• I. L'enfance de Cybèle.

Les cimetières étaient des endroits sombres, froids, et repoussants. La jeune fille détestait y aller, et pourtant... elle était là, assise, devant la tombe de marbre blanc, serrant dans ses mains un bouquet d'orchidées qu'elle n'osait pas lâcher. Elle aurait surement pu pleurer, elle aurait du pleurer. Mais elle ne le fit pas, elle ne fit qu'observer, le nom inscrit sur la stèle. Non, elle ne voulait pas y croire, se résignait à croire que ce qu'elle vivait était réel. C'était la raison pour laquelle elle retournait sur sa tombe, tous les jours. Jusqu'à ce qu'au plus profond d'elle même elle accepte son départ. Tout en elle lui disait de reprendre le cours de sa vie telle qu'elle l'avait laissée avant ce drame, mais son coeur n'y était pas. Il était devenu froid, tout aussi froid que la pierre sur laquelle s'étaient posés ses yeux..

Elle ne désirait pas rentrer, même si chaque parcelle d'elle était gelée jusqu'aux os. La petite fille devait avoir 9 ans, ses longs cheveux brun tombaient sur ses épaules en de jolies boucles volumineuses, et cachaient son visage, comme pour former un voile avec la réalité. La petite fille aurait voulu fuir, courir, aussi loin que le lui permettaient ses jambes frêles. Mais ou la fuite la mènerait-elle ? Si ce n'était que dans une misère qu'elle ne désirait pas ? Personne ne désirait devenir inconnu aux yeux des autres, devenir insignifiant. Perdre votre identité comme si vous n'aviez jamais existé.
Elle aurait voulu crier aussi, mais aucun son ne sortait de sa gorge sèche, contenu comme pour la faire souffrir un peu plus. Son antre tout entier brulait. Cette douleur ne pouvait être décrite avec de simples mots. Il aurait fallu que vous la voyiez, les traits de son visage, défigurée tant la tristesse qu'elle éprouvait à ce moment-là était grande. La tristesse et la douleur sont des émotions difficiles à exprimer. Ce sont des choses, qui, lorsqu'elles sont véritables et profondes, sont gardées pour soi. L'on se cache derrière un masque, pour se protéger des autres péripéties de la vie à venir. Cette petite fille était vêtue d'une longue robe de soie blanche mettant en valeur le brun de sa peau et celui de ses yeux pétillant de mystère. Etalée vaporeusement tout autour d'elle sur la pierre tombale, elle démarquait sa taille fine. Son nom, Cybèle. Vous n'aurez pas besoin de savoir le reste avant que la fin de son histoire vous soit contée, il n'est d'aucune importance.

ANALEPSE

Cybèle était ce que l'on peut appeler une fille réservée. Elle redoutait les personnes de son entourage, car elle ne croyait pas en la mort naturelle et massive de certains. La petite était intelligente et capable de voir ce que la plupart des grandes personne ne pouvaient pas. Peut-être était ce parce que son égo ne la surpassait pas comme ses autres congénères nobles... qu'elle prêtait encore attention aux choses qui l'entouraient. L'innocence est probablement le mot qui convient le mieux pour un enfant. Ils veulent croire que tout est bon, que tout est joyeux. Mais ce n'était pas le cas de Cybèle, qui malgré son jeune age avait déjà vécu nombre de choses qui ne l'étaient pas. Sa mère était morte en la mettant au monde. Son père, désespéré et accablé, avait refusé de la considérer comme sa fille. A ses yeux, elle n'était que la coupable de la mort de sa femme.

Ils habitaient dans la région de Gasconne, son père, son frère, quelques servantes et elle, dans le manoir des Vicomtes de Réans. Mais malgré le désir de donner l'image d'une famille riche et heureuse, elle croulait sous les dettes. On leur accorda durant des années des délais sans cesse dépassés.

La jeune fille, tous les soirs, était réveillée par d'affreux cauchemars venant la troubler, la hanter, la glacer de l'intérieur. Elle se levait, jours après jours, ses cheveux attachés en un chignon défait par le peu de la nuit où elle avait fermé les yeux. Quelques boucles brunes retombaient le long de sa nuque, à la rencontre de sa robe de nuit d'un rose pâle et pure, qui, faute d'être trop grande pour elle, trainait longuement sur le sol, suivant le mouvement de ses pas. Cybèle aimait la sensation que lui procurait les dalles froides sous ses pieds. Ainsi, pieds nus, elle s'engouffrait dans le corridor, long et sombre. Quelques fenêtres venaient l'éclairer, trop peu de fenêtre pour un si grand espace. L'angoisse et la peur venaient l'envahir. Elle accélérait le pas, n'osant se retourner. Il lui semblait que quelqu'un, ou quelque chose, l'appelait. Une voix lointaine semblant provenir de l'endroit le plus sombre, endroit qu'elle redoutait. Les ténèbres. La jeune fille n'osait pas prononcer le nom de ce lieu, mais elle le savait bien. Cybèle possédait ce petit plus, ce petit plus qui faisait d'elle quelqu'un de spécial. Objet de convoitises.

Un nouveau drame vint s'ajouter chez la famille de Réans. Le grand frère de Cybèle tomba gravement malade, et resta cloué au lit des semaines durant, sans aucun rétablissement. Cybèle était alors âgé de 8 ans, et son grand frère représentait tout pour elle. Il était le seul qui avait jamais cru en elle, le seul qui la soutenait et qui l'aimait. Elle s'endormait à son chevet pour se réveiller à ses côtés. Oui, son frère était une partie d'elle. Cybèle, sans son frère, ne signifiait rien. De cinq ans son aîné, le garçon possédait le don, non pas d'entendre, mais de voir les esprits. Ils se complétaient ainsi l'un et l'autre. C'était lui qui lui avait certifié qu'elle n'était ni folle, ni malade, juste différente. Tout comme lui. William avait espéré depuis sa plus tendre enfance, depuis la découverte de sa capacité hors du commun, voir sa mère une dernière fois. Mais, jamais elle ne lui était apparue. Afin de remédier à la tristesse qui l'habitait de ne plus la voir, le jeune homme se consolait avec l'idée qu'elle ait pu trouver la paix.
Lorsque Cybèle remarqua, comprit que son frère se mourrait peu à peu, tomba dans un profond désespoir. Elle refusait de se nourrir, ni même de quitter son chevet l'espace d'une minute, elle s'était jurée de rester avec lui jusqu'à ce qu'il la quitte...

FIN DE L'ANALEPSE

Les cimetières étaient des endroits sombres, froids, et repoussants. La jeune fille détestait y aller, et pourtant... elle était là, assise, devant la tombe de marbre blanc, serrant dans ses mains un bouquet d'orchidées qu'elle n'osait pas lâcher. Elle aurait surement pu pleurer, elle aurait du pleurer. Mais elle ne le fit pas, elle ne fit qu'observer, le nom inscrit sur la stèle... William de Réans.

• II. Qui n'a jamais rêvé d'être quelqu'un d'autre ?

Après la mort de son frère, Cybèle devint une personne toute autre. Et elle acquit les dons de voyance de son défunt frère, désormais capable d'entendre, mais aussi de voir les esprits. Comme si leurs deux pouvoirs avaient toujours étés liés, et que rien, même la mort, ne pouvaient les séparer. Son père rejeta la faute, comme il en avait prit l'habitude, sur sa fille.
Ne supportant pas de voir leur richesses se faire pauvres, et entendre les lamentations larmoyantes de son entourage quant à la pseudo malédiction pesant sur la famille, Cybèle ne fit que s'endurcir un peu plus. La petite fille douce et gentille d'antan devint soudain une jeune femme arrogante et froide. Elle ne pouvait pas comprendre cette prompte effervescence autour de la mort de William. Il n'était plus là, désormais. Et ce n'était pas avec des pleurs, ni même des cris qu'ils arriveraient à le lui rendre. Elle souffrait, évidemment, mais elle avait aussi appris à ses dépends que la vie n'était pas synonyme de joie ou de bonheur. Bien au contraire. Elle enfouissait ses sentiments en elle, afin de ne jamais les laisser paraître, afin que jamais, dans la vie qu'elle envisageait entreprendre, ils ne lui nuisent. Cybèle ne fit pas qu'endurcir son caractère, mais son coeur également.

Lorsque la misère se fit plus grande encore, la jeune femme qui n'avait malheureusement pas encore l'âge de vivre sa vie d'elle-même, fût placée dans un orphelinat près de la capitale. Quitta sa famille pour ne la revoir que très rarement. Ce ne fût pas la distance avec celle-ci qui fût difficile. Mais plutôt le fait de se retrouver avec des jeunes filles de sa condition, de noblesse désargentée. Elle avait pour habitude d'être respectée. Or, ici, ce n'était point le cas. Elle dut se forger un caractère pour se faire entendre et ne pas se faire marcher sur les pieds. Elle devint plus dure, avec les autres comme avec elle-même. Cybèle n'avait pas d'amies à proprement parler dans cet orphelinat. Trop distante, trop mystérieuse, l'amitié n'était pas son but. Ce que la jeune femme désirait plus que tout était retrouver sa condition noble d'antan. Noble non plus de naissance, mais parce qu'elle s'en serait donné tous les moyens nécessaires.

Quelques années plus tard, lorsqu'elle eut la majorité, elle gagna la capitale, puis la Cour. Son désir de faire sa place se fit de plus grand. La manipulation lui sembla le meilleur moyen pour arriver à ses fins. Elle s'inventa un passé plus tragique encore qu'il ne l'était, répandait des rumeurs, pour les plupart mensongères, de sa propre imagination, uniquement dans le but de déstabiliser et décrédibiliser celles qu'elle appelait ses "concurrentes". Voyant que sa stratégie payait, Cybèle poussa le vice encore plus loin et écrasa toutes les autres sur son passage, les unes après les autres. Rien ne pouvait la retenir, elle n'avait plus rien à perdre, déterminée à se rapprocher le plus possible du Roi, se faire une place de choix. Elle était persuadée que sa destiné n'était pas d'être une simple fille de peuple.

Elle renia tout sentiment qui pouvait lui causer du tort : amitié, amour, tristesse... Elle garda tout pour elle, si bien qu'elle faillit par se perdre, en essayant de se trouver. Dès qu'elle fut admise à Versailles, la jeune femme âgée de 21 ans se fit une réputation scandaleuse, passant par toutes les chambres à coucher qui pouvaient avoir des retombées bénéfiques quant à son rang dans la société. Tous les hommes les plus distingués y passèrent, et sans aucun sentiment. Elle alla même jusqu'à appeler cela des "rendez-vous professionnels". Le calme et la patiente furent à Cybèle d'une grande utilité, car malgré des années à devoir se battre, elle arriva à ses fins. La jeune femme fut nommée Duchesse, de par son mariage arrangé. Qui, lui encore, n'était que stratégique.

Elle rencontra peu de temps plus tard une femme qui se faisait appeler Madame de Montespan. De caractère a peu près similaire, mais surtout de but. Les deux jeunes femmes se lièrent rapidement afin de briser les nouvelles favorites du Roi et prendre ainsi leurs places tant convoitées. Mais rapidement Cybèle entraina sa nouvelle "amie" dans la débauche, et sa réputation déclina à son tour.

• III. La perspective d'un nouvel avenir.

Rejetée de tous, Cybèle trouva refuge, à ses 25 ans, dans les bras d'un beau Lord anglais. Un homme au charisme défiant toute nature. Il avait ces yeux qui d'un seul regard vous font fondre. Vous déstabilise, vous n'avez alors plus aucun contrôle sur vos gestes. Observer cette homme à la stature d'Apollon est la seule chose que vous êtes encore capable de faire à ce moment là. Il avait le teint étrangement foncé pour un anglais, les boucles de ses cheveux bruns tombaient dans ses yeux d'un vert émeraude. Jamais Cybèle n'avait été confrontée à un homme semblable à celui-ci. Fort, et fragile à la fois. Il l'emmena avec lui, en Angleterre, la jeune femme ne fut pas bien difficile à convaincre. Plus rien ne la retenait à Versailles, ni même en France. Sa nature fut rapidement révélée aux yeux de Cybèle, car il disposait de capacités qu'un simple humain ne pouvait pas disposer. Force surhumaine, vitesse inégalable, et guérison d'une rapidité surhumaine. Ce furent les trois choses que la jeune femme ne parvenait pas à comprendre. Cybèle n'avait jamais cru aux vampires, pour elle, ils n'étaient que créatures sorties de l'imagination d'un enfant, de légendes. Elle en vint même à douter de la parole de l'esprit qui la guidait depuis son plus jeune âge. Ce ne fût que lorsqu'elle lui fit part de ses suppositions et qu'il affirma ses propos, que la demoiselle se prêta à y croire. Il lui offrit l'immortalité. Cybèle était hésitante, mais, joueuse, elle s'y tenta. De sa transformation, la jeune femme ne se souvient que des crocs de son amant, à la rencontre de sa chair, du gout de son sang dans sa bouche, et des atroces souffrances ressenties. Elle avait même remit la parole du Lord anglais en question. Et si elle ne se réveillait pas ? Et si elle n'avait été qu'une distraction durant trois mois, pour finir en poche de sang ?

Quelques heures plus tard, Cybèle rouvrit les yeux, voyant des choses qu'elle ne pouvait pas distinguer auparavant, pouvait entendre des conversation qui avaient lieu à des kilomètres de l'endroit où elle se trouvait. Tous ses sens étaient décuplés. Elle possédait désormais des mêmes capacités que son Lord. Elle se sentait soudain forte, puissante comme jamais auparavant. Rien ne pouvait décrire l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait à ce moment précis. Invincible. L'impression que plus rien ne pouvait l'atteindre. Mais la faim lui tordait le ventre. Le bel anglais dut lui apprendre à la contrôler, à hypnotiser les humains afin de se délecter de leur nectar qu'était le sang, et à s'arrêter avant que l'acte ne leur soit fatal. Il resta un siècle auprès d'elle, après l'avoir transformée, avant de filer à l'anglaise un beau jour, à l'improviste, et ne jamais revenir. Les années passées à ses côtés furent les plus belles de la vie, ou plutôt devrais-je dire, l'immortalité de Cybèle. Le belle ne sut quoi penser, elle se tâtait entre le fait de lui en vouloir, le rechercher, ou l'oublier...

Elle préféra continuer seule bien qu'irritée d'avoir été si lâchement abandonnée. Cruelle, elle oublia volontairement les règles du vampire et fit souffrir des humains uniquement dans le but de leur faire ressentir ce qu'elle même ressentait intérieurement. Avec le temps, elle l'oublia, faute de ne jamais l'avoir revu, elle ignore où il est, ni même si ce dernier est encore en vie. Elle resta quelque temps en Italie, ne sachant où aller, avant de partir pour l'Amérique, en quête de quelque chose d'attrayant qui pourrait donner un sens à sa misérable immortalité. Là-bas, elle y rencontra un homme, du nom d'Asher Blackstone. Un homme dont la beauté était similaire au Lord qu'elle avait connu. Ils vécurent un amour sanglant et douteux pendant quelques temps. S'entendant bien. Avant que lui aussi ne disparaisse d'un jour à l'autre. Rancunière, Cybèle l'a suivit jusqu'à Saint-Louis, où ce dernier est Maître de la Ville, et elle compte bien lui faire payer son abandon.