“Je t’en prie, Svetlana, dicte à ces enfants l’une de tes histoires...”
“Combien sont-ils ?”
“Quatre.”

Je me laisse guider par la mère de ces petites têtes blondes jusqu’à une chaise en osier où mon poids malgré qu’il soit plume fit craquer la structure. Mes jambes froides se rejoignent pour que j’y plisse ma jupe en soie blanche, duquelle découlait quelques motifs brodés en dentelle. Cette partie est plus rugueuse et je ne m’y attarde pas, mes mains se placent l’une sur l’autre sur l’une de mes cuisses pour pouvoir garder la tête haute, et donc m’assurer une prestance qui n’avait plus rien à envier désormais aux plus grands de ma lignée.

Un sourire léger illumine mes traits de jeune femme, qui pourtant, aurait dû jouir d’un autre éclat dans le regard que celui du vide. L’expérience que je possédais ne se lisait malheureusement pas sur mon visage, seulement par mes mots. Et encore. J’appelle par leur prénom chacun de mes spectateurs. Aujourd’hui, je me prête au jeu des “histoires”, récits que je ne voulais pas démoder de la réalité. Bien sûr, je leur offrais une version plus métaphorique, pour qu’ils puissent s’attacher à la moindre parcelle du récit.

C’est ainsi que je commençai à raconter, d’une voix douce et posée, les premiers moments de ma vie, que je retranscris sous le nom de la “Erina”.

“Erina était une petite fille qui vivait dans une grande maison sur les terres de la sainte Russie, ses parents étaient des nobles gens qui faisaient cultiver leurs terres par des paysans. Ceci leur permettait de vivre eux aussi et de prospérer. La petite fille commença à marcher dès l’âge de deux ans, et ses premières dents apparurent très vite. Ce n’était pas ses parents qui s’occupaient d’elle, mais un précepteur, qui était chargé de son éducation - les temps ont changé, n’est-ce pas ? Il lui apprit beaucoup, beaucoup de choses. Comment bien se tenir, et bien sûr, à écrire, lire et à s’exprimer. C’était très difficile mais elle n’y pouvait pas grand-chose. Et alors on lui apprit à jouer du piano, ce qu’elle appréciait faire beaucoup plus que de revoir les lignes bibliques. Parce qu’il fallait bien l’avouer, la vie de Dieu n’était pas tout à fait intéressante. Cette petite était un modèle pour toutes, et elle attisa la jalousie d’autres filles de son âge, qui étaient bien plus méchantes qu’elle n’aurait pu se l’imaginer. Lorsqu’elle était encore qu’une enfant de neuf ans, ses camarades lui ont fait une mauvaise farce en la jetant dans la rivière. Et...la pauvre petite Erina ne savait pas nager.”

Je sens leur regard sur mes doigts et mon visage, et leur attention ne fait qu’accroître mon envie de leur offrir de nouvelles fantaisies.

“Fort heureusement, c’est le valet qui se chargea de la ramener sur la terre ferme. Il était grand et élancé, le teint un peu blafard...”
“Ca veut dire quoi, blafard ?”
“Avec un teint pâle.”
“Comme toi ?”
Je laisse échapper un petit ricanement qui est suivit par mon approbation.

“En effet. Pâle comme moi.” Je m’éclairci la gorge et continue le récit qui, je l’espérais, n’allait pas être coupé aussi fréquemment. J’allais en perdre quelques miettes, c’est certain. "Lorsqu'elle fut ramenée à la surface, elle avait encore une trouille bleue ! Le médecin est venu le jour même pour prendre sa température, mais fort heureusement, elle n'avait pas prit froid. Et puis, un jour, il y eut le Prince Charmant...", commençais-je pour leur donner goût au récit, "Il était très beau, mais il était très différent. Il était dans le besoin sans l'être réellement, et la première chose qu'il fut, c'est de l'inviter à danser. Et puis, de fil en aiguille, elle s'est sentie attirée vers lui mais il était bien trop âgé pour elle...c'est alors que ses parents lui annoncèrent qu'il serait son mari. A 17 ans, elle fut donc mariée. Mariée à un homme, Gaspard, qui n'avait aucune référence avec le Roi. Pourtant ils commencèrent à vivre ensembles et pour Erina, ce fut difficile. Parce que c'était un vampire..."

"UN VAMPIRE ?", s'écria l'assemblée.

"Oui, un vampire. Il a bu de son sang une, deux, puis trois fois, sans qu'elle ne s'en souvienne. Et vous saviez comment il faisait ?"
"Il lui tapait sur la tête ?"
"Mais non, il l'hypnotisait de ses yeux...alors elle oubliait. Par contre, il y a bien une chose qu'elle n'a pas oublié, c'est de s'enfuir. Une fuite qui n'a pas été des plus simples à organiser. Impossible de faire du piano ou de lire des livres sans tomber entre ses pattes laides et moites. Ils se retrouvèrent malheureusement sept ans plus tard et c'est à ce moment là qu'il la mordut pour faire d'elle son infante. Depuis ce jour, il l'a initiée à ses nouveaux pouvoirs, ses nouvelles pulsions qu'elle ne connaissait pas. Et ceci eut le don de l'effrayer, ce n'était que peu de le dire. Erina se réfugia dans ses plus belles passions, la musique, le chant, par exemple, qui lui ont permi de passer ses journées à ne pas ressasser son état qu'elle croyait être maudit. Son éducation religieuse dans sa famille avait été suffisamment poussée pour qu'elle puisse se faire traiter de démon en public par sa propre mère. C'est depuis ce moment là qu'elle a cessé de parler avec ses parents. Ils n'étaient pas en mesure de le savoir, et encore moins de le comprendre."

"Un jour, alors qu'ils se trouvaient tous les deux dans leur maison close, ils se firent attaquer par des chasseurs de vampires. Le maître d'Erina fut tué sous ses yeux avant qu'elle ne soit privée de sa vue d'un coup de fer chaud sur la rétine. Elle se creva les yeux d'elle même pour ne pas souffrir davantage et poursuivit son apprentissage, seule cette fois-ci. Erina se sentait libérée comme jamais, et elle avait une envie folle de pouvoir croquer la Vie à pleine dents. C'était son rêve, car elle respectait plus que tout la race humaine, elle était l'une des rares vampires à les estimer à leur juste valeur. C'est une grande rêveuse, sa douceur est incroyablement palpable, et ses sourires illuminent les visages de ses convives. Elle a rencontré Luthian, lui aussi un vampire, qui la prit sous son aile. C'était il y a fort longtemps et les avions n'étaient guère en pistes..."

"Il arrachait les yeux de ses victimes pour les lui donner. Ainsi Erina pouvait voir, mais ce temporairement. Son don de perception des auras l'aide encore aujourd'hui à mieux percevoir son environnement. Parfois, ce n'est pas suffisant et elle doit être armée d'une canne pour ne pas pouvoir se faire du mal en tombant."

"Depuis ce jour Erina a été acceptée au sein du clan de ce vampire, Luthian. Ils se sont installés, lui et sa "famille" dont elle faisait désormais partie, à la Nouvelle-Orléans, là où elle serait susceptible de s'épanouir. Bien que ses manies d'arracher les yeux de ses victimes révulse la majorité des siens, elle reste l'une des plus douces et agréables à côtoyer. Si problème il y a, solution elle trouvera. Erina est très douée et s'occupe des plus jeunes vampires avec bon coeur. Pourtant, certains visages pourraient être déchirés par la peur s'ils croisaient son regard injecté de sang. Erina avait un défaut très important et notable : elle était susceptible. Les chasseurs sont ceux qu'elle porte le plus en horreur. Pour leur sottises. Et ces tentatives vaines qui ne riment strictement à rien..."