« Luthìan ? »

Mon regard se pose sur la jeune femme assise en face de moi. Teddy-Jean est ma nouvelle protégée. Petite humaine fragile et malade, notre rencontre ne s’est pas bien passée. Elle faisait partie du B.R.I.S. et son coéquipier et elle avaient reçu l’ordre de m’exterminer. Apparemment, il n’est pas au goût de tout le monde que je transforme quelques humains en vampires. On croit à un complot visant à remplacer l’humanité par l’espèce vampirique, mais il n’en est rien. Je pense surtout que je les effraie de par mon âge avancé et que toute excuse est bonne à prendre pour m’éliminer.
Cela aurait pu très mal finir… pour eux j’entends, mais au final, seul le coéquipier de la demoiselle a périt et j’ai compris lors de cette altercation les raisons qui ont poussé cette brigade à faire appel à cette humaine si fragile : Elle possède un don non négligeable, celui de créer des illusions. Parfait pour piéger un ennemi. Néanmoins je n’ai eu qu’une belle vision de sa part, loin de me terrifier. Après cela, je l’ai prise sous mon aile. De force, j’en conviens, mais je n’avais aucunement l’intention de lui faire du mal. J’ai toujours éprouvé du respect pour les humains et j’aime me poser en sauveur. Teddy était parfaite pour cela. Son côté fragile et sa bipolarité la rendant d’autant plus vulnérable… je voulais lui montrer qu’il existait des choses merveilleuses dans ce monde, lui ouvrir les yeux et la rendre suffisamment heureuse pour qu’elle n’ait plus de crise, même si cela n’est pas aussi simple.

« Luthìan ? » Répète-t-elle avec un brin d’impatience dans la voix. Normal, je me suis quelque peu perdu dans mes pensées.
« Qui y a-il Teddy ? »
« Je peu te poser une question ? »
« N’est-ce pas ce que tu es déjà entrain de faire ? »

Un sourire malicieux se dessine sur mes lèvres, tandis qu’une moue s’impose sur son visage. Très bien, j’ai compris. Elle n’a pas envie de jouer.

« Vas-y je t’écoute. »
Voilà qu’elle se mord la lèvre inférieure. Je la vois hésiter. Que se passe-t-il ? Lui ai-je déjà donné une raison de me craindre ? Je veux dire : pour une simple discussion ?
« Comment es-tu devenu un vampire. »

Un rire léger m’échappe. Si ce n’est que ça ! Moi qui m’attendais à quelque chose de plus personnel !

« Vois-tu Teddy, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille comme certains aiment le penser ou le dire. Nos rencontres et nos choix nous mènent inévitablement vers de multiples péripéties. C’est ce qui lui donne son goût. Un peu de piment n’a jamais fait de mal à personne, ou si peu… Si je me targue à l’heure d’aujourd’hui que je suis maître de ma destinée, il n’en a pas toujours été le cas. Se sont les autres qui nous mènent vers notre Destin, nous imposant de part leurs propres choix une vie et un avenir qui auraient pu être tout autres sans eux. »

Je sens qu’elle a du mal à voir où je veux en venir, mais si elle veut que je lui conte mon histoire, je dois y mettre les formes.

« Pour ma part ce fut un Dieu qui décida quel chemin je devais suivre. J’avoue ne pas avoir aimé la tournure des choses sur le coup. J’ai littéralement été enlevé et emprisonné avec pour seules explications, les dires d’un druide qui ne paraissait pas saint d’esprit. Il disait que le Dieu de nos Terres voulait se retirer mais que pour cela il avait besoin d’un successeur. J’ai toujours pensé que j’étais quelqu’un de trop bien pour passer mes journées exclusivement dans les champs et que je méritais bien plus, cette perspective aurait donc dû m’enchanter, mais je n’avais aucune certitude de l’existence de ce ‘Dieu’ sans compter que j’avais du mal à donner beaucoup de crédit aux dires du druide. Je n’étais pas seul, d’autres semblaient attendre aussi ce fameux Dieu, mais ils paraissaient moins serein que moi. Le calme et la patience faisant parties de mes nombreuses vertus, j’ai sagement attendu la venue de cet être divin qui devait faire de moi une divinité. Je suis resté plusieurs jours enfermé, sans qu’aucune plainte ne quitte ma bouche, à réfléchir sur les raisons qui avaient pu motiver son choix. En réalité, il ne m’a pas fallut plusieurs jours pour celui, ni même plusieurs minutes, je savais exactement pourquoi on avait porté son dévolu sur moi. Je possédais un physique avantageux. Mon travail avait en grande partie sculpté mon corps. On disait de mon visage qu’il était beau et doux et de mes cheveux qu’ils avaient la couleur éclatante du blé. Ajoutez à cela toutes mes fabuleuses qualités qui m’est impossible d’énumérer correctement tant elle sont nombreuses – je risquerais d’en oublier – et il est aisé de comprendre ce choix. »

J’attends un acquiescement de sa part mais il ne semble pas vouloir se manifester, alors je reprends ;

« La nuit où il se présenta enfin à moi arriva. Je mentirai si je disais que je ne fus pas impressionné par cet être. Ce qu’il dégageait forçait le respect. Je me suis retrouvé tel un agneau docile face à lui, et même si dans n’importe quelle autre situation je me serai méfié de lui, j’ai accepté ce qui paraissait une bizarrerie lorsqu’il a dit devoir me mordre pour accomplir le rituel. Pourtant j’ai accepté cette situation. Quel fou aurait refusé de devenir un Dieu ? Bien sûr il aurait été fort possible que tout ceci ne soit que mensonge, mais j’étais tellement persuadé d’être voué à un grand avenir que cela m’effleura à peine l’esprit. Par contre, on ne m’avait pas prévenu du supplice que j’allais endurer par la suite. J’ai connu une douleur que je ne pensais pas pouvoir exister et j’ai cru mourir. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé. Je suis mort cette nuit là. Mort pour mieux renaître en réalité. L’épreuve fut cruelle et difficile mais elle valait la peine ! Sauf que j’ai fini par apprendre – et très vite – que je n’étais pas devenu un Dieu, tout comme l’homme m’ayant transformé n’en était pas un. Il faisait partie d’une nouvelle race, une supérieure à celle humaine et j’étais devenu comme lui. Mais il n’avait rien de divin là dedans. Il avait fait de moi un vampire. Nous étions rares, tellement que personne ne soupçonnait notre existence, pas même dans les mythes et les histoires qui ne vinrent que plus tard. Voilà pourquoi on pouvait se faire passer pour des Dieux, grâce à nos capacités surhumaines, nous y ressemblions, enfin, j’y ressemblais ! Le vampire m’ayant transformé pris très vite le large et m’abandonna moi et ma nouvelle condition. J’ai prouvé là ma supériorité en m’adaptant rapidement à ma nouvelle vie. Je sais par expérience que peu de vampires nouveaux nés peuvent avoir un tel contrôle d’eux malgré la présence de leur Sire à leurs côtés. »

Cette fois elle hocha de la tête, approuvant mes paroles. En tant qu’agent du B.R.I.S. elle a dû en voir des incontrôlables.

« J’étais donc devenu un Dieu. Cependant je refusais d’endosser ce rôle. Certes j’aime qu’on m’admire, qu’on me respect, qu’on me serve même ! Mais j’ai toujours su que je n’avais pas besoin d’imposture pour que cela soit le cas ! Je savais que j’obtiendrai tout ceci en étant ce que je suis, pas en prétendant être un autre. Je ne voulais pas m’attirer les faveurs des humains grâce à leur ignorance, j’avais d’autres buts. Chercher mes semblables en faisait parti. Comme je te l’ai déjà dis : nous étions peu, mais je voulais les trouver pour nous rassembler. Je pensais que nous serions mieux ensemble, à partager nos expériences, que seuls de nos côtés. Dans ma quête, j’ai croisé plus d’un humain, cela va sans dire. Au début, j’avais bien du mal à me contrôler quant à l’appel du sang, mais j’ai tenu bon. Je me nourrissais bien entendu, mais je faisais toujours en sorte de les laisser en vie, je ne voulais pas faire des victimes innocentes sur mon passage. Seuls les assassins et les violeurs périssaient sous mes crocs acérés. La punition été à la hauteur de leurs crimes. C’est ainsi que j’ai trouvé comment me nourrir sans jamais toucher un innocent : m’en prendre aux criminels. »

Le silence tombe. J’ai répondu à sa question mais je peux voir dans ses yeux la curiosité grandir et je sais déjà que le sujet ne va pas prendre fin ici.

« Que s’est-il passé ensuite ? Qu’as-tu fait ? »

« Ensuite, j’ai fait parti de l’histoire… Non, pour être tout à fait honnête, je suis l’histoire. J’ai participé à tous les événements marquants existant, de près ou de loin, dans l’ombre ou au premier plan. J’ai par exemple eu le plaisir de rencontrer Alexandre le Grand. J’ai été l’un de ses précepteurs. Il me demandait souvent pourquoi nous étudions la nuit et je lui répondais que l’intellect était plus stimulé lorsque le soleil était couché. C’était un jeune garçon extraordinaire. Dommage que son ambition dévorante ait conduit à tant de morts. Je le déplore encore aujourd’hui mais l’époque n’était pas la même. J’ai connu bien d’hommes et femmes importants, historiquement parlant ou non, mais je t’en parlerai un autre jour. Si je dois te raconter ma plus belle rencontre, c’est certainement celle avec Mekare. Elle avait tout d’une reine. Elle était et elle reste ma fierté. » Si ce n’est pas pour dire qu’elle en était une. Je ne comprends pas pourquoi elle souhaite dissimuler sa véritable identité. De quoi peut-elle avoir peur ou honte ? Cléopâtre a toujours été admirée à travers les siècles, sans compter que je ne peux me vanter d’avoir Infanté la Reine d'Égypte, ma plus belle création, ma délicieuse perfection. Cela ne m’empêche pas de la traiter comme elle le mérite, mais tout de même… c’est un coup dur pour mon ego de devoir taire l’identité de ma plus belle création, mais je plis à ce désir que je ne peux lui refuser.

« Oui, oui… ça je le sais ! D’ailleurs qui ne sait pas à quel point tu es fière de ta Mekare ? »

De la jalousie ? Non, une pointe d’agacement plutôt. Il faut dire que j’aime parler de Mekare tant elle me semble être le joyau de ma couronne. Tant pis… L’histoire de sa tentative de suicide et de mes longues et nombreuses nuits à prendre soin d’elle sera pour une autre fois… ou jamais. Teddy ne me prive pas d’un certain plaisir. Je n’aime pas vraiment raconter ma vie, mon passé, je préfère les garder pour moi. Cependant, je ne vais pas garder le silence alors qu’elle m’a poliment posé une question. J’y réponds, même si j’omets plus d’un passage et que je ne m’attarde pas sur ceux que j’évoque.

« Nous nous arrêtons là alors ? »
« Non ! attends, j’aimerais savoir comment t’es venue l’idée du Conseil ? »
« Oh ! C’est assez simple en réalité. Au fil des années, j’ai appris à apprécier les être humains bien plus que lorsque je faisais parti des leurs. J’aime l’amour qu’ils portent à la vie, leurs joies simples qui les rendent si heureux, tandis que mes congénères sont blasés par leur existence et qu’ils ne savent plus quoi inventer pour la pimenter. Malheureusement beaucoup ne partageait pas mon avis et les meurtres inutiles, les tortures, les abus en tout genre se multipliaient. L’idée de créer un cercle de vampires apportant des lois et les faisant respecter afin de mieux cohabiter avec les autres espèces m’est donc venue. Dorinel Dragoran m’a aidé dans cette tâche. Bien que nous possédions des caractères complètement opposés, nous avons travaillé ensemble sur ce projet. Il a été le premier membre du Conseil. Les autres sont arrivés après. Ils ont été choisi selon leur caractère, qu’ils se rapprochent de mes idées ou non. C’est avec les conflits intellectuels que naissent les grandes idées et pas lors de réunions plates où tout le monde approuve tout le monde. Ainsi, les différentes autorités ont vu le jour en même temps que les lois que nous tenons à voir appliquées. Il y a une loi que j’aimerai voir naître mais il semble que seul l’espoir est mon compagnon sur cette route. »
« Qu’est-ce que c’est ? »
« Je voudrais que les vampires cessent de se nourrir d’humains, ou du moins qu'ils ne mordent que ceux ayant donné leur consentement. Je souhaite que tous ceux de mon espèce traitent les humains avec respect et s'ils n'y parviennent pas, qu'ils se mette au Tru Blood. »
« Pourquoi ne le font-ils pas ? Les humains n’auraient plus de raison de les craindre ainsi, cela ne serait-il pas mieux pour tous ? »
« Je pense que si, mais leur ego les en empêche. Depuis des siècles nous nous vantons d’être au sommet de la chaîne alimentaire et la plus part des vampire traitent les humains comme de vulgaires poches de sang. Si demain on leur disait que ce statu ne leur est désormais plus attribué, ils se sentiraient rabaissés, humiliés. »
« Pourtant, toi, tu ne te nourris plus de sang humain. »
« C'est vrai, je préfère me délecter du sang de mes congénères. »
« Et ça, ils ne trouvent pas ça humiliant ? »
« Probablement, mais ils n'ont pas d'autre choix que de se plier à ma volonté. C’est celui que je suis qui les pousse à accepter cette condition. »
« C'est toi qui a décidé de mettre à jour l'existence des vampires ? »
« Non. C'est une décision du Conseil, je ne suis pas seul à choisir et c'est bien mieux comme ça, c'est pour ça que je voulais un ordre supérieur. Si toutes les décisions ne dépendaient que d'un seul être, cela ressemblerait plus à une dictature. »
« Mais tu étais pour ? »
« Totalement ! Trop de vampires commettaient des crimes dans l'ombre, ne respectant pas nos lois. Nous exposer était une façon de mieux nous contrôler. De plus, nous n'avions pas à nous cacher, se sont les honteux et les criminels qui se dissimulent dans la noirceur de la nuit. »
« Pourquoi avoir choisi Saint Louis plus d'une autre ville ? »
« Le Conseil a été déplacé de nombreuses fois, mais il était finalement évident de venir ici. Le taux de concentration surnaturelle est plus présente ici que n'importe où ailleurs. D'ailleurs c'est assez étrange, on dirait que cette ville attire les êtres surnaturels. »
« Et c'est problématique ? »
« Tout dépend des intentions de ces derniers, mais je comptais pas attendre pour en sujet. En sachant le Conseil non loin, j'espère freiner les envies et les plans malsains de certains. Quoi qu'il arrive, nous veillons... et si cela ne suffit pas, nous punissons. »