Les premières gouttes de sang tombèrent sur la neige vierge et pure, tandis que le visage de Néron se figeait dans une grimace de douleur. La créature blonde se tenait derrière lui, ses lèvres embrassaient délicatement le cou du jeune homme, sa peau pâle tranchant violemment avec celle, rougie par le froid, de sa victime. La femme dardait ses yeux d'un bleu glacial sur l'adolescente qui accompagnait Néron. La brune restait immobile, fixant la vampire puis son frère, qui peinait à articuler quelques morts. « Sauve-toi, Storm... » Elle ne parvint pas à prendre ses jambes à son cou, comme lui enjoignait son frère. Elle voulait graver dans sa mémoire les yeux de cette femme, de ce monstre. Puis Néron devint pâle, comme exsangue, et la créature le laissa tomber au sol. Deux sillons rouges s'écoulaient des lèvres de la vampire blonde et Storm sembla s'éveiller à leur vue. « Je vous tuerais. Cela me prendra peut-être toute ma vie, mais je vous tuerais. » La jeune femme laissa échapper un rire cristallin, aussi pur et limpide qu'une pluie de diamants. « Alors, je t'attendrais. Je n'aurais de cesse de t'attendre, petite Storm. Deviens celle qui sera capable de m'arrêter et tue-moi. » Les lèvres de la jeune fille s'étirèrent en un sourire cruel, auquel répondit celui du vampire. Aucune d'elle ne s'arrêterait avant que l'autre ne soit morte, peu importe combien de temps cela prendrait. Elles s'opposaient, Storm, brune, meurtrie, terriblement humaine, et la vampire, blonde, triomphante, majestueuse au milieu de la neige du Minnesota. Elle avait l'air d'une déesse du Nord, descendue sur Terre pour écraser l'humanité de son aura glaciale. Elle tuait toute vie autour d'elle. Les arbres sans feuilles avaient l'air définitivement morts, Néron, à ses pieds, agonisait. Storm, quant à elle, semblait plus vivante que jamais, brûlant d'une haine qu'elle n'avait jamais éprouvée jusqu'à maintenant. Elle n'avait jamais cru aux vampires, aux créatures de mythes, elle venait soudainement de prendre conscience qu'ils étaient omniprésents, de la manière la plus douloureuse qui soit. Elle décida d'épargner cette souffrance à ses parents et de taire le cruel sort de Néron. Elle les laisseraient derrière elle, vivrait en solitaire et tuerait ce vampire, quoi qu'il lui en coûte.

La balle atteint la créature en plein cœur et elle s’écroule dans un cri d’effroi, le visage crispé dans une grimace de haine digne d’une gargouille. La jeune femme s’approche, ses chaussures militaires claquant lentement contre le pavé rougi par le sang du vampire. Un sourire cruel s’étire sur ses lèvres, tandis qu’elle s’accroupit près de la forme sombre qui déjà se change en poussière. Elle saisit une poignée de cendres froides et laisse le vent emporter les restes fumants du vampire. Tu redeviendras poussière, murmure-t-elle. Phrase maintes fois énoncée. A chaque fois qu’elle chassait, en vérité. Elle avait toujours l’impression de courir après les démons lâchés sur Terre par Satan, pour pourrir leur monde. C’était son travail ; purger l’humanité des immondes qui la gangrénait. Elle avait la sensation d’accomplir un devoir religieux, une mission divine, pour expier sa faute. Depuis quelques années déjà, elle traînait avec elle ce boulet qu’était la mort de Néron, son frère aîné, tué par un vampire dans leur ville natale, Fergus Falls, Minnesota. Avec un soupir, elle se relève et range son revolver dans le holster de sa ceinture, caché par les longs pans de son duffle coat noir. Elle rabat la capuche à bord de fourrure sur sa tête, protégeant son visage du vent glacial et de la neige qui se sont abattus sur Boston. Elle n’avait jamais imaginer devenir chasseuse de vampire, il y a 5 ans. Elle se voyait partir de Fergus Falls, bien sûr, en exerçant un métier prestigieux dans le droit, la médecine ou l’édition. La disparition brutale de Néron l’avait coupée net dans son élan. Au contraire de ses parents qui n’avaient enterré qu’une boîte vide, elle savait que malgré les apparences, Néron n’était pas mort. Non, il avait été transformé par un vampire avide de compagnie ; une femelle à la beauté envoûtante et dévastatrice. Après cette vision cauchemardesque tâchée de sang, elle avait lâché ses études et avait quitter la ville dans le but de poursuivre Néron et sa créatrice. Elle s’était formée sur le terrain, au contact des autres chasseurs, au contact des vampires –en témoignaient les cicatrices sur sa peau blafarde-. Et 5 ans plus tard, elle ne possédait que le nom de la créature et un portrait d’elle du temps de son humanité, il y a 986 ans. Kornélia Horvathova. Depuis qu'elle traquait le duo, elle n'avait jamais réussi à recroiser la créature qui lui avait arraché son frère et qui hantait ses rêves. Elle ne faisait que marcher dans ses traces sans jamais la rattraper. Dès que la piste refroidissait dans une ville, elle repartait en chasse, tuant au passage les vampires qu'elle trouvaient sur sa route. Et elle venait d'abattre le dernier maillon qui la reliait encore à la vampire blonde et Néron. Il lui fallait donc se lancer une nouvelles fois à la recherche des deux figitis. Ele s'était juré de tuer la Sire de Néron, d'arracher le coeur de la créature et de se baigner dans son sang. Cela lui semblait une excellente façon de venger les victimes de Kornélia. Avec une grimace et dégoût pour le tas de poussière qui achevait de disparaître, elle saisit la croix ouvragée qui pendait à son cou, récita silencieusement un Notre Père avant de quitter les lieux. Elle devait se remettre en route.

Les étoiles illuminaient le parc comme en plein jour, rendait Kornélia presque irréelle, iridescente. Elle semblait plus belle que jamais, ses traits purs et ravagés n'avait jamais eu l'air si expressif qu'en cet instant où elle se tenait devant la chasseuse, immobile. Ses longs cheveux volaient doucement sous l'effet du vent mais elle ne le remarquait pas, ou feignait de ne pas y prêter attention. Un sourire avenant étirait ses lèvres, comme si elle encourageait Storm à la rejoindre. A une dizaine de mètres, l'humaine n'était pas dupe, et malgré l'attirance que lui inspirait Kornélia, elle s'obligeait à rester à sa place. Elle savait que l'ancienne souveraine n'avait qu'un but; la tuer, comme elles se l'étaient promis, 6 ans plus tôt. Elle-même ne vivait plus que pour ça. C'était l'unique chose qui la maintenait encore en vie. Storm avait conscience qu'après avoir atteint son objectif, elle ne serait plus qu'une loque, une enveloppe vide. Alors elle retournerait vivre chez ses parents, en recluse, épuisée physiquement et mentalement par toutes ces années de traque et de morts. Kornélia pouvait lire les émotions qui traversaient le visage de Storm et elle lui en voulait de souffrir avec tant d'intensité, là où elle-même n'arrivait plus à ressentir les remords et la douleur. Trop de temps avait passé et elle s'était cristallisée dans l'état dans lequel la mort -et son Sire- l'avait cueillie. Depuis un millénaire, elle était consumée de colère contre son Sire, dont elle avait volontairement effacé les souvenirs de sa mémoire, et Damján, qui avait refusé de l'écouter et qu'elle avait été obligée de tuer pour protéger sa propre vie. Elle lui en voulait encore tellement, malgré l'amour qu'elle avait éprouvé pour lui. Finalement, la tension dans l'air devint trop pesante et Kornélia éclata du même rire cristallin qu'il y a 6 ans, qui hérissa le poil de Storm. « Tu es venue, petite Storm. » Simple constat. Il n'y avait pas de rendez-vous fixé, mais elles savaient toutes deux qu'elles se retrouveraient tôt ou tard. « Tu as mis moins de temps que ce que j'espérais. » « Vous trouvez ? J'ai l'impression d'avoir traîné, pourtant, vous devriez être morte et enterrée depuis des années. » Rictus cruel sur les lèvres de Kornélia. « Tu n'imagines pas à quel point tu es en retard pour ça, alors. » Storm eu un petit rire sarcastique. Kornélia avait raison. Elle aurait dû mourir à la naissance, pour lui éviter, 1000 ans après, de souffrir tant. Lentement, elle amena sa main au holster à sa ceinture, tandis que le corps de Kornélia se tendait dans sa direction. Tout se jouerait sur une question de rapidité. Malgré qu'elle n'eut aucune chance, Storm espérait avoir le temps de la blesser avant de mourir vidée de son sang. Elle posa le doigt sur la détente tout en retirant doucement le revolver de son étui. « Storm. » Elle se figea sur place. Des années qu'elle n'avait pas entendue cette voix, et ce fut comme si rien n'avait changé. Il apparu entre le toboggan et le cheval sur ressort, beau, lumineux, entouré de cette aura que procurait la nature vampirique, même après si peu d'années. Elle ne parvint pas à prononcer son prénom, malgré que tout son être lui hurlait de se jeter à son cou et de l'étreindre. « Néron. » Murmure douloureux. « Oui. » Sourire fraternel. Elle était là, sa petite soeur qu'il fuyait depuis si longtemps. Depuis Fergus Falls, il était partagé entre Storm et Kornélia, entre son ancienne vie humaine, chaude et agréable, et l'éternité qui s'ouvrait devant lui, glaciale et solitaire. « Si tu savais comme tu m'as manqué. » Il était sincère. Elle lui manquait chaque jour, chaque heure, chaque minute. « Toi aussi... Pourquoi n'être pas revenu ? » Il grimaca en entendant la question, se ferma un peu et jeta un coup d'oeil à Kornélia, qui avait repris une allure paisible. « Je ne pouvais pas. J'étais trop... instable. » Storm ne bougea pas, dans l'attente d'une suite qui ne vint pas. « Ils te croit mort... Il y a une tombe à ton nom, vide. » Elle vit Kornélia fixer intensément Néron, sans comprendre pourquoi. Elle avait l'air d'attendre la faute de Néron, qui ferait réagir Storm violemment et lui permettrait au vampire de fondre sur elle et d'invoquer la défense après l'avoir tuée. Storm commençait à entrevoir la dangerosité de la situation, qui n'avait eu l'air, pour l'instant, que d'une discussion un peu tendue. Kornélia attendait un prétexte pour l'éliminer, Néron la surveillait tout en mesurant ses paroles et Storm cherchait le double sens, le message caché dans ce que lui disait son frère. « Je sais. Je ne pourrais jamais revenir, Storm. C'est trop dangereux. » Elle comprit qu'il ne se comptait pas comme dangereux pour leurs parents. Non, le danger, c'était Kornélia. « Je comprends... » La vieille reine fit un pas en arrière et Néron tiqua. Elle avait saisit l'échange sous-jacent entre son Infant et sa soeur et voulait s'en aller. « Néron... » Sa voix était suave, mais sans appel. Il devait la suivre, si elle l'exigeait. Il adressa un sourire contrit à Storm, dont il vit le visage se décomposer. « Non ! » Kornélia se retrouva soudain tout proche d'elle, son souffle frais balayant les joues de Storm. « Ecoute-moi, humaine. Ton frère est à moi, il m'obéit, il reste avec moi. N'espère pas le revoir de sitôt, tu m'entends ? » Ses crocs luisaient de façon menaçante sous l'éclat de la Lune et Storm réalisa qu'elle n'aurait même pas pu blesser Kornélia, tout à l'heure. La vampire s'éloigna de quelques pas à reculons, tandis que Néron disparaissait dans l'obscurité déclinante. La nuit s'achevait doucement et tout semblait irréel: Kornélia, Néron, et Storm elle-même. « Notre promesse tient toujours, Kornélia. » La blonde éclata de rire. « J'y compte bien, petite Storm. J'y compte bien. » Elle s'évanouit à son tour et Storm se laissa tomber dans les graviers froids, vaincue.