« I believe I can Fly »

Le ciel est bleu comme en pleine journée d'été, les quelques nuages blancs qui le parsèment ressemblent à s'y méprendre à du coton dont on aimerait se faire un lit, le soleil là haut règne en maître unique et tout puissant. Je me sens léger et apaisé. Tout est sublime si on oubli cette odeur fétide d'ordure en train de bruler. Ah oui, je ne suis pas au milieu d'un champ de fleur ou sur une plage de sables fins... dommage. Je me trouve en fait dans la décharge où travail mon père, là où je passe le plus clair de mes journées et cela non pas par choix, mais parce que je ne vais plus à l'école depuis quand j'ai neuf ans... Les profs n'aiment qu'on mette le feu à leurs casiers apparemment. Moi qui voulais juste me débarrasser d'un bulletin de notes peu reluisant... Enfin, au moins maintenant je suis débarrassé de la corvée d'aller à l'école, certes tous les matins je me lève à quatre heures du matin pour suivre mon père à la décharge, mais après ça je n'ai plus aucune obligation. Je soupire et me redresse. Au loin je vois mon père en train de travailler, lui qui avait quitté l'Europe pour vivre le rêve américain avec ma mère, quelle blague ! Déjà à cette époque je ne pouvais pas le sentir, sans mauvais jeux de mot.

Je dévale le monticule d'ordure sur lequel je m'étais perché et je m'amuse à sauter de-ci de-là. J'aime bouger, j'aime sauter, j'aime faire ce qui me plait quand ça me plait en ne pensant à rien d'autre que ce dont moi j'ai envie, je me moque de l'avis des gens, je n'en ai jamais tenu compte, je suis lib... oh oh... hum... qu'est-ce qui se passe là ? Est-ce que je rêve ou mes pieds ne touchent réellement plus le sol ? Panique ! J'agite les jambes dans tous les sens, mais sans le vouloir je me retrouve à flotter sur le ventre, le sol à quelques centimètres de moi. Je le fixe en me demandant comment cela est possible, si je ne suis pas en plein rêve, mais non ! Je suis réellement à cet instant précis en train de voler ! Ou de planer, je ne fais pas bien la différence, mais bref là n'est pas le sujet ! Peter Pan et Superman n'ont qu'à aller se rhabiller parce que, bordel de merde, un nouveau beau gosse vole !

J'essaye d'avancer, mais rien, je bouge le bassin, je bouge les bras, je fais le crole, pas de résultats... Je pousse un long soupir et là ! Bam ! je tombe comme une merde au sol. Mon nez en prend un coup et je sens déjà que mes narines évacuent un liquide chaud et épais. Bon je ne me laisse pas abattre, j'ai réussi une fois, sans le vouloir, je devrais être capable de le refaire, en toutes logiques ! Il ne me reste plus qu'à savoir comment j'ai fait. Je me relève et là face à moi mon père qui me regarde comme si j'étais le roi des imbéciles (ce qui lui fait concurrence). Je grogne un « Quoi ? » et époussette mes vêtements, même si la différence entre avant ma chute et après n'est pas flagrante. « Qu'est-ce que tu fichais par terre crétin ? ». « Je contemplais la terre imbécile » oui mettre une petite injure à la fin de nos phrases est notre façon, à nous, de communiquer ensemble. Comme on dit : on ne choisit pas sa famille. C'est clair que dans mon cas c'est réellement le cas ! « Ta mère va pas tarder à arriver alors t'éloignes pas trop espèce de bon à rien » Sur ses belles paroles il fait volte face et retourne à ses occupations. Je me retiens de lui balancer la première chose que je trouve à la tête, pourtant l'envie me démange.

« Souris, T’es Papa ! »

Je vis seul depuis que j'ai l'âge de 15 ans, depuis que ma mère est décédée. J'habite dans un petit appartement en ville, j'ai plusieurs petits boulots pour payer mon loyer, mais je ne suis pas à la ramasse pour autant. Je profite de ma vie, sans abuser non plus, bon Ok c'est vrai que je bois un peu beaucoup en soirée et que j'ai déjà testé certaines drogues, mais je suis pas dépendant de ses conneries. J'ai jamais été dépendant de quoi que ce soit. En fait, je peux même dire que je n'ai jamais eu d'attache, même pas ma mère que j'aimais pourtant.

Les gens veulent tous plus de nos jours à ce qu'on dit. Argent, carrière, sexe, ils ont tous envie de ses choses là, personnellement je suis capable de me défaire de chacune d'elles en un battement de cil, sans le moindre regret. Je ne suis pas un moine non plus, ou un marginale, encore moins un anarchiste, nan je laisse ses conneries aux intellos et aux philosophes, je suis pas comme eux.

Sortant de ma douche, j'entends quelqu'un sonner à la porte. Je trouve ça un peu bizarre, mes voisins m'ignorent comme tous bons voisins qui se respectent et je n'ai aucun ami, alors qui ça peu bien être ? Un témoin de Jéhovah ? Je prends une batte dans ma chambre au passage, on ne sait jamais. Quand j'ouvre la porte je tombe nez à nez avec une hispanique qui tient un gosse dans ses mains. Elle me regarde avec toute la fierté imbue à une belle latine et me colle le môme dans les bras. Je laisse tomber ma batte par terre et me saisit de l'enfant qui risquait de tomber au sol sinon. « Isabella ? » « Bien au moins tu te souviens de mon prénom, j'apprécie ! » « Qu'est-ce que tu fous avec ce gosse ? » « Ce gosse c'est le tiens, tête de noeud » « Quoi ? » Je regarde le gosse, punaise j'y connais rien aux enfants, comment je suis censé savoir si c'est le mien ou pas ? Ils pourraient pas avoir une étiquette avec le nom du père collé au cul ? « Il y a pas de doute c'est le tiens, si tu veux qu'on vérifie avec un test pas de soucis, mais je suis sûr que c'est le tien: La période correspond » « Et merde ». C'est la seule chose que je trouve à dire. Je la laisse entrer, bizarrement elle a pas oublié de prendre sa valise pour venir squatter chez moi, si elle avait eu ce genre de bons sens quand on avait couché ensemble en prenant sa pilule, ça m'aurait arrangé. « J'ai autre chose à t'annoncer » « Putain si t'es de nouveau en cloque là ça peut pas être de moi ! » Elle soupire et lève les yeux au ciel. « Le gosse est malade » « Qu'est-ce qu'il a ? » J'étends mes bras pour éloigner le gosse de moi et je croise les doigts pour que ce soit pas une gastro. « Il a une malformation cardiaque » J'arrête mes conneries et la regarde. « C'est génétique et apparemment ça vient pas de moi » Ok est-ce que cette fille c'est genre l'émissaire de Satan ou un truc du style ? Nan parce que si elle a d'autres bonnes nouvelles dans ce goût là j'aimerais le savoir... Je m'assois sur le canapé et je me mets à fixer le bambin qui me sourit. « Pourquoi tu me souris toi ? Tu veux qu'on parie sur le premier qui claque c'est ça ? »

Depuis que je suis gosse je sais que j'ai tendance à m'essouffler pour un rien et de temps en temps j'avoue que j'ai quelques douleurs thoraciques, mais j'étais loin de me douter que c'était parce que j'avais quelque chose au coeur.
Apparemment j'avais hérité ça de ma mère, les médecins que je suis allé voir par la suite m'ont annoncé que j'avais ce qu'on appelle une cardiomyopathie hypertrophique obstructive ou CMO en clair mon cœur est trop gros, d'après ce que les médecins m'ont dit il y a un morceau du cœur qui est plus important et qui bloque le passage du sang dans le ventricule ce qui explique les essoufflements. Mon cœur bat deux fois plus vite que la normal, donc le sang a du mal à passer. Pour moi ça veut surtout dire que désormais je dois prendre des bêta-bloquants, du vérapamil, des diurétiques, des antiarythmiques et un traitement anticoagulant en bonus. L'éclate totale !

« And The Winner Is… »
*roulement de tambour*

Je me retrouve à l’hôpital, moi qui ai jamais pu blairer ce genre d’endroit, voilà que j’arrive pas à le quitter. Isabella est à côté de moi, elle me tient la main et se met à pleurer sur mon épaule. Je ne suis pas tombé amoureux d’elle à force de vivre avec elle, elle est même carrément insupportable et sa voix de crécelle me donne envie de lui couper les cordes vocales avec un ouvre boite, mais je la laisse quand même me pleurer dessus en couvrant mes fringues de mascara bon marché.
Je ferme les yeux, j’ai mal.
Je n’ai jamais été attaché à rien que je disais, ouai bah il y a une chose à laquelle je me suis attaché de toutes mes tripes et là on me le prend. Je trouve ça un peu sadique quand même. J’espère que si Dieu existe ça le fait marré au moins, parce que là je vois pas trop ce qu’il chercherait d’autre que de se foutre de ma gueule.
J’ai même pas le droit de le toucher.
C’est quand même moi qui l’ai élevé pendant cinq ans, je devrais au moins avoir le droit de l’embrasser avant qu’ils l’emmènent. Je me contente de les regarder s’éloigner avec lui. Je veux même plus penser à son nom, parce qu’il me torture. Plus jamais je ne veux entendre son nom dans la bouche de qui que ce soit. Il est mort, c’est tout. Il faut que je me calme et que je n’y pense plus. J’y arrive pas, vraiment pas. J’entends l’autre renifler à côté de moi.

« Tout ça c’est ta faute ! C’est à cause de toi qu’il a eu ce truc ! »

Ok on passe des câlins larmoyants à la scène de ménage et aux cris de furie d’Isabella qui se met à m’insulter en espagnole en me martelant de coup. Je la laisse faire, ce qu’elle pense n’a pas d’importance. C'est pas comme si j'avais voulu qu'il chope ce que j'ai. J'y suis pour rien moi... J'y suis pour rien.... J'y suis pour rien... J'y suis pour rien... J'y suis pour rien... Combien de fois faut que je me le répète pour finir par y croire ? Quelle merde...

Elle s'en va la première, en m'injuriant encore au passage. Je reste là un moment, je ne sais pas combien de temps au juste, en tout cas suffisamment longtemps pour que les infirmières de garde oublient la bienséance et me demandent de quitter les lieux. Je marche, mais je ne m'en rends même pas compte, je n'ai pas l'impression de mettre un pied devant l'autre. Dans la rue je sens que les gens me fixent, est-ce que j'ai l'air d'un fou ? Surement. J'en ai marre de me sentir épié, alors je les emmerde tous et je fais ce que je fais le mieux : je m'envole.

Avec la grâce de cet enfoiré de Peter Pan je m'envole par de là les nuages. Oui je suis un débile de faire ça devant les gens, mais je m'en moque, les autres ce sont bien révélés, alors pourquoi ça les gênerait de voir un type voler ?

Je me demande si ça serait un problème que je reste ici un petit moment. Le plus longtemps que je sois resté en l'air c'était une après-midi entier, mais j'étais retourné à terre juste pour aller dîner, pas par fatigue. Si je reste trop longtemps en l'air est-ce que je finirais par tomber ? Comme un avion qui n'aurait plus d'essence ? Je sens l'air du soir contre ma peau et j'en oublierais presque la mort de mon fils. Quand je vole c'est bizarre, mais je suis littéralement déconnecté du monde d'en bas. Ma vie n'existe plus, il y a juste moi et le ciel, c'est tout. Pourquoi me mettre aux drogues dur quand je peux avoir : ça. Je me mets sur le dos et me laisse tomber quelques mètres plus bas en souriant, puis je m'élance de nouveau en l'air. J'oublierais facilement l'existence de ce monde si je ne le voyais pas à travers les nuages.

Je fixe la ville derrière la nappe de nuages qui me recouvrent et je pense à lui. Si le monde pouvait disparaître, pas lui.

« We’re all Mad Here ! »

Non je ne suis pas devenu dépressif après ça, je suis retourné à ma vie normale sans rien y changer. Isabella est repartit le jour de... le jour où ça c'est produit et je n'ai plus jamais entendu parler d'elle et je ne m'en plains pas. Je préfère qu'il en soit ainsi. J'espère qu'elle a pu tourner la page, je sais qu'elle aimait beaucoup le petit elle aussi, après tout, malgré son fort caractère elle était sa mère.

Aujourd'hui je déménage parce que là où je vis il n'y a plus assez de travail pour moi, alors je vais aller dans une ville voisine où j'ai déjà un plan de prévu pour travailler dans un restaurant, ce qui sera déjà pas mal pour commencer. Je compte cumuler les petits boulots comme j'en ai l'habitude, à moins que je ne trouve une place qui paye bien, mais ça m'étonnerait.
La ville à mauvaise réputation, surtout depuis qu'il y a eu du grabuge là-bas le 4 juillet dernier.
Personnellement, du moment que je bosse et que je m'amuse, que ça soit Saint Louis ou Pétaouchnock j'm'en contre fiche. Les vampires et autres créatures surnaturelles ne me dérangent pas plus que ça, du moment qu'elles n'approchent pas leurs crocs de moi, je veux bien faire copain-copain avec eux.

Je finis d'emballer mes affaires et je descends ranger le tout dans le coffre de mon tacot. Je n'emporte pas grand-chose en dehors de quelques fringues, de ma cafetière et d'un carton remplis de bouquins. Je jette un dernier petit coup d'œil à l'immeuble dans lequel j'ai vécu pendant plusieurs années et je démarre. Cet endroit ne vas pas me manquer le moins du monde. Je vois les voisins à leur fenêtre qui me regarde partir. On peut pas dire que ça les chagrines beaucoup, loin de là. On dirait qu'ils attendaient que je parte avec une grande impatience, même si je n'étais pas le plus bruyant des voisins ils ne devaient pas apprécier ma tête d'immigré basané.

La route défile sous mes pneus et j’allume la radio. Ça fait maintenant deux heures que je roule et j’arrive enfin au panneau qui me souhaite la bienvenue à Saint Louis. J’écoute la radio se mettre à grésiller pour finir sur une émission locale qui m’annonce les nouvelles du jour. Barbant. Je change de station et j’aperçois une demoiselle sur le bord de la route. C’est la nuit et la ville est censée pulluler de vampires, avec la chance que j’ai si je m’arrête la prendre en stoppe ça risque d’en être une. C’est pas que j’ai pas confiance, mais elle pourrait me vider que personne s’en apercevrait… En même temps j’ai jamais été très logique, ni raisonnable comme mec alors je me range sur le bas côté et j’la laisse grimper.

Finalement, s'en est bien une, quand je vous dis que je suis chanceux je fais pas semblant ! Il n'y a pas eu de soucis, elle ne m'a pas vidé, enfin... Bref ! J'la dépose en ville et je fais route vers le petit appartement que j'avais vu dans une annonce. Le quartier a pas l'air trop mal, du moins j'ai vu pire. « Bienvenue à Saint Louis. » me déclare la petite bonne femme qui sort de l'immeuble où je vais vivre, surement la proprio. « Ouai c'est ça, Bienvenue à Saint Louis...».