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What do you see in those eyes
16 Avril 1943, Madrid

Mes yeux. Ils étaient si lourds, si enfoncés dans leurs orbites. Que m’arrivait-il ? J’avais envie de bouger, mais c’était impossible. Aucun de mes membres ne répondait à mes ordres. Je ne me rappelais plus de rien, de là où je me trouvais, ce que je faisais. Qui j’étais. J’étais juste là, allongée, immobile. Et je me replongeais dans le sommeil.
Un nouveau réveil. Un peu plus de force dans mon corps. J’ouvre les yeux, il fait nuit. Je ne reconnais toujours pas l’endroit où je suis. «Oui, c’est-ça, ouvre les yeux.» Une voix. Grave, veloutée. Une voix que je connais. Oui je sais à qui elle appartient, à lui, Señor Javier Marquez. Pourquoi est-il avec moi ? Pourquoi est-il là ? J’essaie d’ouvrir la bouche, mais aucun son n’en sort. «N’essaie pas de parler mi Corazón, il te faut du temps pour t’adapter à ta nouvelle vie. » Sa main se posa sur ma joue, et enfin je vis son visage. Les mêmes prunelles sombres, déstabilisantes et perçantes. «Je t’ai fait le plus beau des cadeaux, celui que très peu offrent au commun des mortels.» Il s’assit à côté de moi, et je devinais être installé sur un lit. «Catalina, tu es un vampire désormais, une créature de la nuit.» Je le fixais, incapable de faire autre chose. Je ne comprenais pas ses mots. J’étais perdu.

I'm only human
21 Août 1942, Madrid

Encore lui. Toujours après moi. Ne se lassera-t-il donc jamais ? Je suis une femme mariée, une situation respectable, certes pas heureuse mais je ne suis pas à plaindre. Néanmoins, il persiste. Il me comble de cadeau comme un père le ferait, il m’offre des robes de très haute qualité comme un mari le ferait et il m’écrit des lettres enflammées comme un amant le ferait. Il n’est rien de tout ça. Il n’est qu’un soupirant qui me court après, n’écoutant aucun de mes refus. J’avais beau lui refusé mon cœur, il continuait. Chaque jour une nouvelle offrande. Chaque jour un non. Bien que je l’envoyais sur les roses, je me gardais bien de lui rendre les cadeaux. Ils m’étaient offerts, j’avais donc droit de les garder, non ?
Je ne connaissais pas cet homme. Seulement son nom, Señor Marquez. J’avais interrogé mes gens de maison, les voisins et même la Paroisse. Tout le monde s’accordait sur une chose, sa discrétion. On le connaissait mais on ne le voyait point. Il ne sortait pas de la journée, pour s’instruire disait-on. Et ne m’apparaissait qu’à la nuit tombée. Je le prenais pour un excentrique.

Out of this time
21 Juin 1972, San Francisco

Je déteste les Hippies. Ils sont trop lents, trop joyeux « Faîtes l’amour pas la guerre » etc… Ils s’habillent de manière répugnante, toutes ces couleurs, ces fleurs. Leur hygiène est déplorable qui plus est. Mais là n’est pas le pire. Leur sang. Infecte. Imbibé d’alcool et de drogues en tout genre. Les vidés de leur sang c’est comme sniffer un rail de coke. Je plane autant qu’eux, et voir plus. Si au début je trouvais ça marrant, j’ai vite déchanté. Les effets secondaires. Mal de tête, fatigue. Et la colère de mon créateur.
Il me hurle dessus à chaque fois, m’insultant, me qualifiant de gamine irresponsable et stupide. Il a toujours l’air furieux après moi. Pourtant c’est lui qui est responsable de ce que je suis. Il a fait de moi un monstre, une créature affamée qui ôte la vie sans scrupule. Mais je ne lui en veux pas. J’aime ma condition. Je suis libre de faire ce que je veux. Je suis plus forte, plus rapide. J’ai du pouvoir. Jamais dans ma vie je ne me suis sentie si bien.
Mon humanité. Je ne m’en souviens plus. Quelques bribes me reviennent par moment. Mais j’ai oublié qui j’étais, où je vivais. Ma famille. Avais-je un mari ? Des enfants peut-être ? Mon créateur dit que les trente premières années sont les plus difficiles. Voir le monde changer alors qu’on reste immobile, comme hors du temps est le plus difficile à accepter. Et il m’a avoué, que dans mon cas, ça serait plus long. Le contexte de ma transformation, le pays, l’époque. Tout a influencé mon esprit. Comme si devenir vampire avait occulté toutes les mauvaises choses que je vivais auparavant. J’espère qu’un jour je me remémorerais.

What is love ? Baby don't hurt me...
1 Décembre 1975, San Francisco

Je n'aurais jamais cru cela possible. Je m'étais résignée, en devant une non-vivante, à ne plus aimer. Ne plus ressentir des papillons dans le ventre. Et pourtant. Ziven a réussi à me rendre vivante. Quelques semaines que nous nous fréquentons et il est le premier pour lequel j'ai envie de passer outre mes restrictions. Transformer. Donne l'immortalité. Je voyais en Ziven un compagnon de vie, d'éternité. Si j'étais vivante, j'aurais donné ma vie pour lui. A l'heure d'aujourd'hui je serais prête à lui offrir l'immortalité.
Javier ne l'a jamais rencontré. Il ne sait même pas pour lui. Je n'ose pas le lui présenter, j'ai tellement peur qu'il me gâche mon bonheur. Perdre Ziven reviendrait à mourir. Véritablement.