Cadeau de ses vingt-deux ans, Micah fait 1m70, a une silhouette qu’elle juge correcte, bien qu’elle ne cesse de grignoter entre les repas, et ses courses, chaque matin, ont transformé ses cannes d’adolescente en de belles jambes bien galbées. C’est donc, sans complexer, qu’elle se permet de mettre des jupes ou des shorts en été, ce qui l’arrange grandement. Elle détesterait se sentir mal dans sa peau, pour une raison supplémentaire autre que son « don ».

Les cheveux de Micah retombent sur ses épaules en de très légères ondulations blondes, bien qu’elles prennent parfois des teintes plus foncées, cela grâce à son pouvoir qu’elle trouve tout de même agréable à utiliser pour de petites choses, comme celles-ci. Ses pupilles sont vertes, avec parfois de vagues nuances bleutées, sous l’influence du soleil. Micah a un sourire agréable et se tient droite. Elle aime les habits simples, bien qu’elle ait du goût lorsqu’il s’agit de se vêtir pour une soirée. La simplicité n’empêche pas d’avoir une certaine classe, pas vrai ? Il en est de même pour sa tignasse blonde. Si, quand elle va en cours, elle les laisse détacher, elle adore chercher de nouvelles coupes pour ses sorties.

Micah n’est pas une femme facile à approcher. La seule personne avec qui elle soit proche, en ce moment, est son frère, Jazel. Les autres, elle préfère les éviter. Elle a trop peur d’être déçue, de se rendre compte que ceux en qui elle avait cru voir des amis sont, en réalité, comme ses parents. C’est donc par le silence qu’elle se défend. Un mur de froideur l’encercle, l’emprisonnant dans sa solitude, et rejetant les personnes qui tentent une approche. Elle est convaincue qu’elle n’a besoin que d’elle-même pour vivre sa vie. Jaz’ a bien tenté, plusieurs fois, de la démentir, mais cela s’est toujours soldé en dispute. Elle ne veut pas se laisser convaincre. Elle craint le contact, que ce soit par la parole ou le toucher. De plus, elle sait qu’elle a la possibilité d’être au goût de tout le monde, mais elle ne peut pas se résigner à utiliser son pouvoir dans ce but. Cela reviendrait à revêtir un masque, à se créer une nouvelle identité, à ne pas être celle qu’elle est vraiment. Au fond, elle est complètement perdue. Constamment sur la défensive, méfiante, elle n’attend pourtant qu’une seule chose : qu’on lui tende une perche et que celui au bout soit assez fort pour la relever.

Micah a également un côté totalement imprévisible. Bien qu’elle ait ses habitudes, elle n’hésite pas à s’affranchir de sa routine pour faire ce qu’elle a envie, à ce moment-là. Ce qui pourrait malheureusement lui causer des problèmes, un jour. De plus, sa susceptibilité et son impulsivité n’aide pas.

En revanche, si Micah n’a pas beaucoup de qualités qu’un ami recherche, elle en a tout de même quelques unes qui plaisent beaucoup à Jaz’. Premièrement, elle est prudente. Elle se méfie de tout ce qui l’entoure et est loin d’être naïve. Puis, elle a un excellent sens de l’observation et une capacité d’analyse bien forgée, que ses études en psychologie ne cesser de former. Et, pour finir, elle est dotée d’un humour bien à elle, qui compense son mauvais caractère. Sa meilleure défense ? Le sarcasme.

« C’est un monstre ». Si les souvenirs de Micah étaient bons, ces quelques mots étaient les premiers que sa mère lui ait dits, alors qu’elle venait de naître. Pour dire vrai, elle ne s’en souvenait plus, c’était son père qui avait prit un plaisir malsain à le lui rappeler. Ce jour-là, Micah s’en souvenait très bien, par contre. Son cher géniteur avait balancé cette information blessante entre le plat de résistance et le dessert, avec un sourire agréable collé aux lèvres et un ton faussement désinvolte. Son grand frère, Jazel, avait protesté. Sa mère avait confirmé les dires de son mari. Micah, elle, avait serré les poings, mais s’était tût.

Règle numéro une dans la famille Andom : Micah ne devait en aucun cas prendre la parole, car tout le monde le sait, les monstres se contentent de grogner. N’était-ce pas cette image que les films américains renvoyaient ?

Bien évidemment, Jazel avait toujours été choqué de la manière dont ses parents traitaient Micah et il avait protesté de nombreuses fois, défendant avec toujours plus de véhémence sa petite sœur. Dans ces cas-là, on l’écoutait d’une oreille, vaguement attentif, puis on le sermonnait de prendre ainsi la défense d’un monstre, avant de le féliciter pour ses bonnes notes, car Jaz’, c’était un cliché ambulant à lui tout seul. Surdoué, il était à cette époque le premier de sa promotion. Il avait une petite amie, une dénommée Amy Campbell, pom-pom girl de son état, des tas d’amis géniaux qui le soutenaient et la clé de la réussite en poche. Certains disaient qu’il était né sous une bonne étoile, celle de la chance, d’autres pensaient que c’était pour compenser l’état de sa cadette. Les « autres », c’était toute sa famille et cela ne cessait de le répugner, un peu plus chaque jour. Il ne supportait plus cette étroitesse d’esprit.

Micah n’était pas idiote ; elle avait parfaitement comprit que son frère, de trois ans son aîné, faisait face à un dilemme, qu’il ne pouvait résoudre aisément. Elle ou ces fameux « autres », tel était son choix. Elle lui avait, maintes et maintes fois, demandé de ne pas rester auprès d’elle, car elle savait que, pour l’instant, on passait toujours l’éponge sur ses rebellions, mais elle se doutait que cela ne continuerait pas bien longtemps. Et elle ne souhaitait pas le voir, à son tour, devenir un renégat de la famille Andom. Elle ne comprenait que trop bien ce que cela signifiait. La solitude, le rejet, le dégoût de soi-même et, surtout, ce besoin viscérale d‘intégration, celui qui vous bouffe le cœur et qui tiraille votre esprit à longueur de journée. Mais il avait refusé. Contrairement à elle, être accepté n'était pas ce qui lui tenait le plus à cœur.

Règle numéro deux dans la famille Andom : Tenir Micah éloignée. Plus un monstre est loin, moins il est dangereux.

Les parents de Micah l’envoyèrent dans une école privée à l’étranger. « Là où personne ne pourrait la voir », selon sa mère. Là-bas, bien trop peu sûre d’elle, elle préféra s’isoler de tout. Plus que jamais alors, son frère lui manqua. Mais, cela lui permit également de réfléchir à son passé, comme à son avenir ; étrangement, elle trouvait les deux étroitement liés. Elle y voyait la peur et l’isolement. Elle songea que sa vie se déroulerait sans doute tel un cercle vicieux ; sans fin, répétitif et auquel on ne peut pas échapper.

Les journées dans cet établissement étaient longues. Les heures s’étiolaient avec langueur et paraissaient ne jamais vouloir se terminer. Le ciel était constamment gris, les hauts murs étaient gris, les uniformes étaient gris, les draps étaient gris. Les couleurs lui manquaient. Tout était terne, avec un arrière goût amer, ici. Elle en oubliait la vivacité du rouge et du vert, ainsi que l’exquis parfum des roses et des clématites ou, encore, la douceur des patchworks multicolores de son enfance. Un tourbillon de poussière emprisonnait ses souvenirs. Elle se sentait dépérir d’ennui, la dépression n’était plus loin.

Néanmoins, c’est une vivace folie que favorisa Micah. Après une énième farce de ses compagnes de chambres, elle craqua. Pas au sens où elle se métamorphosa en fontaine, mais plutôt dans le cas « peu importe les règles, puisque c’est moi qui les fait ». Pour la première fois, elle utilisa volontairement le don qui lui avait causé tant de malheur depuis sa naissance. Celui qui lui avait fait emprunté différentes apparences, alors qu’elle n’était encore qu’un bambin, celui qui avait donné la plus belle de ses frayeurs à sa mère. Elle s’amusa comme jamais auparavant. Elle donna à sa peau une teinte bleue, fit devenir ses cheveux roses, ses yeux violets et ses lèvres jaunes. A treize ans, elle prit ces transformations non pas comme un jeu, mais comme une vengeance. Son esprit était clair ; elle ne cherchait pas à tromper son ennui, à sortir de sa torpeur, mais à faire peur. Elle devenait le monstre que son père craignait tant.

Elle resta deux jours dans cette enveloppe charnelle, à se cacher dans les multiples recoins sombres du bâtiment scolaire. Elle se sentait faiblir, mais elle ne voulait pas redevenir la simple blondinette, elle ne voulait pas recommencer à être Micah. Ses parents furent avertis. Leur réaction fut jouissive pour la jeune fille. Ils étaient horrifiés. Mais, elle ne put réellement célébrer sa victoire. Elle était fatiguée, mais pas de cette fatigue habituelle, non. Son énergie, celle qui la maintenant en vie, lui filait entre les doigts. Son nez se mit à saigner, son épiderme reprit sa pâleur habituelle et elle s’évanouit. C’est Jazel, envoyé par ses parents, qui la retrouva ainsi.

Règle numéro trois dans la famille Andom : On ne provoque pas, sous aucun prétexte, Micah. C’est vrai, qui aurait l’idée d’aller donner des coups de bâtons à un chien qui a la rage ?

De retour « chez elle », Micah reprit les cours dans une école publique non loin, ses antécédents effacés par la généreuse somme que son père offrit au doyen. Le reste de son éducation se passa donc dans cet établissement, où, considérée comme une fille étrange, elle continua à subir son isolement en silence.

Dès sa majorité, Micah a embarqué avec son frère. Elle habite, à présent, chez lui, loin de leurs parents, à Saint-Louis. Etudiante en psychologie, son frère est, quand à lui, infirmier. Tous deux n’aiment pas vraiment les vampires et les autres créatures qui vivent à la nuit tombée, bien que Jaz’ soit plus ouvert d’esprit, par rapport à tout ce qui touche au surnaturel, que Micah, qui se méfie de tout.