→ La petite fille est plus que frêle, si faible et désorientée que j'ai réellement du mal à me reconnaitre sur cette photographie qui est la première d'une longue vie. Mon existence débuta à ce moment précis car je n'ai absolument aucun souvenir du reste. Ce cliché, pris en noir et blanc, illustre mon arrivée chez une tante, une femme douce et sévère que je n'avais jamais rencontrée avant mes 6 ans. J'ai ouvert les yeux sur un monde détruit par la première guerre mondiale, le 6 mars 1922 dans une ville de la France: Lyon. Elle n'est guère connue des anglophones mais elle me fut longtemps aussi cher qu'une amie qui emprisonne sans scrupules pour protéger ses proches. Perdue dans un univers très différent du mien je ne mis cependant pas un long moment avant de m'y adapter et d'oublier définitivement le visage et le son de la voix de mes parents, tragiquement disparus dans un des nombreux accidents ferroviaires de l'époque. Histoire triste qui ne fait que donner le ton j'eus malgré tout une enfance correcte et heureuse, bien que je ne me sentais jamais réellement à ma place, ce qui est une des constantes de ma vie il faut l'avouer. Dans les mornes activités que l'époque guère propice à l'épanouissement me laissait je me consacrais très jeune à l'art de la mode. J'affectionnais les différents tissus, les combinaisons multiples et les associations qui étaient une belle échappatoire créative aux temps de crise, de chômage et de rationnement, ce qui n'allait pas en s'améliorant. Tout le pays était à reconstruire, ce qui à mon adolescence était presque achevé, malheureusement les tensions revinrent de plus belle, de l'Allemagne et d'autres pays et une nouvelle guerre pointait à l'horizon sans que je m'en soucie plus que du reste. Ma tante a bien essayée de m'inculquer une éducation de demoiselle de la haute société, bien qu'elle ne soit qu'une noble déchue de ses biens, et empreinte de religiosité, mais je n'ai à vrai dire jamais tellement cru à ces excentricités.

→ Une nouvelle image vient traverser mon champ de vision, je suis plus vieille sur ce cliché, le sourire semble terni par l'âge que peut avoir cette photographie, le papier est jauni et arraché par côté. Je ne peux m'empêcher d'être nostalgique en me redécouvrant près de la machine à coudre, adolescente légèrement mal dans ma peau à l'époque je passais énormément de temps sur cette machine. Je confectionnais grâce à l'aide de ma tante des tenues de plus en plus belles et sophistiquées qui rencontraient un certain succès. Je ne me lançais pas pour autant dans des études de couturière, Éléonore, ma tante ne désirait pas me voir dans ce type de métier trop incertain pour ses mœurs. C'est en tant qu'infirmière que je fis mes premières entrées dans le monde du travail. J'étais jeune, bien trop jeune pour être confrontée aux blessures des "gueules-cassées", ces hommes rentrés de la première guerre mondiale avec des séquelles bien trop atroce pour mes yeux innocents. Lors de ma première consultation, je n'ai pu qu'avoir des nausées à la vision de ces hommes dont la vie était définitivement brisée, autant pas les souvenirs des tranchées que par leurs blessures. Je n'aimais pas tout ce sang, toutes ces mortifications qu'il faut supporter sans mot dire, mais en dépit de tout le fait de soulager quelques peu la vie de mes semblables était une consolation que je n'espérais pas. Je continuais en parallèle ma passion de la création, mais bien entendu avec beaucoup moins de temps pour l’exercer et cela me frustrais au delà de tout. Je ne pouvais cependant pas entrer en conflit avec ma "mère" adoptive, je l'affectionnais trop et de plus j'avais une trop grande dette envers elle qui m'avait élevée comme sa fille pour lui tenir tête. J'étais malgré tout une demoiselle bien insolente et si inconsciente des règles que s'en était parfois criminel, je ne voyais que par ma vision des choses et je me fichais des règles que je ne m'étais pas donnée. Perdue entre l'enfance et l'âge adulte je commis des erreurs dont j'aurais à me mordre les doigts plus tard car ce que je prenais pour une vie morne serait à jamais transformée par les évènements qui se succédèrent bien trop vite pour moi.

→ Les images de la seconde guerre mondiale sont nombreuses mais celle me représentant lors de cette période ne sont guère multiples, il ne reste dans la maison de mon enfance qu'une vision de mes jeunes années. En effet celle-ci me représente en habit de travail, lors d'une sortie entre amies avec mes collègues à la terrasse d'un café que nous affectionnions. Cette photographie fut prise peu de temps avant que tout bascula. En effet lorsque j'eus fini mes études, la seconde guerre mondiale éclata, et en l'espace d'un an la France devint un territoire occupé. Cela ne me donna pas pour autant moins de travail bien au contraire, c'est d'ailleurs ainsi que je fis la connaissance de Franz. Je n'en étais pas amoureuse, bien au contraire, mais cet officier allemand parlant maladroitement le français pour me courtiser avait le charme de la liberté et m'offrait une possibilité d'échapper à ce monde si gris et déprimant qui m'étouffait chaque jour un peu plus. Une liaison fini par avoir lieu, bien que j'étais désabusée de l'amour je fini par aimer les visions que cet allemand m'offrait. L'erreur fut de croire que cette relation serait sans conséquences. Lorsque Éléonore appris bien malgré moi l'existence de cette amourette de jeunesse elle en fut si choquée qu'elle ne m'adressa d'abord plus la parole car pour elle ce n'était rien de moins qu'une trahison, elle avait déjà du mal à supporter le régime de Vichy alors voir sa protégée plus que proche avec l'ennemi c'était bien au-dessus de ses forces. C'est criblée de larmes qu'elle me rejeta, elle m'abandonna dans la rue avec pour seules bagages qu'un sac de toile bien maigre. Elle ne pouvait supporter plus longtemps ma présence et je perdis ainsi mon foyer. Ce ne fut malheureusement pas tout, en l'espace de quelques jours tout ce que j'avais connu me fut arraché car Franz mourut d'un bombardement sur la Kommandantur de Lyon. Détruite par le chagrin je ne voyais plus aucune raison de rester dans cette ville qui était devenue mon enfer personnel. Je ne voulais plus croiser de nouveau le visage de cette tante que j'avais aimée et qui m'avait lâchement laissée pour compte. La seule issue à mon malheur était la fuite et je ne me fis pas priée pour déguerpir sans demander mon reste.

→ L'Italie fut ma nouvelle patrie, à partir de ce moment il ne restait plus d'images pour illustrer ma déchéance progressive après une belle ascension au bonheur, mais cela vous le comprendrez aisément en lisant ce qui suit. Arrivée grâce à un embarquement clandestin dans ce nouveau pays je fus dans les premiers temps complètement perdue, c'est une nouvelle tête qui me sortie de cette noyade immuable qui me gagnait peu à peu. Je n'étais pas douée pour me fondre dans un nouvel environnement, chose que je n'ai appris que bien plus tard, ainsi c'est en travaillant comme serveuse que je survécus un petit temps, pendant qu'au loin la guerre ne devenait plus qu'un atroce souvenir avec son lot de nouvelle horreur. Je ne m'intéressais pas à mon époque, trop occupée par la nécessité de survivre un jour de plus, c'est ainsi que lorsque Léo apparut dans ma vie je ne pus qu'être débordante de gratitude face à ce soleil qui me réchauffait et me donnait de nouveau espoir en la vie. Notre rencontre fut plus que fortuite, c'est en renversant son café sur la belle que je l'abordais en me répandant en excuses. Par la suite nous devinrent les meilleures amies du monde. En trois ans elle me permit de devenir une styliste de renommée internationale et tout naturellement elle devint mon mannequin égérie. Notre amitié fusionnelle me permettait de tenir bien droite dans un monde qui n'avait fait que me plier à sa volonté. La célébrité devint mon lot quotidien, j'aurais pu être enfin heureuse avec les poches remplies d'argent. Malheureusement un vide emplissait toujours mon cœur sans que je puisse mettre un mot sur le problème, je ne comprenais pas pourquoi j'avais toujours cette furieuse envie de liberté et de fuir cette société qui ne me correspondait pas. Après des années de vie commune Léo m'avoua qu'elle était une lycanthrope, je n'eus aucune peur ni même un geste de dégoût, j'exprimais au contraire très vite une grande curiosité à son égard. Son mode de vie m'intéressait énormément et cela m'apparut comme la solution à mon problème. Après quelques réticences elle accepta enfin de me transformer et de me considérer comme un membre de sa meute, qui d'ailleurs ne comportait que deux membres. Elle m'appris à contrôler mon loup et mes instincts nouveaux et pour cela j'aurais à jamais une dette envers cette femme extraordinaire.

→ Malgré tout l'amour que je pouvais entretenir pour ma compagne le vide de mon existence ne faisait que s'agrandir et j'en eus bientôt assez de l'Italie. Depuis ma transformation j'avais délaissé le monde de la mode qui ne m'attirait plus autant qu'autrefois, la célébrité retomba donc aussi soudainement qu'elle était venue. Cela ne m'importait plus du tout, j'étais obsédée par l'idée de découvrir le monde et de vivre sous ma forme lupine, oubliant mon humanité et ainsi tout ces sentiments de rejets. Décidée à connaître la liberté je m'enfuis une nouvelle fois vers le pays qui symbolisait cette valeur chère à mon cœur: les États-Unis. J'ai longtemps voyagé dans ce monde où la mentalité était bien différente, enfin je me sentais acceptée quelque part et c'est tout naturellement que je décidais d'enfin faire partie d'une réelle famille, la meute de la Nouvelle-Orléans. Les femelles y étaient assez bien acceptée bien que les règles assez machistes de cette organisation me posaient des soucis sérieux. Je n'aimais pas l'idée de me sentir inférieure, cependant je fis avec et supportais tant bien que mal les ardeurs écœurantes de mes congénères en les remettant à leur place. Je n'offris pas mon amour pour rien et surtout pas parce que j'étais en chaleur. Et oui, l'inconvénient de la lycanthropie c'est que les instincts animaux sont exacerbés pour mon plus grand malheur, j'avais beaucoup de mal à résister aux appels de la lune ou encore à celui de la communion de la chair. Cependant pour ne pas compliquer mes relations dans la meute je préférais encore avoir de nombreux amants humains que loups. Cette règle était sans appel, mais l'exception pointe toujours son museau lorsque l'on s'y attends le moins et pour ma part je n'étais absolument pas préparée à la suite. J'adorais cette vie de louve dont on me laissait un peu près libre, malheureusement cette hiérarchie stupide m'emplissait la tête de haine et je voulais plus que tout changer les choses, lorsqu'un nouveau venu rentra dans la meute je vis en lui l'occasion de ne plus être uniquement un membre sans importance.

→ Ce nouveau loup était bien différent des autres, il dégageait sans être belliqueux une aura de dominant qui m'impressionnait sans pour autant me faire tomber à ses pieds. Je ne l'ai vu au départ que comme un moyen d'arriver au sommet, une inspiration uniquement motivée par l'ambition me poussa à lui parler, à nouer un lien spécial avec lui. Il voulait lui aussi être important, je le sentis dès notre premier contact et je su immédiatement que notre association ferait des étincelles de merveille. Tout n'a été d'abord qu'une relation professionnelle, si je peux dire cela ainsi. Je l'entraînais au combat, pour le fortifier mais surtout pour le préparer à affronter l'Ulfric qu'il lui faudrait bien un jour ou l'autre tuer pour pouvoir le remplacer. Mes plans eurent beaucoup plus de succès que l'effet escompté car au bout d'un moment et conduite par des sentiments que je n'aurais pas pensé développer il devint Ulfric et je fus placée à ses côtés en tant que Lupa de la meute. C'est à cette période que j'eus ma plus grande dose de bonheur, je l'aimais éperdument et totalement comme je n'avais jamais aimé, je lui étais plus que entièrement dévouée et j'aurais décroché la lune pour sa personne. Je nous pensais filant la parfaite idylle, bien qu'il avait des maîtresses je ne m'y attardais pas, je ne voulais pas être de ces femmes jalouses et amères qui perdent l'amour de leur vie par stupidité. J'ai donc supporté son infidélité, ses crises de colères mais aussi les lourdes responsabilités en l'épaulant du mieux que je pouvais. Cependant il semble que ce n'était pas assez à ses yeux. Au bout d'un moment je sentais que je le perdais de plus en plus, il était obsédé par la menace vampirique et j'aurais tout fait pour l'en soulager et ainsi le retrouver, pour fonder une famille heureuse... En effet, j'attendais un enfant, je ne l'ai appris que tardivement et la joie était au dessus de toutes mes espérances, c'est ainsi que j'ai voulu faire au mieux pour pouvoir vivre dans la tranquilité.

→ J'avais sous-estimé à l'époque le rôle de cette petite maîtresse de mon Ulfric, Paige, ce serpent complotait déjà contre moi pour me voler ma place, mais je ne pensais pas qu'elle réussirait. Je me pensais invulnérable, protégée par un amour qu'il m'était inconcevable de perdre. Pour régler tout les problèmes avec les vampires je m'étais résolue à rencontrer leur chef, pour conclure un pacte, pour avoir enfin la paix, sans pour autant leur céder quoique ce soit d'autre qu'une tranquilité mutuelle. C'est ainsi que Paige en me voyant en compagnie d'un vampire me prie pour une traîtresse, une espionne à leur compte et alla tout raconter à mon Ulfric. Je ne le pensais pas assez naïf pour croire à ses mensonges, mais il en fut tout autrement. Non seulement il y crut mais il m'accusa de l'attaque des vampires sur la meute. Je fus destituée de mon rôle et chassée comme une traînée de ce que je considérais comme la seule famille que j'aurais jamais. Le chagrin fut plus intense et tranchant que jamais. Perdue, privée de soutien et une nouvelle fois abandonnée je dû prendre un taxi pour quitter à jamais la Nouvelle-Orléans, en tout les cas ce fut le dernier ordre qu'il me donna. Femme brisée par le chagrin et n'ayant plus aucune volonté je ne pus que m'abaisser à lui obéir sous peine de finir attaquée par mon ancienne meute. Je partis donc, en France, rejoindre mes origines. Malheureusement tout avait changé, trop, et pour moi ce pays était désormais étranger. Ma tante était depuis longtemps décédée, mais ce fut pour moi l'occasion de rendre une dernière visite à sa tombe, pour lui déposer un bouquet de fleurs et surtout pour lui pardonner. A oui, vous vous demandez certainement ce qu'il est advenu de mon enfant... J'ai fait une fausse couche, juste après mon départ, ce qui ne put que renforcer ma haine envers celui que je considérais comme mon âme sœur. Le désir de vengeance, c'est tout ce qui me reste aujourd'hui, je ne peux lui pardonner, surtout que je sais à présent qu'il a une nouvelle Lupa, un nouveau jouet qu'il pourra martyriser à loisir et je ne le veux absolument pas, il me faut la protégée de ce monstre. Ainsi me voilà dans un taxi à la sortie de l'aéroport de la Nouvelle-Orléans, me revoilà sur mes anciennes terres où je compte bien m'imposer et reprendre de droit ce qu'on m'a soutirée car après tout je n'ai jamais été une traîtresse, n'est-ce pas Paige...