Tu devais n’avoir que quelques jours lorsque l’on t’a trouvée. Quelques jours et déjà de la glace dans le regard. Une glace toute aussi dure que rassurante. Si tu étais tombée dans une autre famille, je sais que tu aurais fait des dégâts, mais la providence et la magie te menèrent jusqu’à nous, humbles sorciers en mal d’héritiers. Tu fus la bénédiction de toute une vie et bien que je me sois longtemps persuadée du fait que tu sois incapable du moindre mal, nous dûmes nous rendre à l’évidence. Il faut pardonner, mon enfant. Le Bien prendra racine dans le pardon.

« GENESE »

Tu étais une enfant silencieuse, une solitaire dans l’âme qui n’accordait que peu sa confiance. Une enfant malicieuse cependant, qui savait à merveille déceler les secrets, comprendre des notions plutôt complexe vu ton jeune âge. Je me souviens encore t’avoir trouvé dans un recoin du manoir, à tenter d’ouvrir des passages pourtant bien clos, pour ta propre protection. Gamine curieuse qui nous fit bien des frayeurs à vouloir si vite découvrir le monde. Ton père se faisait un sang d’encre lorsqu’il te voyait grimper, telle une funambule, sur le rebord du balcon, défiant le danger, défiant la mort. Tu voulais être une colombe à cette époque, pour apporter la paix dans le monde. Tes yeux clairs pétillaient de bonté et ta silhouette gracile te donnait plutôt l’air d’un signe. Nous finissions toujours par te rattraper dans des lieux saugrenus, t’évitant ainsi de te briser la nuque. Acrobate inconsciente. Si nous ne t’étions liés par le sang, nous t’aimions comme telle, et t’apprendre la vérité sur tes origines fut sans doute l’une des plus terribles épreuves que nous avons eu à vivre. Tu devais avoir à peine dix ans, et nous n’obtinrent aucune autre réaction qu’un haussement d’épaules.. qu’est-ce que cela pouvait bien changer ? Je crois que tu ne compris l’ampleur de la situation que bien plus tard, en découvrant d’où tu venais.. en découvrant la malédiction qui pesait sur ton âme que partiellement illuminée.

Nous t’avons inculqué des valeurs, comme l’auraient fait n’importe quels parents, à la différence que nous fûmes forcés d’insister plus que nécessaire sur l’importance du Bien. La Magie très tôt vint te bercer, les grimoires remplaçant les contes de fées. Fascinée, tu nous écoutais comme si nous avions la science infuse, et tu voulus rapidement en savoir plus que nécessaire. Assoiffée, non pas de pouvoir mais de connaissances, tu tentais tant bien que mal de grimper sur les meubles près de la bibliothèque afin de récupérer des ouvrages que nous avions volontairement placé hors de ta portée. Nous ne pouvions décemment pas t’accorder l’accès à l’obscurité, pas en ayant compris d’où tu nous venais, même si cela impliquait que tu sois incapable de te défendre par la suite.
Tu nous en tins rigueur à l’adolescence, mais nous sommes partis en paix. Tout ce que nous souhaitions, c’est que tu nous survives.

« ADOLESCENCE »

Elinor fut la créature la plus malheureuse qui soit lorsqu’elle découvrit les corps inanimés de ses parents adoptifs, en rentrant de cours, un triste soir d’octobre. Il aurait été préférable de vous conter qu’un terrible accident les propulsa en bas des marches marbrées de la demeure Ecossaise, mais ce serait mentir car jamais telle chute n’aurait donné une marre de sang et une aura purement maléfique trainant inlassablement au cœur des lieux. Elle avait cessé de chercher d’où elle venait, l’adolescence lui offrant des préoccupations nouvelles, et le découvrir de la sorte fut le début de la fin. A l’instar d’une enfant propulsée dans un précipice, elle glissa de son nuage de bonheur pour heurter avec violence l’horreur du monde dans lequel elle vivait. Sur la scène de crime gisait une lettre lui indiquant l’adresse d’un cimetière. Du haut de ses seize ans, elle pénétrait l’obscurité pour la première fois, et y fut guidée par une femme à la chevelure de jais qui attendait là, installée sur le bord d’une pierre tombale comme si elle y était chez elle, la soie de ses vêtements couverte de sang. « Bonsoir ma très chère.. je vois que tu as trouvé le chemin.. » La voix dégageait des sonorités mielleuses et envoûtante, et d’une certaine façon peu rassurantes, provoquant un incontrôlable frisson dans l’échine de la demoiselle qui ne parvenait pas à identifier l’être lui faisant face. « Vous devez faire erreur.. » avait dés lors soufflé le timbre cristallin, en réponse hésitante. Les légendes sur les vampires, elle les avait étudié, suffisamment pour savoir reconnaître ce teint de porcelaine, ce regard profond. La peau de nacre et la beauté fatale. « Une mère reconnaît toujours sa fille, sache-le. » Le ton un brin abrupte fut étrangement suivi d’un sourire presque tendre, malgré la froideur de cette femme dont elle ne connaissait toujours pas l’identité. Sa mère, sous-entendait-elle ? Comment un vampire pourrait décemment être sa mère ? « Sais-tu combien tu lui manques ? » Un signe de tête à la négative. « Non madame.. et cela m’importe peu. » « Tu ne veux vraiment pas apprendre d’où tu viens ? Ce qui a poussé ces gens à t’élever ? » Visiblement, la curiosité fut piquée avec brio, l’encourageant à poursuivre. « Je suis ta grand-mère, Elinor.. c’est bien ainsi qu’ils t’ont nommée ? Nous avons tous fait une erreur en te laissant à ces sorciers de pacotilles. Une erreur que ta mère veut rattraper. Elle n’avait que seize ans, c’était bien trop jeune, n’es-tu pas d’accord ? Pourrais-tu, toi, élever convenablement une enfant ? » Le regard clair de l’interpellée se promenait sur la silhouette située à une distance raisonnable, cherchant à y déceler une once de mensonge, cependant le visage n’exprimait rien si ce n’était la noirceur inconcevable de cette âme qui, elle le devinait sans mal, avait arraché la vie à ceux qu’elle considèrerait toujours comme ses parents, envers et contre tout. « Je ne le pourrais pas. » Si jeune, pourtant pleine de sang froid, elle contrôlait le tremblement douloureux qui s’éprenait de son cœur malheureux. Elle avait pleuré toutes les larmes de son frêle corps dans les bras de son oncle, de sa tante, et déjà elle devait affronter l’épreuve d’une vérité monstrueuse. Comment faire face au Mal lorsque l’on en ignore l’essence ? « Mais je n’ai nullement besoin de vous. Sur ce, bonne nuit. » Il était naïf de croire que cela s’arrêterait si simplement. Elinor avait glissé le doigt dans un engrenage qui la happerait inévitablement ; c’était le Destin.

« TRANSITION »

Tu étais si faible que c’en était presque risible. Ces idiots ne t’avaient appris que des potions de vieilles femmes, des broutilles, rien qui ne te permette de lutter contre un assaillant. Je t’ai regardé te débattre, cette nuit-là, alors qu’un homme éméché t’assaillait. J’ai observé ta terreur, j’ai perçu le sang pulsant dans tes veines. Tu avais refusé de me croire lorsque j’étais venue te parler de ta famille, tu avais renié ta nature pour te plonger dans la banalité d’une vie de mortelle, mais le don que tu possédais naturellement ne te laissait pas en paix, mettant en danger ton identité, la notre. J’avais l’air de n’avoir pas plus de trente-cinq ans, j’en avais pourtant bien plus, ayant conservé une jeunesse apparente, une jeunesse physique grâce à la sorcellerie que j’avais toujours allègrement pratiqué, n’optant pour avoir une héritière que bien tard. Mon teint pâle te fit sûrement penser que j’étais de ces oiseaux de nuit suceurs de sang, et peut-être cela m’amusat-il de te le faire croire.. tout n’était que voiles et mensonges ma petite. Tu avais avalé la couleuvre avec une facilité déconcertante.. étais-tu vraiment digne de notre ancestrale lignée ? J’étais là pour le vérifier. Je l’ai vu se coller à ton corps, chercher à dégrafer la robe azur que tu portais, et je t’ai vu poser ta main sur sa joue, givrant la peau avec difficulté. Je reste persuadée que tu ne serais pas allée plus loin s’il n’avait pas insisté. Quelle idée de te perdre dans les bars à la tombée de la nuit, à ton âge ? Tu as plaqué la main contre ce torse masculin, le repoussant, et je l’ai vu suffoquer. J’ai alors compris que ton talent visiblement inoffensif ne l’était pas. Tu usais de la glace pour geler l’eau, pour figer le liquide que tu pouvais percevoir sous tes doigts, usant d’une perception aigüe de ce liquide qui coulait, à l’instar du sang, en chacun d’entre nous. C’est véritablement là que j’ai désiré faire ton éducation. Recroquevillée dans un coin, deux ou trois ruelles plus loin, tu avais l’air d’un oisillon perdu, et je venais en sauveuse te redresser, bercer ta culpabilité. Tu pensais l’avoir tué, je te laissais le croire, il n’en était rien. Quel plus doux poison que la culpabilité, ma très chère ? Ta mère n’est pas venue, elle n’est jamais venue, ayant refait sa vie, refusant encore d’affronter ton aspect si chétif. J’allais te rendre digne d’elle, digne de nous.

« JUSQU'A L'ÂGE ADULTE »

Lorsque je t’ai accueillie, tu étais si méfiante que je t’ai laissée explorer ta nouvelle demeure, un autre manoir recelant d’ondes mystiques bien plus perceptibles. Je crois ne pas me tromper en affirmant que tu t’es laissé attirer par elles, par ce flux qui te traversait avec aisance. Je t’ai enseignée l’histoire de notre lignée, et pour un temps, tu m’as adoptée. Je t’ai vue changer, t’épanouir, telle une rose noire dans le silence troublant de la nuit. Je t’ai ouvert ces livres que l’on te refusait, t’ai glissé entre les doigts les pages de nos plus noirs grimoires. C’était ton héritage, et tu l’acceptais mieux que je ne l’aurais cru. Dans cette taverne de lapins blancs tu avais été bridée, tu t’es donc rattrapée, apprenant à contrôler ce don offert par une nature généreuse. La glace était ton élément, le froid ta délivrance, la pluie une arme indéniable, et ta température plus basse que la normale s’accommodait sans mal à l’univers dans lequel tu apprenais à évoluer. Je t’aurais gardée forte, sur le chemin de la puissance, si tu ne t’étais pas lâchement effondrée face à l’étendue du mal que tu pouvais faire. Oui, celui-ci était bel et bien mort, charmant sacrifice, mais que veux-tu mon enfant.. l’on a rien, sans sacrifice.

Il t’a recueillie à son tour, dans une rue, sous un orage violent. Tu étais encore sous le choc, tremblante en réalisant ce que je t’avais poussé à étudier. Les noires arcanes de la sorcellerie, tu n’avais pourtant fait que les frôler, tu n’en étais qu’au commencement. Le bel inconnu, ce prince charmant que tu crus d’abord blanc comme neige, t’embarquas à la Nouvelle-Orléans, jouant de son air te voulant du bien pour gagner ta confiance. Voilà un an que tu en arpentes les rues, une année durant laquelle tu as repoussé tes travers, te plongeant corps et âme dans un boulot d’Antiquaire peu banal. Dans l’arrière boutique, tu prépares quelques filtres, tu gagnes confortablement ta vie, et tu pries pour ne jamais céder aux tentations. Tu devrais pourtant te méfier de celui en qui tu as placée ta confiance.. il n’est pas si blanc que tu le crois.

• CHAPITRE 1 CONTE PAR MME EINSLOWE (mère adoptive), CHAPITRE 2 PAR UN NARRATEUR OMNISCIENT, CHAPITRE 3 & 4 PAR MME MONTGOMERY (grand-mère biologique).