Ma chère sœur bien aimée. J’ai chaud. J’en ai le souffle coupé. J’exècre cette chaleur. Tauris m’ennuie. Je ne comprends ni la langue, ni leurs coutumes. La nourriture me rend malade et leurs épices veulent ma mort. Je fais tout pourtant pour faire bonne figure. On me dit libre d’aller et de venir à mon bon gré. Toutefois, pour moi je suis captif. Prisonnier de ce pacte de non-agression signé par mon frère et qui m’a valu mon voyage en ces terres arides. Comment me sentir comme chez moi alors que je suis si loin de ma famille ou de mes proches ? Je ne suis qu’un outil de pression pour eux. Un butin avec des boucles blondes qui n’a aucun droit ou aucun désir. Je maudis ces pactes et ces complots qui se trament dès que je trouve le sommeil. Mon pays de naissance me manque. Je suis pourtant traité comme un fils. Le sultan aime ma présence et veut déjà me marier à une de ses filles. Il a même découvert mon talent pour compter. J’ai droit de siéger à sa table et parler avec lui de commerce. Je vois déjà quoi vendre à prix d’or sur nos terres. Et, malgré mon jeune âge, je n’ai pas eu peur de demander un pourcentage. Il a éclaté de rire et a passé sa main dans mes cheveux. S’il savait à quel point je souhaite sa mort ? Mais, à la place, j’ai souri comme ma mère m’avait toujours appris à le faire.

Ma bonne amie. JJ’ai croisé son regard lors de ces nombreuses nuits où je ne dormais pas. En dessous de mon balcon, il était là. Il me fixait. Moi, l’enfant encore si proche de l'enfance. Depuis, dès que la nuit tombe, il est là, il surgit et nous parlons pendant des heures entières. Comme cette phrase que je n’oublierais jamais : «Vous sentez si bon. Vous devez avoir un goût délicieux.» Il a l’âge de père, mais il y a quelque chose en lui qui m’attire irrémédiablement. Il est si savant. J’ai l’impression que chaque nuit est une nouvelle mise en question de mes compétences. Je vois bien qu’il me teste. Il veut savoir si ma tête est bien pleine. Il n’aime pas la bêtise. Mais qui est-il ? Est-ce un ami du Sultan ? Il m’affirme qu’il est présent ici pour affaire et qu’il repartira bientôt. Cette nouvelle me fend le cœur. Mais, hier…Ma sœur j’ai comment dire…pêché, et cela, à de nombreuses reprises. J’ai croqué la pomme et je me suis offert à lui comme une femme s’offre à un homme. J’en ai encore les genoux qui en tremblent. C’était...Je dirais douloureux. Il a des goûts très particuliers et cela m’effraie encore. Je ne peux t’en dire plus, car la honte vient me monter aux joues.

C’est le dernier billet que j’ai envoyé avant d’être transformé. J’ai perdu mon humanité, mais j’ai gagné à la place l’immortalité. J’ai arpenté les terres et j’ai voyagé avec mon créateur. Il m’a pris sous son aile et je n’ai jamais posé de question. J’étais en son pouvoir, sa chose et j’ai été idiot de croire qu’il pourrait un jour m’aimer comme je l’aimais.

Oh, toi qui était tout pour moi. Ton absence, ton odeur et même tes états d'humeurs mêmes les plus violents me manquent. Tu m'as laissé dans les griffes de ces pères qui étaient les tiens. Je me moque bien du rang que je dois tenir au sein de ce clan qui est maintenant le mien. Tu dis que je dois apprendre et faire bonne figure. Et, si je ne veux pas ? Tu dis que je dois m'élever et trouver ma place, mais je ne veux pas de ce cadeau. Je me retrouve dans des livres de comptes poussiéreux et toi...Tu dois passer tes mains dans d'autres cheveux. Je maudis ce jour à présent où je t'ai laissé t'abreuver à mon sang. Les années passent et j'ai l'impression de ne plus rien ressentir. Je deviens sec et amer comme toi. Je te maudis...et je t'aime.

 «  Pourquoi me faire venir si c'est pour m'humilier de cette manière ? » Qu'est-ce qu'elles pouvaient m'énerver ! Elles gloussaient en ma présence comme si j'étais une distraction à leurs yeux. Ces femmes me montraient du doigt, un verre de sang à la main, car mon apparence juvénile était risible pour eux. J'avais le double de leurs âges, cependant je n'avais rien d'un homme. Est-ce je ne méritais pour cela aucun respect ? Mon regard était froid et intransigeant.  « Vous ne faites que plaisanter ? Pourtant, est-ce que j'ai l'air de rire ? » Elles continuaient pourtant à m’humilier en fixant mon pantalon et riant aux éclats.  « Si cela peut vous amuser de penser que j'ai toujours un sexe d'enfant. Maintenant, excusez-moi, mais certains travaillent ici. Mesdames... » Je me promettais à cet instant de m'élever et de devenir puissant. On me craindrait un jour. On me respecterait !

J’ai alors traversé les époques. J’ai vu les modes s’effacer pour en remplacer une autre. Certaines choses changeaient si rapidement, mais une seule perdurait : l’argent. J’ai tout de suite compris quel pouvoir il avait. Comment énerver un immortel qui avait assisté à la mort de Jesus Christ si ce n’est en le privant de sa trésorerie. J’ai appris à déplacer des fonds, à créer des caisses secrètes, les OPA agressives, épargner, tricher, mentir et surtout la patience. Je laissais les guerres de sang à mes proches. Je visais pour ma part plus loin. Je savais que l’argent dirigeait le monde et j’allais en prendre le pouvoir d'une manière ou d’une autre.

«Je n’en peux plus de cette ville...Je m’ennuie...» Cela faisait cinq maintenant que j’habitais cet hôtel particulier à La Nouvelle-Orléans. Je m’ennuyais. Cette ville n’avait pour moi plus rien d’amusant. J’avais l’impression d’être surveillé, épiée. Je passais mes nuits devant mon ordinateur à vérifier mes placements sur les bourses du monde entier. Je parlais huit langues et mon seul mot d’ordre était gagné toujours plus d’argent. Mais, je devais suivre la voie tracée à notre maître à tous. Le créateur de notre Clan. Nous devions aider les humains. Parfois, on me demandait de déplacer des fonds pour une bonne cause, j'obtempérais. Qu’est-ce que dépenser cent mille dollars dans la construction d’un centre pour jeunes toxicomanes quand on en gagne six milliards dans la vente d’objets d’art ? Nous étions aussi dans la pharmacologie, la conquête spatiale, l'hôtellerie de luxe et beaucoup d’autres secteurs.

«Il paraît que tu l’as vu ?» Je me laissais aller à mon premier sourire depuis des siècles. Celui qui avait été mon maître et mon amant se trouvait en ville. Je retrouvais des sensations dans mes doigts que je pensais ne plus jamais ressentir. Pourtant, il m’avait abandonné. Je n’avais été qu’un amusement de quelques années pour lui. Qu'est-ce que je voulais m’offrir à lui ! M’offrir comme au premier jour sans aucune retenue dans une débauche de luxure incontrôlée. Je le laisserais s'abreuver comme si je n’étais qu’une vulgaire Pomme de Sang. Je savais qu’il avait les mêmes goûts que le créateur de notre clan.