesses du vampire avec la coopération de Luthìan Newrewell. Afin que nous sachions à quoi nous attendre et commencions à nous organiser pour nous défendre. Restez vigilant !

Notes griffonnées à la hâte sur le pied de page.