En 1897, dans une Finlande depuis longtemps occupée par les Russes, les Finlandais tentent comme ils peuvent de tirer leur épingle du jeu. Certaines familles plus ou moins aisées n'hésitent pas à collaborer avec l'occupant en échange de divers privilèges. Ce fut précisément le cas de la famille Stenvall. Le père de Leena, Lukas Stenvall, était un médecin reconnu et les soins qu'il apportait aux soldats russes lui permettaient, en plus d'assurer la sécurité des siens, de profiter des avantages que les occupants lui offraient en échange de son secours.

En tant qu'unique fille du couple et cadette de trois frères, Leena fut choyée et surprotégée tout au long de son enfance, ce qui la poussait fatalement à se mettre aussi souvent que possible dans des situations à risques. Car malgré cette protection rapprochée, la petite était curieuse de tout et n'hésitait pas à s'aventurer dans les tréfonds du jardin du manoir familial. Pourtant, son père, qui la considérait comme la prunelle de ses yeux, finit par lui imposer ses règles. Il tenait à ce qu'elle devienne une jeune femme élégante et cultivée, qu'il pourrait marier plus tard à un riche parti. C'est ainsi que Leena reçut une éducation de jeune fille modèle. Après ses cours de maintien et de danse, elle apprenait différentes langues telles que le russe, l'allemand ou le français, lisait les grands philosophes ou étudiait le solfège. D'ailleurs, il apparut vite que la petite fille était dotée d'un véritable don pour la musique. Lorsqu'elle eut 8 ans, son précepteur annonça à ses parents que Leena était une virtuose du piano et qu'elle avait tout intérêt à travailler cet art tout particulièrement. Au fil des ans, la jeune fille devint le centre de toutes les attentions, du rang de petite dernière adorée, elle passa à celui de l'enfant prodige et emplissait la famille de la plus grande fierté. Quant à elle, si elle excellait devant son clavier, son esprit curieux restait en quête de nouvelles connaissances. Loin des discussions politiques et militaires des hommes de la famille, elle préférait lire ou coudre en compagnie de sa mère. Elle eut donc la chance d'avoir une enfance pleine de tendresse pendant laquelle elle put devenir une jeune fille intelligente et raffinée. Alors qu'elle avait à peine 14 ans, Leena était devenue l'enfant prodige d'Hesa (Helsinki), si les rumeurs couraient bon train sur les fréquentations des Stenvall, tous était sous le charme de la jeune pianiste. Si bien qu'un jour, sa mère lui annonça que son père projetait de la fiancer à un haut gradé de l'armée russe. La jeune fille sentit son monde s'écrouler sous ses pieds et fondit en larmes dans ses bras. Elle la supplia de l'aider à convaincre son père d'annuler ces projets. Si elle en fit quelque chose, cela n'eut aucun effet car le lendemain soir, lors d'une réception somme toute assez banale, Lukas annonçait les fiançailles de sa fille à un certain Capitaine Lerkhov . C'est alors que Tuomas, le dernier fils des Stenvall, décida de se dresser contre son père. Âgé de 19 ans, des bruits couraient selon lesquels, il aurait rejoint les rangs des résistants finlandais. Son père avait marié ses deux fils aînés à des russes et, pour y échapper, son fils l'avait convaincu de le laisser suivre ses cours de médecine d'abord, afin qu'il soit prêt à reprendre le flambeau. Mais aujourd'hui, il ne supportait pas de voir sa petite sœur chérie aussi désespérée et, il ne supportait plus la trahison de ses parents envers leurs compatriotes. Tuomas aida donc Leena à échapper ce mariage. Elle était terriblement en colère contre son père et elle était prête à tout pour éviter ces noces. Ainsi, une nuit peu avant l'aube, avec le concours de son frère, elle attela les chiens de traineau dont se servait son père pour ses urgences médicales et s'enfuit vers le nord. Tuomas devait lui laisser deux bonnes heures d'avance avant de sonner l'alerte. Alors que son père finalisait le contrat de mariage de sa fille avec son futur gendre, il fit irruption et annonça la disparition de Leena. Comme convenu, il expliqua d'un ton affolé que des traces de traineau était visibles et affirma sans ciller qu'elles dataient sûrement de la veille. Convaincu de retrouver la jeune fille morte de froid, Lukas et le Capitaine lancèrent une expédition. Dans l'affolement, personne ne douta des dires de Tuomas et les hommes suivirent les traces sans les examiner. Ils retrouvèrent Leena, loin sous les premiers branchages de la forêt d'Helsinki, couchée au milieu des chiens et bien emmitouflée. Bien qu'elle grelotta et qu'elle claqua des dents, elle supplia de nouveau son père de ne pas la marier. Si son père s'effondra dans ses bras, Lerkhov, lui, fut terriblement vexé par l'attitude de la demoiselle et annula aussitôt les fiançailles. Son père lui promit alors de ne jamais la marier contre son gré et lui permit de suivre ses études au pensionnat pour filles d'Helsinki. Elle y passa quatre années et sa tendresse et son intelligence enchantèrent ses camarades comme ses professeurs ; d'autant que tous l'estimait pour avoir tenu tête à son père en refusant d'épouser un russe. Devant son piano, elle jouait de mieux en mieux et n'hésitait pas à apporter son aide aux plus en difficulté.

Enfin quelques jours avant ses 18 ans, ses parents la rappelèrent auprès d'eux. Ils lui annoncèrent qu'une grande fête était prévue en l'honneur de "son entrée dans le monde" et de son anniversaire. Retrouver ses proches fut un véritable bonheur pour elle, et devant l'excitation générale, elle attendit la soirée avec impatience elle aussi. Depuis qu'elle avait quitté la maison, personne n'avais plus évoqué l'épisode de la fugue mais, au matin de son anniversaire, son père se présenta devant elle. Il lui expliqua qu'il s'en voulait encore pour son attitude passée et lui demanda son pardon, qu'elle lui avait accordé depuis déjà longtemps. Il lui remit alors son premier cadeau de la journée puis la serra dans ses bras. A l'intérieur du paquet se trouvait la robe la plus parfaite dont une jeune femme put rêver. Elle venait droit de Paris et était du même bleu que ses yeux, un joli chapeau assorti et finement orné l'accompagnait. Leena n'en revenait pas. C'est ainsi que, lorsqu'elle fit son entrée dans la salle de réception, tous les regards se tournèrent vers elle, subjugués. Sa mère avait frisé ses épais cheveux roux et les avait relevés pour que les boucles ne cachent pas ses grands yeux aussi bleus que sa robe qui, selon la mode de l'époque, lui tombait au-dessous du genou. Elle portait aussi de nombreux cadeaux que lui avait offert ses proches qui, comme la bonne fée marraine de Cendrillon, l'avaient transformée en princesse le temps d'une soirée. Elle salua d'un signe de tête ou d'un sourire le peu de personnes qu'elle connaissait puis, s'avança d'un pas ferme et rapide vers le piano qu'on avait déplacé pour l'occasion. Elle prit le temps d'ajuster consciencieusement sa robe sur le banc, pour ne pas la froisser, et releva le cache-touches. Elle posa ses doigts sur le clavier, jeta un œil à la partition (elle avait choisi un morceau du célèbre compositeur Finlandais, Jean Sibelius) et se mit à jouer. On n'entendait plus rien que les notes qui s'envolaient du grand piano, elle dansait avec elles, les yeux fermés touchant le plus pur bonheur : celui de faire de la musique et de pouvoir partager cette passion avec les autres. Après que le dernier accord eut retenti, le silence persista encore quelques secondes. Leena se sentait un peu grisée. Elle souriait à l'assemblée quand son regard fut attirée par un homme qui se tenait non loin de ses frères. Il avait l'air dans ses pensées, la regardant sans la voir. Soudain un tumulte d'applaudissements s'éleva dans la salle, il cligna des yeux et lui sourit en applaudissant à son tour. La jeune femme quitta le banc pour s'avancer vers sa famille mais elle n'en eut pas le temps et fut littéralement happée par des dizaines d'inconnus venus la féliciter. Ce ne fut que deux heures plus tard que Leena eut un instant pour elle et qu'elle put s'éclipser un instant dans le jardin pour souffler un peu. Elle y rencontra Andreï, l'homme qu'elle avait remarqué alors qu'elle était encore au piano, qui lui expliqua qu'il n'était pas très à l'aise dans les foules. Il était russe et avait depuis longtemps quitté son pays pour prendre les armes. Il lui confia que de nombreux soldats russes espéraient la libération de la Finlande afin que cette guerre puisse enfin prendre fin. Car si les nationalistes continuaient à se battre pour leur pays, l'Europe aussi était en guerre et l'armée russe devait être sur tous les fronts, ce qui s'annonçait de plus en plus difficile. Tous les deux, ils parlèrent de leur amour pour ces terres et Leena tomba sous le charme du soldat. Elle aimait écouter sa voix douce et posée au léger accent russe, la façon dont ses yeux grands noirs la fixaient lorsqu'elle parlait. Elle maudit son frère aîné, Jukka, lorsque ses appels vinrent briser ce moment. Elle n'avait aucune envie de retourner faire sourires et courbettes à ses hôtes, elle aurait préféré rester toute la nuit dans la jardin, à disserter avec Andreï. Ils avaient longuement parlé de littérature russe et le jeune homme lui avait promis de la recontacter pour lui prêter un ou deux ouvrages qu'il avait particulièrement appréciés.Une semaine entière était passée quand Leena reçut une lettre signée de sa main. Il lui proposait un rendez-vous dans un petit restaurant discret d'Helsinki et la jeune femme, sous prétexte d'une réunion avec ses anciennes camarades de pension, s'y rendit le cœur léger. Au fil des jours, elle n'avait pas cessé de penser à lui et lorsqu'elle le vit qui l'attendait, elle ne put cacher son émotion. Au cours de ce rendez-vous, il lui avoua qu'il l'avait déjà vue plusieurs fois avant sa soirée d'anniversaire, lors de différents concerts qu'elle avait donnés. Lui aussi adorait la musique. Ils passèrent tous les deux un moment inoubliable, discutant de tout et de rien. Elle admirait ses vastes connaissances et lui retrouvait un peu de joie de vivre au côté de la jolie jeune femme qu'elle était. Car, comme il lui avoua à la fin de leur entretien, Andreï était en fait un jaguar de plus deux cent ans qui avait pris les armes, désespéré par son destin d'immortel. Il lui raconta ce qu'avait été sa longue vie, avant qu'il ne s'engage dans l'armée, comment il avait longtemps erré seul, à l'écart des humains avant d'accepter sa nature. Son récit bouleversa Leena, qui était stupéfaite par ces révélations et qui ne put lui cacher ses sentiments plus longtemps. Quand son soldat fut amené à quitter Helsinki, ils se promirent de s'écrire régulièrement, ainsi ils entretinrent une longue correspondance et chacun se plaisait à écrire de longues lettres enflammées.

Pourtant, un jour Leena ne reçut plus de courrier. Les semaines et les mois passèrent sans qu'elle ait de nouvelles de son prétendant et elle s'inquiétait chaque jour davantage. Naturellement, elle n'avait parlé de cette relation à personne, les batailles entre russes et nationalistes se multipliaient dans tous le pays et sa famille avait bien d'autres préoccupations que les peines de cœur de la cadette. Un jour, désespérée, elle repensa à ce qu'Andreï lui avait dit sur sa double nature et entreprit de rechercher d'autres éventuels garous qui pourraient l'aider à retrouver sa trace. Les nuits de pleines Lune, elle sortait donc en cachette pour parcourir les bois, armée d'un petit pistolet que lui avait offert son père en ces temps troublés. Ces escapades restèrent infructueuses, cependant, un jour elle reçut enfin une nouvelle lettre. Qu'elle ne fut pas sa déception en découvrant une autre écriture que celle du russe ! Les Celle-ci était plus arrondies et le texte, rédigé en finnois, était très court. Il disait simplement "Abandonne tes recherches, jeune fille, ou c'est la mort que tu trouveras". Bien sûr, il n'y avait aucune adresse d'expédition. Cette petite phrase était bourrée de fautes, elle en déduisit donc que l'auteur était certainement russe. Elle se résigna donc à espérer et à attendre patiemment l'hypothétique retour d'Andreï, telle la jeune femme modèle qu'on lui avait appris à être. Mais elle dépérissait. La guerre, l'absence de celui qu'elle aimait et la position délicate de ses parents, tout ceci pesait sur son âme et elle perdait chaque jour un peu plus de son habituelle joie de vivre. Quand enfin le matin du 6 décembre 1917, Leena fut réveillée par des coups de canon et de nombreuses vois qui criaient "Eläköön Suomi esteetön !!!!!" ("Vive la Finlande libre"). Elle crut rêver encore mais, devant le brouhaha incessant, elle se leva et s'approcha de la fenêtre. Ce n'était pas un rêve, une foule colorée chantait et dansait dans les rues d'Helsinki, des drapeaux finlandais flottaient partout aux fenêtres. Elle s'habilla et toute hâte et se rua à l'extérieur malgré les cris de protestation de sa mère. Pourtant alors qu'elle était à quelques mètres du grand portail, elle se figea. Andreï était là, juste devant la grille, il l'attendait, le sourire aux lèvres. Le soir même, il lui proposa l'éternité, une vie sauvage faite de voyages, de chasse et d'amour. Leena n'envisageait plus de vivre sans lui et malgré son attachement pour sa famille, elle quitta ses terres natales qui avaient enfin trouvé la paix, et se consacra pleinement à sa nouvelle vie de jaguar.

Car malgré toute la bonne volonté d'Andreï, ces premières transformations furent de véritables épreuves pour la jeune femme. La première fois, elle pensa mourir écartelée. Ces articulations s'enflammaient, son cœur s'emballait et elle sentait alors que l'animal en elle cherchait à prendre le dessus. D'ailleurs de profonds changements s'opéraient aussi sur son comportement d'humaine. Leena n'avait jamais été agressive, pourtant, depuis sa transformation, elle se surprenait à rêver de meurtres, l'odeur et le goût du sang l’obsédaient et, elle était prête à tuer à la moindre petite contrariété. Il lui fut aussi difficile de s'habituer à la sensibilité extrême de ses sens qui la désorientait. En plus de tous ces chambardements, elle découvrit la sexualité en même temps que sa nouvelle nature. Elle ne s'était jamais offerte à un homme lors de sa vie d'humaine et ces nouvelles pulsions lui étaient complètement étrangères. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, elle considère le sexe comme une nécessité plus que comme un plaisir. Bien sûr, Andreï ne fut que trop ravi de pouvoir l'aider à assouvir ce nouveau besoin et grâce à lui, la jeune finlandaise apprit bien vite à contrôler cet instinct animal qu'elle avait senti s'exacerber en elle dès le lendemain de sa transformation.

Le couple quitta les plaines enneigées de la Finlande et voyagea, tant bien que mal, dans l'Europe en guerre. Le statut de soldat russe d'Andreï leur ouvrit, entre-autres, les portes de l'Angleterre où il résidèrent un long moment. Leena vivait ces nouveaux évènements comme un rêve. En plus de découvrir pas à pas le double animal qu'elle avait senti naître en elle, elle découvrait de nouvelles cultures, de nouvelles connaissances et chaque jour lui apportait son lot de plaisirs. Jamais elle n'avait été plus heureuse. Les soirs de pleine Lune, ils se transformaient pour courir le gibier, Andreï lui apprenait à choisir ses proies, à les mettre à mort d'un claquement de mâchoire, à choisir les morceaux de choix sur la dépouille... Ils grimpaient à tous les arbres, jouaient de longues heures et se réveillaient nus et enlacés sur les berges d'un lac quelconque. Son amant lui apprit tout ce qu'il savait au sujet de leurs congénères et de leurs modes de vie. Il lui raconta son enfance passée au sein d'un petit pard dans le Caucase et le bonheur qu'il avait eu à vivre entouré d'autre jaguar. Malheureusement, il avait disparu peu après la guerre contre la Suède, tous les hommes y avait été tués. Ces communautés se faisaient aussi rares que leurs membres, c'est pourquoi il lui expliqua qu'il était difficile d'en localiser un. Il lui promit pourtant qu'un jour, lorsqu'il jugerait qu'elle serait prête, ils partiraient ensemble à la recherche d'un pard et qu'elle aussi aurait la chance de connaître cette vie. Comme à son plus jeune âge, Leena était une élève parfaite ; elle apprit vite comment briser le crâne de ses proies entre ses dents, comment nager aussi bien qu'un vrai jaguar et, comme le lui annonça fièrement Andreï, elle était très douée pour les vocalisations (miaulements, prusten, rugissement). Elle avait éclaté de rire... pas très surprenant pour la musicienne qu'elle était. Si son corps restait celui de ses vingt ans, Leena gagnait en maturité et son double animal joua un rôle fondamental dans son développement de femme. Elle était folle d'Andreï mais comme avec son père autrefois, il fallait parfois qu'elle se plie à ses exigences. Cependant, si Leena faisait souvent patte de velours, elle savait aussi comment l'attendrir ou le raisonner à l'occasion. Alors quelques années après première guerre mondiale, elle parvint à le convaincre de quitter l'Europe. Andreï accepta, il avait retardé ce moment le plus possible, préférant garder la garder pour elle mais il du se résoudre à tenir promesse. Ils préparèrent alors leurs légers bagages et quittèrent la vie moderne pour Sipan, un petit village situé au Nord du Pérou.

Ils n'avaient bien sûr pas choisi l'Amérique du Sud par hasard ; c'était le continent qui abritait le plus de jaguars et une relation d'Andreï lui avait parlé d'un pard assez important dans la forêt pluviale du Pérou. C'est donc avec une excitation sans normes que Leena traversa l'Atlantique, pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur l'attitude changeante de son compagnon. Leur arrivée à Sipan fut tumultueuse car, même si le couple parlait couramment espagnol, les habitants étaient plus que récalcitrants à leur adresser la parole. Andreï leur révéla à demi-mots la raison pour laquelle ils pénétraient sur leurs terres et cela ne dut pas les enchanter, puisque les européens furent amenés pieds et poings liée dans une petite maison en terre crue. Le couple commençait à penser qu'il s'était montré un peu trop présomptueux en imposant sa visite à ce qui était visiblement un vieux clan de jaguars. Ils s'étonnèrent donc d'être nourris et constatèrent que, si personne ne répondait à leurs questions, personne ne les maltraitaient non plus. Andreï et Leena décidèrent donc de jouer le tout pour le tout. Ils attendirent la tombée de la nuit pour se transformer puis, sortirent du bâtiments en glissant au ras du sol de leur démarche féline, à l'affût. Les villageois s'étaient rassemblés et à l'entrée du villages et ne les virent pas, ils étaient en train de discuter du sort de leurs prisonniers. Certains d'entre-eux voulaient attendre la pleine Lune pour vérifier les dires d'Andreï, d'autres étaient persuadés qu'ils étaient des imposteurs, sinon qu'attendaient-ils pour se changer ? Andreï poussa alors alors un rugissement furieux. Les villages se figèrent et observèrent les deux jaguars un instant, l'air hébété. Le mâle, d'une belle couleur fauve, se tenait en avant. Il faisait à peu près 80 cm au garrot, 1 m 70 de long et montrait les crocs. La femelle quant à elle, avait un joli pelage tirant légèrement sur le roux et une silhouette plus fine bien que musclée. Elle faisait les cent pas derrière lui, leur faisant la démonstration de ses plus beaux prustens. Alors un enfant lâcha la main de sa mère et sautilla en s'esclaffant. Les Sipanos rirent avec lui de bon cœur et les deux jaguars reprirent formes humaines pour fêter cette veille de pleine Lune. Si l'environnement équatorial dépaysait grandement Andreï et Leena, ils purent sentir que le jaguar qui était en eux s'en portait à merveille. Ils avaient désormais l'occasion de développer tous leurs talents en ce milieu hostile, insoumis encore aux lois humaines. Ils durent s'imposer au milieu des autres fauves qui habitaient la jungle depuis toujours et, comme tous les autres membres du pard, ils devaient travailler dur pour mériter leurs repas et leur confort. Finalement au bout de trois ou quatre ans, Leena commença à faire part à Andreï de son envie de créer un pard, une grande famille, comme celle des Sipanos, une communauté qui aurait comme objectif de recueillir le plus de jaguars possibles. Andreï lui avait souvent rappelé qu'elle avait eu une "transformation de rêve" et il lui avait raconté plusieurs anecdotes sur de jeunes jaguars abandonnés par leurs créateurs et livrés à eux-mêmes. Ceux-ci voyaient généralement l'animal prendre le dessus sur leur humanité et s'abaissaient peu à peu au rang bêtes féroces. Leena était loin de considérer sa nature ainsi. Son corps de panthère n'était qu'une enveloppe charnelle de plus pour son esprit curieux et vagabond et elle trouvait d'ailleurs qu'il lui allait à ravir. Ce n'était pas tant le plaisir de chasser ou de tuer qu'elle aimait mais surtout le bonheur simple de se sentir en lien étroit avec le monde. Sous sa forme féline, elle se sentait en parfaite osmose avec la nature et avec le côté bestial que tout humain cache au fond de lui. Si elle appréciait cette vie sauvage, le monde moderne commençait à lui manquer et, cela faisait des années qu'elle n'avait plus approché un quelconque instrument de musique, autre que ceux des Sipanos bien entendu. Elle commençait donc à ronger son frein quand Andreï lui annonça qu'il était temps pour eux de se séparer. Il lui expliqua que pour elle, cette expérience n'était qu'une étape de sa vie, qu'elle lui avait permis de se fixer un objectif, mais que pour lui, elle était l'apothéose de sa longue existence. Cette fois-ci, Leena eut beau déployer tous ses charmes, tous ses atouts et toutes ses larmes, l'homme de sa vie restait inflexible. Il lui fit ses adieux et elle le regarda s'évanouir dans la jungle avant de s'effondrer. Il lui fallut beaucoup de temps pour se résoudre à quitter Sipan. Pourtant, elle n'espérait plus le retour de son amour ; Jao, le Geri du pard lui avait dit qu'il retrouvé son corps dans la forêt. Enfin après de longs mois, forte du peu de réconfort que ses amis péruviens avaient pu lui apporter, elle décida de repartir à la découverte du monde. Elle se mit en quête de ses congénères aux quatre coins de la planète, s'enrichissant de nouvelles cultures, elle observait les différences de coutumes et de visions du monde, chez les humains comme chez les garous.

Ce ne fut qu'après la seconde guerre mondiale que Leena décida de retourner en Europe. Elle posa ses bagages en Russie et la parcourut pendant une année. Si ce pèlerinage avait un peu apaisé son cœur, l'absence d'Andreï pesait encore terriblement sur ses épaules même après plusieurs années. C'est à Moscou que la jeune jaguar rencontra Spencer, une louve plus âgée qu'elle d'une cinquantaine d'années, au parler très british. Les deux jeunes femmes s'entendirent tout de suite, peut-être parce que sa nouvelle amie était aussi dévastée qu'elle. Si leur rencontre s’était déroulée en d’autres circonstances, ou en d’autres temps, elles auraient très bien pu nouer une relation différente. Leena appréciait cette relation d'égale à égale, sans aucune tentative de domination ni de l'une ni de l'autre. Mais en l’état des choses, elles n’auraient pas pu faire mieux. Éprouvant une affection sincère l’une pour l’autre, les deux jeunes femmes restèrent ensemble durant onze années avant de se séparer d’un commun accord... Cette rupture lui fut encore une fois douloureuse et ne fit que l'endurcir un peu plus. Leena poursuivit sa route seule, se voyant devenir plus forte au fil du temps, physiquement bien sûr mais aussi psychologiquement. Elle décida donc de partir à la recherche d'un pard au sein duquel elle pourrait prouver son mérite. C'est ainsi qu'elle finit par atterrir aux États-Unis, elle y avait déniché un pard dans un coin paumé de l'Arizona. La communauté comptait peu de membres et la jeune femme fut vite nommée Geri. Elle passa trois ans au sein de cette nouvelle famille, comblée par cette vie chaleureuse et conviviale puis, décida qu'il était temps pour elle de parvenir au but qu'elle s'était fixée depuis de longues années : devenir Nimira. De nombreuses connaissances l'avaient informée que la Louisiane, et notamment La Nouvelle Orléans, abritait aussi pas mal de jaguars. La prochaine destination de Leena était donc toute trouvée et, après s'être renseignée sur la région, elle se prépara au départ. Si déterminée qu'elle soit, elle s'aperçut vite que la tâche ne serait pas aisée. Elle n'était pas la seule à avoir le projet de devenir Nimira et bien qu'elle soit bien renseignée sur la meute de loups de la ville, elle réfléchissait encore à la meilleure stratégie. Sa première idée avait été celle de demander la collaboration des loups mais sa rencontre avec Rehan O'Neal la fit réfléchir. Sa confiance en elle l'avait aveuglée, elle ne s'attendait pas à devoir rivaliser avec une jaguar, bien que celle-ci soit beaucoup plus jeune qu'elle. La gamine, comme elle aimait l'appeler en son for intérieur, était la sœur du Freki de la meute et si, des rumeurs couraient comme quoi sa relation avec l'Ulfric était tumultueuse, Leena ne doutait pas que sa rivale ait plus d'un tour dans son sac. Cependant, rien ne pouvait plus la faire reculer et c'est plus déterminée que jamais qu'elle décida de rencontrer l'Ulfric et de négocier une éventuelle alliance.