315, Forêt de Brocéliande

"Par l’Espace-Temps, le Mouvement, la Matière, les Eléments, la Transformation, l’Esprit."

Les reflets d'argent de la lune dessinaient dans l'ombre des silhouettes toute de blanc vêtues. Cinq, qui se dressaient autour d'un cercle dont les contours sillonnaient le sol terreux de la clairière. Sept compartiments divisaient, six entourant un autre cercle, au centre. Et chaque compartiment renfermait un symbole.

"Et par l'amour !" tonnèrent les cinq voix unies.

Le cercle émit une faible lueur bleutée, avant de s'embraser. L'un des hommes plongea alors la main dans les replis de sa tunique et brandit une pierre, un simple silex, qu'il jeta dans les flammes aux teintes d'azur.

"Que notre pouvoir perdure à travers les siècle, que chaque arbre de la forêt noire soit témoin de notre serment !" reprit-il, seul, d'une voix vibrante, avant que tous ne franchissent le mur embrasé.

Pendant plusieurs secondes, rien ne se passa, puis le feu baissa d'intensité, jusqu'à s'éteindre totalement, replongeant la clairière dans la semi-obscurité de la lune. Un jeune homme, vêtu également d'une tunique, mais d'un noir de jais, sortit alors de l'ombre, et s'approcha du cercle où plus rien ne subsistait. Les hommes avaient disparu. Seule demeurait, au centre, la pierre, qui semblait un peu plus polie qu'auparavant.

"Par le serment des druides, je jure de protéger leur pouvoir." prononça-t-il, en saisissant la pierre.

Puis il disparut, englouti par les ténèbres de Brocéliande.

12 février 1970, Lafayette, Lousiane

"Stan ! Viens voir par ici." appela Tywin Blackwood, depuis son fauteuil devant la grande cheminée de son bureau.

Aussitôt accourut son petit-fils, Stannis, âgé de 7 ans. Les flamme projetaient leurs ombres dansantes sur deux silhouettes : celle du grand-père, Tywin, et celle du père, Robert. Trois générations réunies.

"Nous avons quelque chose de très important à te dire, qui nous concerne tous, les hommes de la famille, et qui te concerne toi."

Il n'en fallait pas plus pour capter toute l'attention de l'enfant, qui s'était assis en tailleur face aux deux fauteuils, dos au feu. Depuis quelques mois il se doutait que sa famille n'était pas une famille comme les autres, en raison de quelques phénomènes étranges, mais chaque fois qu'il se montrait curieux, il n'avait reçu que des réponses évasives.

"Tu aurais fini par le découvrir tôt ou tard, de tout manière. Nous sommes des sorciers, Stannis."

Le long silence qui suivit ne fut qu'à peine perturbé par le craquement des bûches dans l'âtre. Des étoiles se mirent alors à briller dans les yeux du garçon, qui venait de comprendre l'étendue de cette révélation.

"Ca veut dire... que je peux faire de la magie ?"

Dès lors, les deux hommes devinrent des professeurs pour le petit Stannis, qui découvrit avec émerveillement ce dont il était capable. Son père lui révéla même qu'il avait une capacité innée, qu'il lui faudrait travailler, mais qui ne nécessitait aucune formule pour être utilisée.

20 juin 1982, Cape Girardeau, Missouri

"Toutes mes condoléances."

Tels étaient les mots que prononçaient incessamment chaque personne qui franchissait le seuil de la demeure. La villa avait appartenu jusque là à Tywin Blackwood, veuf, et décédé à l'âge de 73 ans. La totalité de ses biens revenait donc à son fils, Robert, qui recevait les sympathies des visiteurs. A ses côtés, son fils Stannis, du haut de ses 19 ans, n'attendait qu'une chose : que son père le conduise à l'étage, comme promis. Il dut attendre une bonne vingtaine de minutes avant que, l'événement géré par Sandrine, épouse et mère, Robert ne le précède dans la vaste pièce, au sommet du grand escalier.

"Tout ceci est à moi, désormais. Viendra un jour ton tour... Mais il y a surtout un objet que je veux te montrer, et qui est passé depuis le IVème siècle de génération en génération."

L'homme s'avança jusqu'à un panneau de bois, l'un des nombreux décorant la salle, et tapa sur l'un des angles. Il fit de même avec le coin opposé, et le panneau pivota, révélant un petit coffre-fort. Après l'avoir ouvert, Robert en sortit une petit pierre, qui tenait dans la paume, noire, polie, brillante.

"Cette pierre renferme un pouvoir plus grand que tu ne pourrais l'imaginer. Elle n'a jamais été utilisée, et ne doit pas tomber dans de mauvaises mains."

Stannis tendit la main pour prendre l'objet, mais son père referma la sienne.

"Non. Je vais changer la combinaison. Retiens bien la date d'aujourd'hui."

Vexé de n'avoir pas pu prendre la pierre en main, Stan finit pas acquiescer, alors que son paternel changeait le code du coffre. Mais un jour, il viendrait, il verrait la pierre, il la toucherait.

19 mai 1990, Cape Girardeau, Missouri

"Stannis Brandon Blackwood, voulez-vous prendre pour épouse Arya Catelyn Grandel ici présente ?"

"Je le veux."

L'échange des consentements fut suivi par un baiser passionné, et les mariés quittèrent l'église sous les applaudissements et les chants gospel. A 27 ans, Stannis était diplômé d'un Master en Justice Criminelle et en Médecine Légale. Travailleur assidu et acharné, il était désormais en mesure de choisir son métier parmi un large panel. Mais avant ça, il avait préféré se marier, officialiser son union avec la jeune femme rencontrée à l'Université cinq années plus tôt.

"Et maintenant, faites-nous un beau petit garçon !" lança Robert, non sans un clin d’œil à son fils.

En parallèle de ses études, Stannis ne s'était pas laissé un moment de répit. Quand il ne travaillait pas ses diplômes, il s'entraînait à la pratique de la magie, et il avait presque atteint la perfection dans la maîtrise de son don : le contrôle des températures. A présent, il allait devoir faire un enfant, un fils, à qui il transmettrait son savoir.

13 janvier 1992, Saint-Louis, Missouri

"Il est magnifique."

Robert tenait dans ses bras le petit Richard, né le matin même, sous le regard attentionné d'Arya, depuis son lit, et de Stannis, assis près d'elle.

"Quel dommage que ta mère n'ait pu le connaître."

En effet, Sandrine Blackwood, fière femme de France, s'était éteinte deux mois auparavant, emportée par une rupture d'anévrisme. Stannis se leva pour récupérer son fils, son enfant, le fruit de son amour. Depuis la naissance de Richard, il n'avait pas prononcé dix mots, tant il était heureux et ému.

"Il sera fort, comme tous les hommes de la famille." annonça Robert, en rendant le bébé à son père.

Après le départ du nouveau grand-père, Stannis s'approcha de la fenêtre. Saint-Louis. Après leur mariage, les tourtereaux s'y étaient définitivement installés, après les quelques années passées en tant qu'étudiants. Cette ville était pleine de promesses, il le sentait.

19 octobre 2002, Saint-Louis, Missouri

"Professeur ? Comment est-ce qu'on doit considérer les CESS ju..."

"Très honnêtement, je ne pourrais vous répondre avec exactitude. Sachez simplement que leur justice est plus... privée que la nôtre. Les vampires, les lycanthropes règlent leurs problèmes entre eux, si toutefois les autorités leur en laisse la possibilité."

"Et les sorciers ?"

Stannis darda son regard rougeoyant sur la jeune étudiante. Dans l'amphithéâtre plein à craquer, le cours de Justice Criminelle avait à peine commencé que les questions sur la révélation fusaient.

"Le potentiel des sorciers est mystérieux, car eux-mêmes le sont. On entend bien plus parler de tel ou tel vampire, de tel loup-garou que de n'importe quel sorcier. La révélation n'est pas forcément ce qui est arrivé de mieux à l'Humanité..."

Les réactions suscitées par cette dernière phrase retentirent, de toute sorte, mais aucune n'atteignit Stannis. Depuis qu'il était professeur à l'université, il avait appris à faire abstraction des commentaires sur sa personne. Son succès était suffisamment important pour qu'il y soit indifférent...

15 avril 2003, Cape Girardeau, Missouri

Stannis pénétra dans le bureau de son père en trombe. Au passage, il jeta sur un fauteuil le journal qu'il tenait. Un article chiffonnait titrait : "Robert Blackwood assassiné par un vampire". Parvenu au panneau, Stan frappa les angles et força l'ouverture du panneau, tant il était impatient. 06201982 : le coffre-fort s'ouvrit à son tour, et l'homme contempla l'objet qu'il convoitait, et qui désormais, lui appartenait. Il s'en saisit, et sentit à son contact un crépitement. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres.

"Je fais le serment, par les pouvoirs de mes ancêtres, de rendre aux sorciers leur gloire d'antan."

Puis il mit la pierre dans sa poche et ferma le coffre, qui désormais, serait inutile.

4 juillet 2011, Saint-Louis, Missouri

"Lord Blackwood ? Vous devriez allumer la télévision..."

Plongé dans la lecture d'un manuscrit, Stannis leva les yeux vers son majordome, qui avait passé la tête par l’entrebâillement de la porte du bureau. Laissant sur la table près de son fauteuil l'ouvrage ancien, le maître des lieux attrapa la télécommande, et l'écran situé dans un angle de la pièce s'alluma, sur le visage trop sérieux d'une journaliste qui racontait les événements du soir.

""... été filmé en direct, vous voyez les images qui défilent sur votre écran, et derrière moi les secours qui se précipitent sur la place principale. La situation a été semble-t-il maîtrisée par le Maître Vampire, le Nimir-Raj et l'Ulfric de la ville, et la BRIS a rapidement rejoint les foules pour stopper le massacre. On compte à cette heure pas moins de 327 morts et des milliers de blessés, hors attaquants. Les autorités nous assurent que la ville est désormais pratiquement hors de danger, mais conseille à la population de rester cloitrée chez elle en attendant la suite des informations.""

Stannis avait le regard fixé sur les images qui défilaient devant ses yeux. Ainsi, ce soir de fête avait tourné au cauchemar, et l'opinion publique n'allait pas manquer de basculer, du moins concernant les sceptiques ou sympathisants de toutes ces créatures...

"Il est temps..." murmura le sorcier pour lui-même, en éteignant le poste.

Sa main se porta à la pierre qu'il portait autour du cou. Oui, il était temps de rassembler les sorciers, de montrer qu'ils étaient bien là, et qu'eux, n'ayant pas pris part à ces massacres, avaient non seulement leur place dans la société, mais surtout, devait être considérés comme des bienfaiteurs.