Vous connaissez l’histoire de l’enfant qui fit tout voler hors de son berceau ? Ou celle de celui qui projetait le biberon d’hors des mains de sa mère lorsqu’il refusait de manger ? Ou encore le bambin qui terrifiait ses parents bien plus que n’importe quelle autre catastrophe naturelle ? Non ? Patience, votre manque flagrant de culture va bientôt être comblé.
| Chapter 1 : Barbouille |
Je suis originaire de la Nouvelle-Orléans, et je n'en ai jamais vraiment bougé. Quelques petits voyages à Los Angeles, Seattle, New-York et autres villes de ce gabarit m'ont permis de me faire une petite idée du monde proche m'entourant, mais jamais je ne me suis aventurée au-delà de nos frontières américaines. Ce qui ne fait pas pour autant de moi une inculte, ayant passé toute mon enfance enfermée dans ma chambre, à lire divers livres de tout thème. Je rêve de faire le tour du monde, et découvrir de nombreuses cultures hors de celles inculquées à l'école. J'ai toujours vécu plus ou moins hors du monde extérieur, mise à l'écart par mes propres parents. Enfin, ceci tant qu'ils parvenaient à avoir un certain contrôle sur ma vie, lors de mes jeunes années. Ils avaient peur de moi, et ceci depuis le jour où j'ai fait voltigé ma couverture, mes doudous, et tout ce qui se trouvait dans mon cerveau, un par un. Je suis télépathe, et mon don s'est développé très tôt. Ce n'était pas grand chose, avec sa force un bébé ne peut guère accomplir de miracles, mais rien ne pouvait jamais tenir en place de manière constante dans mon lit sans que je ne l'envoie balader ailleurs. A part Barbouille, une petite souris en peluche que j'ai reçu d'un parent proche pour mes un ans.
De nombreuses conversations se mirent ainsi à éclater à mon sujet, tandis que je n'avais que quelques mois. Je m'approchais de ma première année, mais la situation ne pouvait plus durer selon eux. Je l'appris vers mes 17 ans, lors d'une énième prise de bec, et tout cette histoire vint s'étaler ainsi, ne m'offrant qu'une nouvelle crise de larmes. Ils étaient effrayés par ma simple présence, persuadés d'avoir mis au monde un monstre, une créature de l'enfer. De plus, ils craignaient que la nouvelle ne se répande. Sur le coup, ils prenaient suffisamment de précautions afin de taire cela. Mais l'avenir les terrifiaient, le moment où je pourrais être en contact avec d'autres. En réalité, je ne suis pas bien sûr que ce n'était qu'une question de cet ordre là. Je pense surtout qu'ils ne voulaient pas voir leur réputation entachée, mon père occupant un poste confortable quand une multinationale, malgré son jeune âge. De fait, ma mère pouvait rester à la maison afin de s'occuper de son nourrisson, telle que la chose fut décidée. Ils changèrent du jour au lendemain, jouant dans ma vie comme l'on joue dans une pièce de théâtre. Faire semblant d'être des parents aimants, attentionnés, afin de pouvoir conserver un contrôle sur mon cœur, sur mon âme, et ainsi volontairement sur l'intégralité de mon existence.
| Chapter 2 : Marty |
Je grandissais lentement dans cette atmosphère falsifiée. Finalement, ma mère s'était attachée à moi, tandis que mon père était bien trop occupé par son travail pour m'offrir une éducation décente de son coté. Je devais avoir dans les cinq ans à l'époque. Nous venions tout juste de passer à table, dehors, dans l’atmosphère encore étouffante des résidus de la longue journée d’été venant de s’écouler. Le coude posé sur le support de bois, le menton jonché dans ma paume de main, je jouais de manière distraite avec ma fourchette. Je picotais abstraitement les épinards présents dans mon assiette, ayant décidé que je ne mangerais pas ces choses ignobles. Même noyés dans du ketchup, le goût atroce était toujours aussi présent. Face à l’insistance de ma mère, je ne pus m’empêcher de réprimer un long soupir malgré mon jeune âge. Je lui avais répété mille et une fois que je n’aimais pas ça, mais la verdure revenait toujours à un moment ou à un autre. Tête de mule que j’étais, je posai ma fourchette à coté de mon assiette, et laissai reposer confortablement mon dos contre le dossier de ma chaise. Je fixai longuement l’assiette, me concentrant de toutes mes maigres forces, et le bout de céramique valsa. Elle fila le long de la nappe, avant de choir au bout de la table, le tout se répandant misérablement à terre. Et, insolente que j’étais, je plantai mon regard neutre dans celui outré de maman.
La porte claque. La serrure grinça. Une fois de plus, je me retrouvais enfermée dans ma chambre à cause de ma mauvaise grâce. Mais au fond, je m’en fichais. J’avais tout ce qu’il me fallait ici, mes jouets, mon lit, mes livres. J’avais appris à lire très tôt, inéluctablement intéressée par le fait de pouvoir déchiffrer tous les petits caractères des livres lus par Maman. Elle y passait une grande partie de son temps, alors j’avais été certaine qu’il s’agissait là du don le plus précieux du monde. Elle m’avait alors appris, et j’avais continué toute seule. Je ne possédais qu’une dizaine de livres, et m’allongeai sur mon lit en attrapant mon préféré. Il contait l’histoire d’une petite coccinelle aventurière, voyageant au gré de ses envies. Elle en découvrit, des pays, des cultures, tout ce qui faisait la richesse d’un monde. De mes petits yeux d’enfant plutôt cloitré dans sa chambre, cela me faisait rêver. Je laissai mes doigts glisser le long d’une page, m’enivrant de la sensation quelque peu rugueuse laissée par l’impression des lettres, me demandant si un jour moi aussi, je pourrais faire comme Marty.
Le lendemain, papa m’accompagna au square durant sa journée de temps libre. Nous faisions ça au moins deux fois par mois, nous permettant de passer quelques heures ensembles. C’était notre petit rituel, et même s’il n’était pas vraiment proche de moi, il n’en restait pas moins l’une des deux personnes les plus importantes de ma vie. Et même si je sentais sa peur, je l’aimais tout autant. Les gestes étaient toujours les mêmes, ainsi que les paroles. Il s’agenouillait face à moi une fois entrés dans le parc, me faisant promettre de ne pas utiliser mon don, et d’agir comme une petite fille normale. Et à chaque fois, je lui répondais un « oui Papa » avec un grand sourire sincère. Il posait son index sur mon nez, puis partait s’asseoir sur l’un des bancs le temps que je joue avec ceux de mon âge. Il m’arrivait de lui demander sur le chemin du retour pourquoi je n’étais pas comme les autres enfants, et il me répondait inlassablement que c’était un cadeau offert par une petite fée, mais qu’il fallait le garder secret, autrement elle risquait d’être mécontente. Cela me suffisait pour ne pas avoir envie de braver ses règles, je ne voulais absolument pas décevoir l’une des sœurs de Clochette.
| Chapter 3 : Mordred |
Un beau jour, un début d’août 2003, alors que la canicule sévissait déjà, je notai en passant dans la rue un visage que je ne connaissais guère. Le visage d’un jeune homme de quelques années mon ainé probablement, qu’il ne m’avait jamais été donné de voir auparavant. Depuis que l’on me laissait un peu sortir de mon antre par moi-même, je passais la plupart de mon temps libre dehors, à observer les gens, tenter de leur donner une existence propre selon leurs attitudes. J’apprenais à connaître ainsi les gens, ne parlant que très peu, laissant ainsi croire au petit monde tout autour de moi que je vivais sur une autre planète. En réalité, pas un seul son perceptible par au moins l’une de mes oreilles ne passait inaperçu. Je prêtais attention à tout, essayant de me souvenir de la tenue vestimentaire portée par les personnes la veille, et de tout petit détail qui aurait pu retenir mon attention.
Je connaissais presque tous mes voisins. La plupart étaient gentils avec moi lorsqu’ils me voyaient, timide et réservée que j’étais. Je passais souvent inaperçue dans la masse, sauf avec une bande de quatre copains de mon âge qui venaient toujours me chercher des noises. A m’arracher le livre des mains que je lisais, se moquer de moi lorsque je jouais de ma basse sur le palier de ma porte… Toujours à m’embêter tandis que je ne leur avais rien fait. Mais j’étais une petite fille qui se laissait généralement marcher sur les pieds, et surtout, cela faisait quelques années que j’avais commencé à faire du judo. Mes parents avaient décidé de m’inscrire dans un club d’arts martiaux afin de m’apprendre la maitrise de moi-même, et d’éviter tout débordement lié à la colère et à mon pouvoir. D’ailleurs, j’étais même interdite de m’en servir à la maison, chose tabou qui n’aurait pas du exister chez une adolescente normale. Alors je m’entrainais cachée, dans mon coin, généralement enfermée dans ma chambre à la nuit tombée. Et je parvenais à soulever des choses de plus en plus lourdes, même si ce n’était jamais bien gargantuesque.
Ce jour-là, je jouais de mon instrument acquis depuis quelques mois. J’avais dépassé le stade de la scie à métaux crissant sur du fil barbelé, mais il fallait toujours être masochiste pour m’écouter jouer par plaisir. Alors je m’en allais un peu plus loin, dans une sorte de terrain vague, un peu à l’écart des maisons résidentielles. Assise en tailleur, je grattais mes cordes l’œil dans le vide, resongeant à ce voisin inconnu. Ce furent des rires moqueurs qui me tirèrent de ma torpeur. Soupirant longuement, je redressai la tête pour croiser le regard du petit chef de bande. Un type qui n’avait rien dans la tête, et dont le physique n’était guère arrangeant. Ce n’était pas dans mes habitudes que de noter de manière négative ce genre de détails sur les gens, mais ils passaient leur temps à se moquer de ma maigreur presque maladive. Mes bras étaient épais comme des fils de fer, ma figure pâle presque cadavérique, entourée par une vague mousseuse de cheveux bruns. Je vivais de l’air du temps, préférant largement de me gorger de nourriture intellectuelle. Je pinçai mes lèvres d’irritation lorsque l’un d’eux tenta de s’emparer de ma basse. Je ne voulais pas que ses sales pattes touchent mon petit joyau. Je fis un vif mouvement en arrière, me relevant en une demi-seconde, mais me retrouvant tout aussi rapidement sur mon derrière après m’être pris les pieds dans une racine.
Puis il arriva. Ce voisin qui avait plus ou moins retenu mon attention apparut de nulle part pour me porter secours. En quelques phrases, les gamins détalèrent, me laissant enfin tranquille. Ce fut avec de petits yeux humides que je le remerciai en cette journée à la chaleur infernale. Il n’avait pas l’air de temps se préoccuper de l’importance que son geste avait eu à mes yeux, et prit place à coté de moi avant de me donner quelques astuces pour ma musique. Mon attention se refocalisa presque instantanément sur ma basse, et je me remis à jouer selon ses bons conseils. Lui jouait de l’ukulélé. Il s’agissait là d’une chose que je n’aurais jamais put deviner, même en l’observant agir dans la rue des heures durant.
| Chapter 4 : Vampire |
Au final, le déclic se fit lors de mon entrée au lycée. Les hormones étaient là, tapies dans l’ombre, me donnant de grands coups de pied à certaines périodes. Je commençais à me rebeller face aux instructions données par mes parents. Certes, je les aimais beaucoup, mais je sentais aussi le besoin de pouvoir mener ma propre vie comme je l’entendais. J’étais lasse de les écouter me répéter à longueur de temps de ne pas montrer mon pouvoir en public, ni même de l’utiliser. Parce que même si je ne le faisais pas devant eux, ils savaient que je continuais à m’exercer dans mon coin. C’était devenu une habitude, voir même un tic.
Penchée sur ma leçon de géographie, je faisais voleter mon stylo bic dans les airs, le laissant tournoyer pendant ce qui semblait être une éternité. J’en avais assez de travailler, et même si cette matière faisait parti de mes préférées, je ne me voyais pas plantée toute la nuit ici, à étudier l’emplacement exact de toutes les capitales du monde entier, rattachée à un pays particulier. Mes parents étaient déjà partis se coucher depuis belle lurette, et mon portable ne cessait de vibrer. J’avais coutume de sortir par ma fenêtre deux ou trois soirs par semaine rejoindre des amis du lycée avec qui j’avais monté un groupe. Ce dernier n’avait pas encore de nom spécifique, mais je savais que ma mère aurait totalement rejeté cette idée, proclamant qu’il fallait que je me concentre sur mes études. De l’autre coté, mon père pensait que je travaillais trop, vu les cernes grandissant sous mes yeux fatigués. Au fond, ni l’un ni l’autre ne connaissait la vérité. D’autant plus qu’à cette époque, j’étais en vacances. Noël approchait à grand pas. Fermant mon livre, je décidai de répondre à l’appel, découvrant au bout du fil la voix enthousiaste de notre guitariste. Qui voulait que l’on se regroupe ce soir, dans sa cave afin de s’entrainer sur notre dernière œuvre. Chose que j’acceptai avec joie avant d’aller enfiler quelques affaires adéquates au froid de canard qui régnait dehors.
Relevant ma fenêtre à guillotine, une ombre attira mon regard en contrebas. La nuit était claire ce soir-là, la lune inondant les alentours, quasiment pleine. Je le reconnus du premier coup d’œil. Mordred. Nous avions assez rapidement sympathisé lors de notre rencontre, et j’aimais lui parler dès qu’il venait en vacances dans le coin. J’avais d’autres amis disséminés ici et là dans la ville, mais c’était en lui en qui j’avais le plus confiance. Même si je gardais beaucoup de choses pour moi-même, et que lui agissait parfois de manière étrange. Nous avions tous nos secrets, et j’étais la première à accepter que l’on ne me dise pas tout, aussi proche que l’on soit. Mais je le voyais souvent, quand il était là, emprunter la voiture de sa tante au beau milieu de la nuit. Il ouvrit la portière de l’engin de mort, puis la claqua aussi sec, retournant d’un pas rapide dans la maison. C’était le moment ultime qui ne se reproduirait sans doute jamais. Même si je ne le montrais pas, j’étais très curieuse. Ni une ni deux, je m’élançai dans le froid, agrippant la gouttière à coté de ma chambre avant de refermer l’ouverture par laquelle j’étais passée, puis descendis en rappel avec aisance. Une question d’habitude, et je faisais généralement beaucoup de sport pour me défouler, ce qui m’avait permis de récupérer une silhouette honorable.
J’eus tout juste assez de temps pour m’infiltrer dans la voiture, allongée à l’arrière, juste devant les sièges. Il revint, et ne me vis pas. Le voyage dura suffisamment longtemps pour me donner envie de vomir, mais je ne voulais surtout pas me manifester. Enfin nous arrivâmes à destination, et j’attendis un peu après lui avant de m’immiscer hors du bolide. Nous étions à la lisière de la forêt, et mon étonnement grandit. Je pensais qu’il allait rejoindre des amis en soirée, ou quelque chose dans le genre. Je lui avais déjà dit l’avoir vu partir comme ça, mais il ne m’avait jamais réellement répondu. Serrant mon manteau autour de moi, ajustant mon bonnet et croisant les bras, je m’avançais perplexe dans les bois, visant à toujours marcher tout droit afin de pouvoir retrouver mon chemin. Je n’étais pas tranquille, et j’étais même prête à prendre mes jambes à mon cou. La peur était là, dans la nuit, dans un endroit où vous vous attendiez à voir tout et n’importe quoi surgir de derrière un buisson. Un assassin, un loup-garou, voir même le petit chaperon rouge avec son petit pot de beurre. La première hypothèse était la plus probable, puisque de toute manière, le reste n’était que des choses sorties de l’imagination des hommes.
Je poussai un long hurlement. Strident. Hystérique. Un homme venait tout juste de jaillir de derrière un arbre, mais sembla ne pas me prêter la moindre attention. Il courait, comme si quelque chose le poursuivait, comme si sa propre vie en dépendait. Il passa à moins d’un mètre de moi, ce qui me fit reculer vivement en arrière, me retrouvant assise dans la terre humide. Les mains agrippées à mon écharpe, je regardais avec des yeux écarquillés l’endroit où l’homme avait disparu. Enfin… Cet homme ? Il me semblait avoir vu de grandes dents dans sa bouche, de longues canines comme celles d’un vampire. Chose qui était impossible, puisque les vampires n’existaient pas. Mais j’étais presque sûre d’avoir vu cela, et puis, je n’étais peut-être pas censée exister moi non plus de fait. Une main sur mon épaule me fit sursauter. Mordred. Il était là, l’air un peu essoufflé, avec une arme dans les mains. Lorsque je lui demandai d’une voix inquiète le pourquoi du comment, il me répondit en rigolant qu’il filmait une sorte de film d’horreur avec des potes. Ah… Je me sentis idiote sur le coup. Il finit par me déposer plus tard chez mes amis inquiets par le temps mis, et repartit l’air de rien.
| Chapter 5 : Grown-up |
Il arrive qu'à moment donné, lorsque l’adolescent quitte sa petite coquille pour tenter de battre de ses propres ailes, tout un monde implose et s’écroule. Je venais tout juste de quitter le lycée, et m’apprêtais à entrer en fac dans un cursus d’histoire. Déjà, mes parents n’acceptaient pas cela, proclamant haut et fort que cela n’était qu’un loisir, et qu’il valait mieux que je me tourne vers des bases prometteuses telles que la médecine. Ensuite, ils avaient découvert l’existence de mon groupe de musique. Ceci tout à fait par hasard, mon père avait parfois l’habitude de sortir avec des collègues maintenant qu’il ne partait plus aux quatre coins du monde pour des histoires de boulot. Et il était arrivé dans le bar où je jouais, avec mon groupe, que nous avions finalement décidé de nommer The Cloudberries. Et là, mesdames et messieurs, ce fut le drame. Il grimpa sur la scène miteuse en criant au scandale, me hurlant dessus de rentrer immédiatement à la maison –une fois de plus, j’avais fait le mur. Je n’étais pas encore majeure, alors ils estimaient pouvoir avoir un contrôle total sur ma vie-. Ce fut les larmes aux yeux et la gorge serrée que je partis du bar en courant. J’étais mineure de toute manière, je n’avais pas vraiment le droit de me trouver en un tel endroit, même si il ne me restait guère de temps avant l’âge adulte.
En réalité, une idée me trottait dans la tête depuis un petit moment déjà. Fin juillet, le jour même de mon anniversaire, toutes mes affaires étaient prêtes, rassemblées sur mon lit. Enfin, la plupart, les plus importantes, je n’avais aucun moyen de les transporter aisément. J’avais pris quelques livres, des vêtements, ma basse, et quelques autres babioles qui avaient une importance toute singulière à mes yeux. Le tout rassemblé dans quelques énormes sacs de randonnée que j’avais récupérés spécialement pour l’occasion. Ce jour-là, je m’éveillai comme tous les autres. Ou plutôt, je me levai à l’aube, chose inhabituelle, après avoir passé une nuit avec les yeux grands ouverts, rivés sur le trait de lumière projeté par le lampadaire devant ma chambre sur mon plafond. Même si j’étais en colère après eux, et que cela faisait un moment que je devais rester enfermée dans ma chambre, en guise de punition, cela m’était tout de même difficile. Partir, quitter le domicile familial pour aller on ne savait où, affronter le regard embué de ma mère qui tenta de me retenir longuement. Puis je partis, à l’aventure dans les rues, là où mes pas me guidaient, quelques rares larmes dégoulinant le long de ma mâchoire.
Je passai quelques nuits dehors, à dormir sur un petit banc dans un parc, ne sachant réellement que faire. Afin d’éviter les complications, j’avais éteint mon portable, me rendant tout simplement injoignable par mon propre monde. Des policiers vinrent à ma rencontre un milieu d’après-midi, envoyés par ma propre mère devenue hystérique. L’histoire fut vite résolue, j’étais majeure, que diable. Une promesse de donner quelques nouvelles, et ils étaient déjà repartis, l’air fort peu ravis d’avoir ainsi perdu de leur précieux temps. Je décidai de faire quelque chose, non pas que la faim commençait à me tenailler –j’avais de l’argent de coté, mais je commençais à répandre autour de moi une odeur qui était loin d’être agréable-, et que la fatigue était belle et bien présente. Je me remis en marche, passant devant quelques boutiques aux mets appétissants, mais ne tentant aucune approche, ayant peur de me faire une nouvelle fois refouler comme une malpropre par le gérant. Mes pas m’emmenèrent dans une place que je commençais à bien connaître, même si du coup, cela faisait un moment que je n’avais pas eu de nouvelles.
Je frappai trois brefs coups à la porte de l’appartement. Cela me gênait horriblement, et j’hésitai même à faire demi-tour et partir en courant, gardant le nez dans la propre mouise dans laquelle je m’étais mise toute seule comme une grande. Je pris finalement une grande inspiration, avant de faire un large sourire à Mordred qui ouvrit la porte. Il n’y avait personne d’autre en qui j’avais suffisamment confiance pour demander une chose pareille. Et pourtant… Je lui expliquai rapidement la situation, et finis par lui demander si je pouvais squatter son canapé le temps de retomber sur mes pattes. Chose qu’il accepta, même si je ne parvins pas totalement à déchiffrer son regard cette fois-ci. J’avais peur de l’ennuyer, et me fis la promesse de ne pas trop tarder. Il insista même par la suite pour que je dorme dans son lit, chose que je refusai d’office. Je venais déjà chez lui, je n’allais tout de même pas pousser le bouchon un peu trop loin. Même s’il m’arriva dans les premiers jours de venir dans son lit au beau milieu de la nuit, l’air de rien, quand mon dos commençait à trop me faire souffrir. J’avais l’habitude de m’étaler comme pas possible pour dormir, et le canapé n’était malheureusement pas très large.
| Chapter 6 : Communal Living |
En fin de compte, au lieu de ne rester chez Mordred que pendant quelques jours comme prévu, j’y demeurai bien plus longtemps. De toute manière, je crois qu’il ne m’aurait pas laissée repartir, et m’aurait collé son pied dans le derrière pour me faire revenir à l’intérieur. Alors ainsi commença notre année de vie commune, à la fois courte et longue, à la fois agitée et calme.
Je parvins à trouver un travail relativement rapidement. Ce n’était pas très bien payé, mais la place s’était libérée au moment où je m’étais présentée, et les candidatures n’abondaient pas dans la supérette. Je décidai d’être caissière à défaut de travailler ailleurs, pour gagner un peu d’argent afin de pouvoir payer une part de loyer, et participer également à tout ce qui faisait la vie d’un foyer. D’autant plus que l’université n’était pas gratuite, alors mieux valait faire des provisions le plus tôt possible afin de ne pas se retrouver dans une situation délicate quelques années plus tard. De fait, j’arrivais à grappiller de temps en temps des bières dans le frigo. Il refusait que j’y touche, que c’était les siennes, mais je profitais souvent de ses moments d’absences. Rien de tel qu’une bonne bière fraiche, surtout après une journée caniculaire en plein été. Alors je me servais l’air de rien, et renflouais par la suite les quelques bières manquantes. Peut-être l’avait-il remarqué, mais il ne me fit jamais réellement de remarques flagrantes, alors je passais outre. Et puis, j’étais un peu comme une petite maman à la maison, s’occupant de son grand frère. Je le forçais à se nourrir correctement, même si la plupart du temps, je trouvais l’option pizza tout à fait convenable. La chose qui me dérangeait était le foutoir pas possible de son appartement, et c’était encore pire avec mes affaires stockées dans un coin. Mais je faisais avec, après tout il m’autorisait à rester chez lui, ce qui était déjà quelque chose d’énorme à mes yeux. Parfois, je rangeais un peu, de manière très sobre, deux ou trois affaires trainantes ici et là, mais je pense qu’il ne le remarquait même pas. Ce qui en soi évitait probablement d’innombrables prises de tête inutiles.
Après, il ne valait mieux pas que je mette le bazar moi-même. Ce matin-là, dans les débuts, je décidai sur un coup de tête de me teindre les cheveux en rouge. Cela faisait des années que j’en avais envie, mais ma mère me disait toujours que cela allait trop attirer l’attention sur moi. Pourtant, j’en voyais parfois, des filles aux teintures farfelues, et il ne me semblait pas que mon idée allait changer quoi que ce soit dans ma vie. Alors la veille, j’avais acheté un pot de coloration à la supérette où je travaillais, mais je n’eus le courage de le faire le soir même, exténuée. Et le lendemain, je me réveillai très tôt. Alors j’entrepris mon dur labeur, la tête dans le brouillard, qui s’avéra être un catastrophe. La couleur sur mes cheveux était parfaite, d’un rouge flamboyant, cependant la salle de bain tirait un peu la tronche. Et j’étais déjà en retard pour partir à la fac, alors je laissai un énième post-it sur le miroir –j’étais la reine de ces trucs là, à en coller toujours partout pour des bêtises, des petits mots laissés à la va-vite- avec noté « sorry ». Puis je partis en cours, attrapant quelque chose à manger avant de claquer la porte derrière moi, toute contente de ma nouvelle tête.
Le retour ne fut pas aussi jovial. En arrivant après les cours, je me mis à ranger un peu tout l’appartement histoire de me faire pardonner, tentant de donner une place à chaque chose. Mais cela ne lui plu pas du tout, alors on se mit à se crier dessus, avant que je parte en courant hors des lieux pour une destination inconnue avec pour seules affaires mes habits portés à ce moment-là, ainsi que mes maigres économies entassées dans mon sac en bandoulière. Je quittai la ville, partant un peu en vadrouille ailleurs, dans un bled perdu à quelques dizaines de kilomètres. J’ignore ce qui me pris à ce moment-là, mais je finis par revenir au bout de quelques jours, après avoir ignoré les appels de personnes tentant de me joindre. Dont mon patron, et je ne souhaitais pas perdre mon job. Ce fut en pleurs que je revins, mais il sembla ne pas vraiment montrer de grand intérêt quant à mon retour. Mais tout au fond de moi, je savais que ce n’était qu’une façade. Ce qui ne m’empêcha pas de m’agripper à lui comme si je voulais lui briser les côtes, avant que l’on ne parte dans une sorte de délire inondé d’alcool à chanter à tue-tête durant une bonne partie de la nuit. Une petite fête entre nous, dérangeant très probablement tous nos voisins alentours, mais nous n’en avions que faire.
Il y eut des hauts et des bas durant cette année-là, mais nous avons tissé un lien encore plus fort que celui qui nous unissait déjà auparavant. J’étais un peu perdue de mon coté, quant à savoir ce que je ressentais exactement pour lui. Mais lorsque mes idées vagabondaient vers quelque chose d’improbable, je secouai la tête pour les dissiper, me rappelant à l’ordre toute seule. C’était mon grand frère de cœur. Et en plus, j’étais déjà en couple avec une charmante demoiselle rencontrée dans un bar à ce moment-là. Il y eut également quelques moments improbables, mais conservant une place éternelle dans mon mémoire d’Homme. Déjà, on passait notre temps à se balancer des saloperies dans tous les sens, mais cela n’était qu’exclusivement affectif. Une sorte d’amour fraternel, à toujours se lancer les pires vacheries mais sans ne jamais en penser un traitre mot. Ensuite, monsieur était dur à décoincer sur lit le matin, alors il m’arrivait parfois de me retrouver à lui verser le contenu d’un seau d’eau sur la tête histoire qu’il n’arrive pas en retard au travail. Mouvementé, n’est-ce-pas ?
Sans compter le fait que ce n’était qu’un sombre idiot. Une fois, après une absence de quelques jours au Mexique planifié avec les gens de mon groupe, je l’avais retrouvé à moitié ivre, piochant dans une large bouteille de whisky, en sous-vêtements sur le canapé. Ceci n’était pas si inhabituel. Mais ce crétin avait une pastèque à coté de lui, avec un visage dessiné dessus au marqueur, et une perruque rouge placé dessus. Cela me fit rire durant quelques secondes, avant de me sentir profondément outré de me faire comparer à un tel fruit. Sur un coup de sang, je l’attrapai avant de la jeter contre un mur, là où elle explosa, laissant des trainées de pulpes un peu partout. Puis je l’engueulai. Un peu, avant de voir son état, et comprendre en quelque sorte pourquoi il avait fait cela. J’avais fini par céder, me déshabillant à mon tour afin de me retrouver en culotte et soutien-gorge, m’installant à coté de lui et commençant à boire sans ne lui demander son avis. Une petite soirée télé tranquille en fin de compte, qui était bienvenue après l’empreinte de la fatigue laissée par mon voyage.
Et c’était toujours un idiot, parce que je savais qu’il me cachait des trucs. Des trucs d’une certaine ampleur, j’imagine. Certes, j’avais gobé toute son histoire de film d’horreur tourné en pleine nuit dans la forêt, avec un de ses potes zarbi aux grandes dents vampiriques comme dans les histoires. Mais il disparaissait régulièrement avec des raisons bidons, au beau milieu de la nuit, et s’échappait tout aussi souvent lorsqu’il pensait que je dormais. Jamais je ne l’avais questionné là-dessus, après tout je respectais sa part de mystère, possédant ma propre croix de mon coté. Sauf qu’il ne m’avait jamais vu faire léviter quoi que ce soit, du moins, je le pensais. Alors qu’une fois, en faisant un brin de ménage, j’avais trouvé une planche un peu bancale dans le parquet de sa chambre. Et pour cause, en la soulevant, j’y trouvais un petit arsenal des plus intéressants. Je n’y touchai même pas, remis le tout en place et sortis de l’appartement, un peu effrayée par ce que je venais de voir. Certes, j’étais presque ceinture noire en jujitsu –j’avais changé en même temps, trouvant cela bien plus utile que le judo tout bête-, mais la vue d’armes blanches et à feu avait provoqué de nombreux frissons remontant le long de mon échine. Mais par la suite, je n’en tins toujours pas compte, sauf que j’avais peur de ne pas le voir revenir un jour, laissé pour mort quelque part.
| Chapter 7 : The Cloudberries |
Finalement, je restai un peu plus d’un an chez mon cher et tendre ami, avant de repartir vers d’autres horizons lors de l’été. Je ne voulais pas continuer à envahir son espace personnel, d’autant plus que vu mes petites découvertes, mon petit doigt me disait qu’il n’avait pas besoin d’avoir une jeune fille dans les pattes. Au moins, cela lui éviterait de continuer à avoir à me mentir. Sauf si j’étais vraiment paranoïaque, mais il me semblait ne pas me tromper sur lui. Je ne lui en voulais pas, je lui mentais aussi à ma manière, plus par omission. Et s’il agissait ainsi, c’était parce qu’il y avait probablement une excellente raison dissimulée derrière. Quoi qu’il en fut, j’emménageai avec quelques amis de fac, ayant largement les moyens de payer ma part de loyer grâce à mon boulot. Je ne les connaissais pas depuis très longtemps, mais le courant était passé facilement. Alors, pourquoi pas. Il allait encore falloir que je me cache, mais au moins, j’allais pouvoir posséder un espace personnel afin de m’entrainer lorsque je le souhaitais. Autant spirituellement que physiquement, exécuter mes katas dans un lieu plus grand et rangé avait un coté beaucoup plus… pratique.
Je pouvais aussi m’entrainer librement à la basse. Nous jouions toujours dans de petits bars perdus, là où seuls les ivrognes venaient écouter nos quelques notes et paroles, ce qui était déjà bien. Au moins, cela nous faisait un public, par rapport à jouer pour nous entrainer dans la cave de l’un de mes amis. Une fois, notre guitariste était tombé malade. Quelque chose de relativement grave, qui le fit se retrouver cloué sur un lit d’hôpital. Ses jours n’étaient pas en danger, mais sa convalescence allait être longue. Ce fut ainsi que je me retrouvais à genoux face à Mordred, le suppliant de venir avec nous afin que nous puissions continuer à nous produire sur scène, et surtout, avoir un « guitariste » fiable. Certes, il jouait du ukulélé, mais sa pratique était largement suffisante pour compenser un manque de deux cordes. Et cela allait probablement apporter une touche de fraicheur à nos chansons. Cela fonctionna pour un concert. Puis pour un deuxième. Puis un troisième. Et bien d’autres encore, puisqu’il en faisait toujours parti lorsque notre groupe parvint au « sommet ». L’ancien guitariste n’avait finalement pas souhaité reprendre son poste un an plus tard, ayant été accepté dans une université plus cotée à coté de Los Angeles. La séparation ne fut pas facile, même si elle s’était faite petit à petit de fait, mais il était heureux pour nous. Nous commencions déjà à avoir notre petite réputation.
La chance frappa un beau jour courant 2011. L’atmosphère était lourde dans la salle, au Lunatic Café. De la sueur dégoulinait le long de ma nuque tandis que je jouais sans m’arrêter, lancée dans la transe dans laquelle la musique me mettait. Les types qui nous écoutaient avaient un air un peu patibulaire pour certains, et quelque chose me mettait mal à l’aise chez eux. Sauf que je ne parvenais pas à mettre le doigt dessus, et comme à mon habitude, je faisais comme si ne rien était. A la fin de notre show, le patron du bar nous reçut dans son bureau suite à sa demande. Connor O’Brien, qui nous proposa de nous sponsoriser. Inutile de dire que nous fûmes tous terriblement excités face à cette nouvelle, voyant nos perspectives de carrière bondir dans ce domaine-là. Peut-être que tous ne voulaient pas consacrer leur vie entière à la musique, mais c’était personnellement une chose qui me tenait à cœur. En plus de la revanche satisfaisante sur mes parents, qui avaient passé le plus clair de leur temps à tenter de me cacher dans l’ombre, tandis que je me plaisais énormément en pleine lumière.
Au bout du compte, je ne mis pas longtemps à m'habituer à ma nouvelle vie. Déjà, étant rémunérée par notre bienfaiteur, je n'avais plus besoin de continuer mon travail dans la supérette, et pus ainsi bénéficier d'un temps considérable pour moi-même. De fil en aiguille, avec un peu de publicité et beaucoup de bouche à oreille, notre réputation grandissait de plus en plus. Nous finîmes même par enregistrer un album en studio, qui à notre agréable surprise, connut un certain succès une fois dans les bacs. Le plus bizarre pour moi fut la première fois où j'entendis ma voix à la radio. Ce fut un sentiment étrange, mêlé entre gêne et fierté. Je gardai ce sentiment à chaque fois que j'allumais l'engin, si bien que je finis par ne plus l'allumer. Ou alors, sur des chaines qui ne diffusaient pas nos chansons. Autre fait étrange, se faire reconnaître dans la rue, ou voir sa tête placardée sur une affiche dans le métro de bon matin avec écrit dessus "The Cloudberries", annonçant un concert arrivant bientôt dans un endroit donné de la ville, bien souvent des bars, mais un peu plus classes que ceux dans lesquels nous avions pris l'habitude de jouer. Il ne me sembla pas prendre la grosse tête, d'autant plus que je continuais à coté mes études, ainsi que la pratique de mon art martial, ayant décroché ma deuxième dan peu de temps avant l'été 2012. Et quoi que l'avenir me réservait, j'étais prête à l'affronter avec un grand sourire, aussi longtemps que je pourrais venir continuer à squatter chez Mordred quand l'envie m'en prenait, et que lui faisait de même dans la colocation que je partageais.