En tant que latine pure souche aux origines orientales non négligeables, je suis une de ces femmes dont on devine l'origine au premier coup d'oeil, ou presque. Ma crinière de feu y est peu être pour quelque chose, longue, brune et sauvage, encadrant un visages aux traits fins mais affirmés, qui ont du chat. Oui, je préfère ça au « chien ». Le deuxième indice aurait sûrement été mes yeux, pétillants de malice, sombres mais lumineux à leur façon, et sans aucun doute expressifs. D'ailleurs, tout mon visage ne se meut qu'en esquissant grimace sur grimace, toutes plus farfelues les unes que les autres. C'est quand je tire la gueule qu'il faut s'inquiéter. Mon nez pique un peu vers le bas, un trait que je dois à mon père, tandis que mes lèvres, pulpeuses sans être charnues, sont une qualité dont je remercierai toujours ma mère. Je ne suis pas très grande, et alors ? Je me sens bien dans mes boots, et c'est le plus important. D'ailleurs, même si je ne surplombe pas les têtes de tout le monde comme ces mannequins montés sur échasses, je reste tout de même assez mince et athlétique, résultat de mes nombreuses heures de cavale dans la forêt. Ou dans la salle de sport, au choix. Et puis j'arrive toute de même à attraper les pots de bonbons que je m'étais juré de ne plus toucher, perchés sur les plus hautes étagères de mon appartement. Comme quoi, avec de la volonté et surtout de la souplesse, on arrive toujours à ses fins. Certains peuvent me trouver attirante, d'autres peuvent ne voir en moi qu'une fille banale comme les autres, mais une chose est sûre, je suis féline. Ma démarche est calme et souple, je suis toujours aux aguets de l'environnement dans lequel j'évolue, mais je tiens avant tout à rester discrète et à n'éveiller ni ardeurs, ni soupçons quant à ma nature. Les lycanthropes, qu'ils soient canins ou félins, n'attirent pas les « free hugs » dans la rue, croyez-moi. D'ailleurs, pour preuve, je doute que si je venais à me métamorphoser dans une boutique, on vienne me demander « Vous le prendrez en 38, mademoiselle ? » si j'apportais dans ma gueule et entre mes crocs, une petite robe d'été en crochet. Non, ça serait plutôt un cri perçant et une cohue dantesque. Pourtant, mon pelage est doux et soyeux, tacheté avec goût, mes oreilles sont toutes droites, malgré le fait que l'une d'entre elles soit coupée sur le bout, et ma queue se balance au gré de mon pas. Je ne suis qu'un gros chat. Mais un gros chat qui mord fort.

Quand on vient du sud, on a souvent un tempérament qui y correspond, et ça, tout le monde le sait, où qu'on soit sur cette petite planète ronde. Quand on est italienne, cette vérité générale est d'autant plus vraie. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas une de ces ragazza qui se mettent à hurler sur tout et n'importe quoi, et qui s'entichent de tout et n'importe qui, et qui vivent la dolce vita sans se soucier du lendemain. Je suis juste très légèrement beaucoup susceptible, et je pars souvent au quart de tour. Mais rien de bien méchant, je reste une gentille fille, hein. Bon, sauf quand je suis prise d'une de mes crises, celles qui consistent à me rendre complètement folle et incontrôlable, me rendant parfois sanguinaire. J'arrive à me restreindre, mais c'est dur, je n'ai pas encore assez de maîtrise en tant que léoparde-garou. En règle générale, je suis discrète, assez peu loquace et souvent mal à l'aise dans la foule, ou si l'attention porte trop sur moi. Appelez ça l'agoraphobie, moi j'appelle ça le calvaire de la société. Un rien peut m'énerver, même si je le dissimule très habilement sous une grimace un peu renfrognée, une sorte de mine bougon qui passera en fin de journée à tous les coups. Il en faut beaucoup pour que je m'énerve vraiment, et quand c'est le cas, attention à la déferlante, ça peut faire mal, surtout si je sors les griffes. Mais ces cas restent rares, j'évite la provocation dés que je le peux, et quand j'ai tort, même s'il faut que je mette trois plombes pour m'en rendre compte, je sais m'avouer vaincue. Même s'il m'arrive d'être mauvaise perdante, très souvent. Mais derrière cette panthère farouche se trouve un gros chat plein d'amour et d'affection, douce comme le pelage d'un angora, et chaleureuse comme le soleil tapant sur les roches dans la savane. Cette partie là de moi-même ne fut que peu révélée par le passé, je reste très méfiante du monde et des gens, certaines que chaque acte est loin d'être désintéressé. Pour gagner ma confiance, rien ne sert de me forcer la main, je suis loin de l'accorder au premier venu, quelques soient les arguments qui pèsent dans la balance. Alors en attendant, seuls mes chats bénéficient de cet amour de chat-bisounours que j'ai en moi et dont je déborde. Les veinards, je sais. Je pense qu'ils ne disent pas la même chose quand je les étrangle amoureusement dans mes bras.

❝ La Dolce Vita. ❞

ITALIE • Mon pays, ma patrie. C'est le sang qui coule dans mes veines, l'air que mes poumons n'oublieront jamais. J'y suis née en août 1968, le vingt-quatre du mois, à Florence. Ma famille m'accueillit avec beaucoup d'amour. J'héritai des traits orientaux de mon père, égyptien d'origine ayant émigré en Italie, et de la beauté de ma mère, florentine de naissance, tout comme moi. Les vents chauds de la fin de l'été m'avaient enroulée dans leur étreinte chaleureuse, me promettant monts et merveilles. J'aurais pu poursuivre l'entreprise de mon père, la place y était déjà réservée, ou bien j'aurais pu être comme ma mère, une amoureuse de la dolce vita, une vie douce et tranquille, au rythme des chants d'oiseaux, appréciant la caresse du soleil sur ma peau à chaque heure de la journée. Pendant mon enfance, innocente créature grandissant au fil des années, rien ne laissait présager que mon coeur serait brisé si violemment. Mon père nous quitta. Brusquement. Sans prévenir. Non, il n'était pas mort, mais quelque part, une petite voix dans ma tête suggère toujours que ç'aurait été du pareil au même. Il quitta la maison, dans un coup de colère propre à son tempérament totalement imprévisible. Ils nous laissa seules, ma mère et moi, sans pour autant nous enfoncer dans les dettes et l'abandon. Un père digne, diraient certaines langues bien pendues. À mes yeux, j'avais un père. Point barre. La trahison la plus terrible fut de savoir qu'il avait été avec une autre femme avant même qu'il ne commence à piquer des colères noires. J'étais dévastée. Bien entendu, j'étais trop petite pour porter de telles réflexions dans cet esprit encore innocent, mais déjà brisé. Ma mère n'en fut pas tellement bouleversée, même si ses sourires s'effaçaient parfois. La dolce vita, ce n'est qu'un rêve, et ma mère était redescendue sur Terre. Plus je grandissais, plus je nourrissais une sorte de haine mêlée de tristesse à l'égard de mon géniteur. Rancunière comme je suis, cette rancoeur traîne encore aux tréfonds de mon coeur, comme une écharde douloureuse qui fait toujours encore plus mal quand on la frôle du bout de la griffe. Il gardait contact avec nous, mais je ne savais que dire. Même mes exploits, même mes rêves, mes espoirs, il les écrasait du poids de son pragmatisme tonitruant, de sa vision réaliste et presque défaitiste de la vie. J'étais bonne élève, mais je ne forçais pas trop sur mes capacités. Cela lui suffisait à dire que je n'allais pas réussir. Comment un enfant peut-il rester candide quand on lui demande de grandir si vite ? Comment est-ce qu'il a pu me façonner ainsi ? À peine âgée de plus d'une dizaine d'années, j'étais mature, réaliste et pragmatique. Pourtant, une partie de moi continuait de croire à toutes ces fantaisies qu'on m'avait reprochées par le passé. Ma mère n'avait jamais eu un mot blessant à cet égard. Une seule grimace farfelue suffisait à me poser des questions et discuter avec elle de ce qu'elle pensait être dérangeant ou pas assez creusé dans ce que je disais. Pas comme mon père. Je faisais tout en mon pouvoir pour effacer toute trace de son influence sur moi, même ses traits génétiquement implantés en moi. Je ne vous dis pas combien de fois j'ai éclaté en larmes en regardant dans le miroir et en voyant que je lui ressemblais à ce point. Mais je n'y pouvais rien, il fallait que je m'y fasse. Chose difficile quand les hormones jouent au yoyo, dans cette période bien aimée que l'on nomme puberté. En tant qu'adolescente, j'étais le genre discrète, mais qu'on sait qu'elle existe. Sans être populaire, je n'étais pas non plus la tête de turc que l'on bizutait à tout va. Une période de ma vie qui passa bien vite, et qui s'efface petit à petit dans ma mémoire. Qu'allais-je faire de ma vie ? La question du siècle. Il m'arrive encore de me la poser, aujourd'hui. La seule alternative, pour satisfaire mes désirs et concilier mes passions avec le monde du travail, c'était d'aller à l'université.

❝ Renaissance. ❞

FLORENCE • Mes études ? Un parcours aussi compliqué qu'un dédale de labyrinthes, vous voyez le truc ? C'est pire qu'une pelote de laine emmêlée, ou des fils électriques complètement coincés les uns dans les autres. J'aimais tout et n'importe quoi : l'art, les langues, le cinéma, le journalisme, l'histoire, les sciences - à petite dose tout de même - et je ne pouvais me décider, ou me résoudre, à ne choisir qu'une seule discipline. Alors les trois premières années de ma vie, je les dédiai à l'art. J'intégrai une école d'art afin de peaufiner mon coup de crayon, que certains appréciaient, et que d'autres trouvaient sans intérêt. Moi, je les emmerdais, ceux-là. Mais après trois longues années de dur labeur, je ne trouvai plus l'inspiration. À quoi bon continuer quand cela vous arrive ? Il faut laisser le temps à votre muse de revenir de vacances et de récupérer du décalage horaire avec le Mont Olympe. Alors j'intégrai une autre université,étudiant de concert les langues et l'histoire, particulièrement l'antiquité. J'avais déjà de considérables facilités avec les langues, alors il m'était possible de bûcher deux fois plus afin d'ajouter à ma culture générale plus de faits historiques beaucoup plus tangibles que toutes ces fables mythologiques, légendes et contes qui habitaient en permanence mon esprit, pour ne pas dire mon âme. Mais là encore, je ne trouvais pas ma voie. Alors pour moi, fini les études, place au monde du travail. Enchaînant petits boulots sur petits boulots, j'étais serveuse dans un café sur la place de la Seigneurie, puis hôtesse dans un petit hôtel près du Ponte Vecchio, ensuite je me rappelle avoir été guide stagiaire au musée des arts, mais seulement parce qu'une cousine de ma tante avait du garder le fils de sa belle-soeur. Un truc du genre. Là, j'avais vingt-sept ans. Diantre que le temps eut passé vite à cette époque. Et encore, je n'avais pas trouvé de travail stable, ma vie sentimentale ne comptait absolument rien d'extraordinaire, j'étais une italienne de plus sur terre de sienne.

TOSCANE • J'avais décidé de rompre quelques liens avec ma terre natale, et de m'éloigner des terres pour aller vers la mer, vers une étendue d'eau qui inspirait une sorte de renaissance à mes yeux. Je fus assez chanceuse de trouver une vieille maison non loin des calanques toscanes. Vu le chat noir que j'étais, cela relevait de l'exploit, et peut-être même du miracle. Un lieu parfait pour me ressourcer, et surtout m'inspirer. Oui, ma muse était revenue, elle avait ramené des souvenirs pour tout le monde, et ça y est, je me remettais à créer. Tout comme ma mère, je m'étais éprise de la peinture. Je montais moi même mes toiles à l'ancienne, avec des clous sur le cadre de bois, et de la force pour tendre la peau de la toile. Mes couleurs étaient toutes chaudes et chaleureuses, rappelant celles qui m'entouraient. Mais souvent, il m'arrivait de peindre un autoportrait dont l'expression figée reflétait parfaitement le titre que je donnais à ces petites oeuvres : tristezza. Tristesse d'un temps révolu, tristesse d'un destin que je n'ai pas pu prendre en main, tristesse d'une enfance disparue, déchirée en lambeaux. Il fallait tourner la page, mais le vent des limbes ramenait cette page sous mon nez plus que je ne le souhaitais. Enfin soit. Je vivais de mon petit commerce de toiles, et je me sentais bien dans ce que je faisais, chose rare : je devais être atteinte d'insatisfaction chronique, vu le nombre de fois qu'il m'arrivait de laisser dépérir des esquisses dans les recoins de mon petit atelier. Pourtant, même si je savais que le chemin sur lequel je m'étais engagée menait sûrement quelque part, l'ignorance et la peur me firent stopper net mon élan, et j'arrêtai de peindre. Niveau remise en question et introspection permanentes, je devais mériter une médaille d'or. Alors je fis ce que je faisais toujours pour me changer les idées : sortir de mon petit cocon et aller respirer le grand air, celui d'une Méditerranée majestueuse comme à son habitude. Petite, j'avais toujours aimé crapahuter partout, alors il m'était facile de descendre des falaises escarpées mais pas si hautes de la Toscane pour venir m'asseoir au rebord d'un précipice, perdu dans les bosquets, un petit plateau agréable pour tout oublier. Cependant, une route avait été récemment construite non loin, on entendait passer les voitures, les touristes, les chauffards. D'ailleurs, un groupe d'amis devait s'être arrêté un peu plus au dessus car je les entendais parler entre eux, d'une voix forte, apparemment enjouée. Puis ils se turent. Et je profitai du bruissement des feuilles, du souffle du vent contre les parois rocheuses. Et je fus foudroyée.

Je n'entendis rien à part des cris lointains, une sorte d'appel, et puis ce fut comme si la Lune même était venue s'écraser contre ma pauvre poire. Je ne sentis rien, je ne vis rien, j'étais peut-être déjà morte. Une chute d'astéroïde ? Presque, c'était une espèce de léopard géant, la bave ruisselant dans sa gueule grande ouverte, déchiquetant mes vêtements, et ma peau au passage, grognant de toute sa gorge. Je ne voyais que malgré moi, si j'avais pu, j'aurai fermé les yeux et espéré que j'avais lu trop de livres fantastiques la veille. Mais non, j'étais bel et bien éveillée, et la douleur lancinante qui se manifesta brutalement me fit verser des torrents de larmes. Je pris enfin conscience de ce qui m'arrivait, et même si je ne savais pas le pourquoi du comment, notamment la réponse au fameux « Pourquoi moi, nom de Zeus ? », je fis tout ce que je pouvais pour retenir les crocs acérés du fauve affamé loin de mon visage. J'avais visionné assez de documentaires animaliers pour savoir qu'ils visaient en priorité la carotide chez leurs proies, et ma carotide allait rester la où elle était. Les sensations me revinrent encore plus intenses et la douleur mêlée à la confusion de tous mes sens me fit perdre du terrain. Ca et le fait que je perdais beaucoup de sang. Un moment de faiblesse et le félin planta ses crocs entre mon épaule et ma clavicule. L'inexpérience de celui-ci me sauva la vie, quelques centimètres plus près de ma gorge et j'étais cuite. Je hurlai de douleur, en me débattant, sentant ma fin approcher, quand une autre silhouette massive s'abattit sur mon prédateur. Je ne vis qu'un pelage brillant sous les rayons du soleil, puis un homme, qui s'approcha de moi et prononçait des mots qui n'atteignaient pas ma conscience. Ma vue se troubla, et la douleur fut telle que ce fut le trou noir. La perte de sang massive m'avait presque tuée. Puis ce fut le réveil. Brutal et douloureux. Confus et agité. Dés que je me sentis reprendre conscience, je bondis sur place, haletant, comme une furie en transe. J'avais peur, je ne savais pas où j'étais, puis j'entendis quelqu'un au pas de la porte. Un homme, étrangement ressemblant à celui qui... Celui qui m'avait sauvée. Il essayait de sourire, de me rassurer mais je reculai jusqu'à heurter un mur. Il essaya de m'apaiser mais rien n'y faisait, j'étais déchaînée, et aussi prise d'étonnantes douleurs lancinantes. Je tournai la tête vers la fenêtre la plus proche, et je vis qu'il faisait déjà nuit. Puis haut dans le ciel, elle était là. La Lune.

« Il faut vous calmer, c'est la pleine Lune. »

Ses paroles n'avaient aucun sens pour moi, je ne comprenais pas pourquoi il trouvait si important de me mettre en garde contre la Dame d'Argent. Et d'un coup je me mis à hurler en tombant à genoux. Mes entrailles se déchiraient, je sentis le goût du sang remonter jusque dans ma bouche qui se déformait dans un rictus morbide. La douleur était telle que j'étais en pleurs. Dans un élan apeuré, je me tournai vers lui, démunie, appelant silencieusement à l'aide. Il se précipita vers moi et me porta jusque dans le canapé dans lequel il m'avait recueillie, encore tâché de mon sang. Des sangles de fortune y avaient été attachées et il les plaça autour de mes poignets. Sans comprendre ce qu'il faisait, je cherchai dans ses yeux une once d'honnêteté, et j'y vis la confiance que je n'avais jamais pu accorder aux autres. Une partie de moi se calma, alors que la douleur s'intensifiait graduellement. Il faisait ça pour mon bien, à en croire cet air sûr de ce qu'il faisait. Mais, la pleine Lune, qu'est-ce que ça avait à voir avec... Moi. Une autre décharge me brisa un peu plus, me faisant hurler toutes mes tripes. Si j'avais pu encore sortir des idioties en ce moment pareil, j'aurais même pu croire que mes tripes seraient allées se coller contre le mur, avec ma cervelle. Et je sentis mon corps se mouvoir, à changer, je le sentais. Mes sens s'aiguisaient, mes crocs poussaient, je sentais même une masse mouvante sous mon corps. La fourrure poussa sur ma peau, et couvrit l'entièreté de mon corps qui ne ressemblait plus à un corps humain. Ma crinière s'évapora et je perdis conscience à nouveau, émettant un râle guttural, un râle félin.

❝ Renouveau. ❞

Lorsque j'ouvris les yeux à nouveau, la douleur était passée. N'était-ce qu'un rêve ? Est-ce que j'étais tombée sur un bosquet d'opium et je m'étais tapé un trip toute seule ? Au vu des environs, je dirais que non. J'étais dans la même sorte de maison délabrée, une de celles que l'on louait aux touristes. J'avais des vêtements propres, mes plaies avaient été correctement pansées, mais elles méritaient bien du repos. Je portai ma main à mon oreille droite et remarquai qu'elle avait été déchiquetée et qu'un morceau était manquant, mais ça avait un peu cicatrisé. L'état des lieux avait été fait, maintenant, qu'est-ce que j'allais faire ? Il m'avait peut-être abandonnée ? Au moment où j'y pensai, un bruit de vaisselle retentit dans ce qui semblait être la cuisine. Presque littéralement poussée par ma curiosité, je suivis les sons qui provenaient de là où il se trouvait pour l'y rejoindre. La toute petite table dans la petite cuisine comportait des livres quelque peu poussiéreux et un casse croûte emballé dans un sachet. Je vis que l'homme semblait étonné de me voir à l'embrasure de la porte. Ca devait le changer de la furie qui hurlait comme une pythie. Puis je me mis à réfléchir. Il était comme moi, enfin, presque. Cette silhouette quand je me faisais attaquer, ce n'était pas celle d'un félin, on aurait plus dit un grand loup, massif et menaçant. Mes yeux se posèrent sur les bouquins. Ils parlaient tous de mythes de différentes époques, et tout près gisait un carnet manuscrit, comportant plein d'annotations personnelles. De la lecture et de la nourriture, prêts à être emporté dans un sillon. Il avait pensé que je filerai à l'anglaise. Moi même, j'y pensais sérieusement. Mais il s'assit, une tasse devant lui, me regardant patiemment alors que je débattais avec toutes les voix dans ma têtes qui se battaient les unes contre les autres. Puis sans m'y attendre, je vins m'asseoir en face de lui, encore méfiante, et j'ouvris le sachet pour humer la bonne odeur des pâtisseries fraîches. C'est là qu'il m'expliqua tout. Les lycanthropes, qu'ils soient loups ou léopards, les mythes étaient bien fondés. Il prit le temps d'écouter mes questions, mais plus il me répondait, plus je devenais muette. J'étais un monstre. Plus jamais je ne reverrais ma famille, ni les quelques amis que je m'étais faits. Je me levai, pris les bouquins et ouvrit la porte qui donnait sur la petite route du village. Même pieds nus, dans mon t-shirt trop grand et mon bermuda délavé, je continuai de marcher. Puis je revins en trombe dans la cuisine, le surprenant au passage et je m'arrêtai sec devant lui. Ma crinière ébouriffée sur le visage, je tentai d'esquisser un sourire convainquant. Je me penchai prudemment devant lui et déposai un baiser sur sa joue.

« Merci de m'avoir sauvée. »

Puis je m'en allai, même s'il avait tenté de me retenir. Il me fallait partir loin de tout, partir loin de ma terre natale. Je pris quelques jours chez moi afin d'étudier les bouquins et le carnet que le loup m'avait donné, puis je décidai de tout quitter. Il me fallait du renouveau. Et ce renouveau, je le trouvai à Saint Louis. Loin du Vieux Continent, et loin d'être une région aussi peuplée que la côté Est par exemple. C'était la première fois que je venais aux Etats Unis, pour moi aussi, à ma façon, réaliser le rêve américain. Celui de comprendre ce que j'étais, d'apprendre à mieux me connaître et me maîtriser, et surtout : savoir que je n'étais pas seule. Je ne cherchais pas à m'intégrer, j'étais quelque peu solitaire sur les bords. Mais j'appris qu'il existait d'autres races mythiques qui étaient loin de n'être que des contes pour enfants. Les vampires côtoyaient les lycanthropes et les sorciers, et les humains choisissaient leur camp entre êtres surnaturels, ou oeuvrer pour la sauvegarde de l'humanité de façon plus ou moins inquisitrice. Je m'installai à Saint Louis et trouvai un endroit pour vivre, un travail pour subsister. J'avais trente ans. À présent j'en ai une dizaine de plus, et je n'ai pas pris une seule ride depuis.