PARIS, 1838
Charles faisait les cent pas dans sa maison parisienne. Il n'arrivait pas à l'enlever de sa tête, il n'arrivait pas à l'oublier. C'était devenue une obsession, une véritable obsession. Ses mains se posèrent brutalement sur la table avec un bruit sourd. « Voyons Charles, calmez-vous, c'est insensé ! » La voix douce et mélodieuse d'Elisabeth ne fit aucun effet sur le jeune homme. Le regard qu'il lui lança, lui indiqua clairement qu'il ne serait jamais calme à moins d'avoir ce qu'il souhaite. Elisabeth connaissait Charles depuis plus de cent-cinquante ans maintenant et elle ne l'avait jamais vu comme ça. « Je la veux Lise. Il me la faut. Il nous la faut, c'est ce dont nous avons besoin, vous le savez. » Charles et Elisabeth étaient un couple de vampire depuis tant d'années qu'ils s'étaient presque lassés l'un de l'autre. Ces derniers temps, le vampire semblait penser qu'il leur fallait un nouveau compagnon pour se distraire et 'revivre'. Seulement Elisabeth n'était pas de cet avis. Tout ce qu'elle voyait en cette petite fille que Charles convoitait, c'était une rivale. Une rivale magnifique au visage de poupée. Une œuvre d'art que son compagnon pourrait montrer à tout le monde. Perdue dans ses pensées, Elisabeth n'entendit même pas son ami lui dire qu'il partait chercher la fillette. Elle n'eut pas le temps de faire un geste, et de toute façon, elle n'aurait jamais pu l'empêcher d'aller la prendre.

Le vampire pénétra d'abord dans le salon. Rose n'était pas là, alors tuer les deux parents fut très simple. Charles fut tellement rapide qu'ils n'eurent pas le temps de le voir, ni de crier. Il renonça même au plaisir de boire leur sang pour pouvoir les tuer d'un coup de couteau dans la gorge, et faire croire à la petite qu'ils avaient été assassinés par un bandit. Maintenant, il n'avait plus qu'à attendre. Attendre que Rose entre dans le salon, et se mette à crier. A ce moment-là, il n'aurait plus qu'à accourir en héros et à la transformer tout de suite. Le vampire n'eut pas à attendre bien longtemps et son plan marcha à la perfection. Rose était à lui.

PARIS, 1870
« Chérie, j'ai une surprise pour vous, vous allez être ravie. » Rose tourna sa tête blonde vers son protecteur et l'enveloppa d'un regard tendre. Cela faisait des années qu'ils vivaient ensembles et elle ne sait pas ce qu'elle aurait fait sans lui. Charles l'avait sauvé d'une mort certaine, après l'assassinat de ses parents par un bandit, puis il lui avait offert la vie éternelle. Rose savait très bien qu'elle ne devait pas s'exposer au soleil, ni toucher de l'argent ou tout autre objet bénie. Son protecteur lui avait tout appris. Ce qu'elle ne savait pas en revanche, c'est le plan qu'il avait du mettre en place pour la faire entrer dans sa vie. Quelques mois après la mort de ses parents et sa transformation, Charles lui avait présenté un jeune homme qui affirmait être le bandit qui avait tué ses parents, puis il lui avait laissé et elle s'était fait un plaisir de le tuer en le faisant souffrir le plus possible. Ce que la petite fille ne savait pas, c'était qu'il avait envouté le garçon pour qu'il avoue le meurtre. « Alors, qu'est que c'est ? Hâtez-vous !. » Avec un sourire, Charles s'approcha de son enfant et lui déposa un baiser sur le front avant de lui donner une boite rectangulaire de couleur bleue.

C'était un miroir de poche magnifique, sûrement travaillé à la main. Rose était habituée à ce genre de cadeaux, Charles lui en apportait tout le temps. En principe,c 'était pour la féliciter d'avoir garder son sang-froid quand ils sortaient dans un lieu infesté d'humains. Avec un grand sourire, elle le remercia et se jeta dans ses bras. Ils n'avaient jamais été aussi heureux. Charles avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour contrôler la petite fille. C'était un bon professeur et Rose lui en était reconnaissante. Les premières années avaient été les plus dures, mais maintenant, elle commençait à aller mieux. Du moins, elle évitait les carnages. Elle ne résistait jamais à l'envie de faire souffrir les humains, ou de se mettre en scène pour leur mort leur paraisse horrible, mais c'était dans sa nature. Elle adorait jouer avec la nourriture.

Elisabeth les avait quitté quelques années en arrière. Elle avait voulu s'en prendre à Rose, elle avait voulu lui faire un cadeau empoisonné. Une robe brodée de fil d'argent. Heureusement Charles était arrivé à temps et avait chassé sa compagne, devenue trop jalouse et trop mauvaise pour continuer à vivre avec eux.

PARIS, 1950
Rose n'en revenait toujours pas. Elle avait appris la vérité, toute la vérité à propos de son créateur. Une lettre d'Elisabeth était arrivée ce matin et elle lui avait expliqué en détail les plans de Charles. Au début, elle n'y avait pas cru et avait voulu jeter la lettre au feu. Mais le doute s'était insinué en elle peu à peu. Elle ne savait plus qui croire. Après tout, Elisabeth était jalouse d'elle, et avait même tenté de la tuer. Était-ce une de ses autres ruses pour l'attirer dans un piège ? Pourtant, il lui semblait que quelque chose de coller pas. Comment un simple bandit avait pu faire exploser la porte de sa maison de cette façon. Rose se souvenait très bien de ce détail maintenant. La porte n'était pas cassée que du côté de la serrure, on aurait dit qu'elle avait été enfoncé en son centre. Et l'humain qui était soit-disant le meurtrier, ne lui avait pas semblait assez robuste pour faire ça. Elle n'y avait pas fait attention jusqu'à aujourd'hui. « Bonjour Rose. » La nuit venait à peine de tomber, et la petite fille n'avait aucune idée de l'endroit d'où venait son ami. « Où étiez-vous ? » Charles lui répondit par un sourire. « Je sais ce que vous avez fait. A mes parents. » Les traits du vampire se crispèrent. Est-ce que le moment qu'il avait tant redouté était arrivé ? « Rosie, je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez ! » La petite eut un léger rire, sans joie. « C'est ça, bien sûr. » Charles avait bien compris qu'il ne pourrait pas échapper à la confrontation. Il se tourna vers Rose et lui jeta un regard dur presque méchant. « Si vous n'aviez pas été aussi belle, peut-être auriez-vous pu rester avec vos parents. Mais votre visage m'a complètement déboussolé. Je suis tombée amoureux de vous, dès la première minute où je vous ai croisé dans la rue. Vous êtes devenue une véritable obsession, je vous voulais. » Rose garda le silence. Quel homme pourrait vouloir d'une âme coincée à jamais dans le corps d'une petite fille. Elle ne pourrait jamais être rien d'autre pour lui qu'une enfant. Et pourtant elle l'avait aimé toutes ces années. La vérité qu'elle venait d'apprendre la dégoutait.

Rose attendit un jour de pluie et demanda à un passant de la transporter dans sa calèche. Elle alla vers l'ouest, sans penser à ce qu'elle laissait derrière elle. Rose prit le bateau pour l'Amérique et elle ne voulait jamais revoir la France.

NOUVELLE-ORLEANS, 2012
Depuis qu'elle était arrivée à la nouvelle-orléans, des années auparavant, Rose s'était construit une nouvelle vie. Elle avait trouvé des semblables dans cette ville et avait même rejoint un clan. Les Blackstones.