Impétueux supplice m’assaillant ! Tortures-moi jusqu'à ce que je ne puisse plus penser, perces sauvagement ce cœur flétrit, dépérit, d’une lame bien aiguisée. Atténues cette fureur qui s’envenime, jour après jour, face à ce corrupteur. L’espoir de me venger rassérène mon âme mais la culpabilité me lancine de toute part. J’aurais dû empêcher ceci. Mais les jours se sont enchaînés, mon désir de la retrouver se fit plus intense, insoutenable. Je ne vivais plus, je survivais. Mes crises d’amertume et de ressentiment se multiplièrent. Qu’aurais-je pu faire néanmoins ? Quel enfant de douze ans, seulement, aurait pu réagir autrement ? En face de moi, le miroir reflétait l’image d’une fillette du même âge que le mien. Elle avait de longs cheveux bruns ondulés, un teint bronzé, de grands yeux en amande d’un marron clair, un petit nez et une fine silhouette. Elle était magnifique et somptueuse dans sa petite robe rouge vif, d’un rouge carmin comme le sang qui s’était déversé ce jour-là se répandant sur le sol ainsi que sur ses vêtements. Une larme avait, de nouveau, coulé le long de ma joue pendant que je la contemplais longuement à la fois effondrée, désopilée et désespérée...

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La nuit était tombée engloutissant les alentours dans la pénombre. Il avait plu légèrement et la lune était à peine sortie, transformant des millions de gouttelettes d’eau en orbes scintillants, faisant briller chaque surface comme des plaques d’émeraudes. Les troncs furent recouverts de mousse verte foncé cachant les écorces rêches. Des sentiers boueux tournaient entre les arbres menant en direction d’une petite clairière. L’endroit était ravissant, caché, parsemé de petites fleurs blanches et violettes. Ce fut dans cet endroit que je me trouvais sans le savoir.
Soudainement, on m’avait tiré d’un geste abrupt sur ma manche pour me réveiller. Une voix féminine haletante et stridente s’éleva, me tirant de mon sommeil.

-Oksana, tu l’as encore fait ma chérie ! Dépêches-toi, rentrons vite !

Elle me bouscula, violemment, afin de me faire réagir rapidement. D’ordinaire, ma mère était l’incarnation de la douceur, de la tendresse mais elle craignait, par-dessus tout, les viles créatures qui hantaient nos terres. Lorsqu’enfin j’ouvris les yeux de stupeur et d’ébahissement, je m’étais aperçue que j’avais, de nouveau, été somnambule. Après m’avoir bousculée pour me sortir de ma torpeur, ma mère m’entraîna vers notre foyer. Mes pas foulèrent le sol avec une cadence effrénée, me menant vers notre petit pavillon blanc. Une jeune fille nous attendait sur le perron, impatiente, une mine alarmée peignant ses traits. Elle pointait l’index dans notre direction, avec une mine déconfite et effrayée. Ma course fut interrompue par l’arrêt immédiat et inattendu de ma mère. Sa main m’avait lâché subitement.

Lorsque je m’étais retournée, le cri de ma sœur jumelle parvint à mes oreilles me glaçant le sang. Mon regard se braqua alors sur une paire de jambes. Levant lentement mon menton, ma bouche s’entrouvrit sans qu’aucun son ne puisse s’en échapper. Le spectacle qui m’était offert fut celui qui hantera à jamais mes songes, lancinant pour toujours mon esprit. Mon corps à cet instant fut tétanisé refusant de se mouvoir dans une quelconque direction. Face à moi, un homme d’une beauté pourtant resplendissante et attirante tenait, entre sa main, la gorge de ma tendre mère, celle qui m’avait mise au monde, celle qui m’avait toujours choyée, protéger envers et contre tous. Son sang se déversait sur son cou pendant que ses yeux vides me toisèrent avec une infinie tendresse. Ses lèvres blanches et asséchée semblèrent vouloir bouger pour me dire quelque chose mais je n’en comprenais pas le sens ; ses mains se balancèrent de chaque côté lorsque l’immonde assassin jeta le corps inerte sur le sol, sans aucun état d’âme. Son visage resta à jamais imprégné dans mes songes. Quelques gouttelettes de sang s’écoulaient encore de ses canines.

Un rire glauque émergea de ce meurtrier pendant que mon père accourait vers moi, tentant de me secourir. Stoïque, je regardais ce monstre repoussé d’un simple revers de main mon brave patriarche, qui s’étala de tout son long sur l’herbe, à côté du corps mourant de ma mère. Un hurlement s'ensuivit sortant de ma propre trachée tandis que mes jambes, flagellantes, se décidèrent enfin à se mouvoir pour déguerpir de cet endroit.

Sans même secourir ma sœur, sans même m’atteler vers elle, j’avais fui vers le nord. J'avais peur... La peur nous fait réagir différemment, surtout lorsque nous sommes de simples enfants. J'avais été une lâche...

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Ma main se levait et l'image de ma sœur en fit autant. C'était agréable sinon quasi vitale que je puisse la revoir plusieurs fois par jour. Elle était une partie de moi et, en ces temps rudes, elle me manquait plus que quiconque. Soudain, un léger sourire, triste néanmoins, naquit sur son beau visage.


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J'avais quatorze ans, à peine, lorsque je m'étais réfugiée dans ma chambre, après avoir eu une altercation avec ma famille adoptive. Mon meilleur ami était venu me voir pour me faire plaisir. C'était un garçon formidable qui m'avait soutenu pendant une année après la perte tragique de ma famille. Ce dernier était posé, courtois et tendre. Il constituait un solide appui pour moi et, surtout, il ne supportait pas mes parents adoptifs.
Dieu, qu'il n'avait pas tord ! Et le mot est judicieusement bien choisi ! Mes nouveaux parents étaient chrétiens sinon quasi partisans invétérés du messie. Chaque Dimanche, ils se rendaient à la messe, me contraignant d'y assister. Chaque sucrerie était considérée comme un péché ! Autant dire qu'il en s'agissait de même pour les relations charnelles hors mariage ! Nous n'avions pas de télévision, ni de loisirs propres à tout enfant de mon âge. Je devais ainsi me contenter de lire chaque soir la bible et de prier le seigneur à chaque instant. Je n'avais aucun répits. Lorsque les cours s'achevaient, je devais me presser de parvenir chez nous sans pouvoir m'amuser avec mes amis qui diminuaient comme peau de chagrin, suite à ces nombreuses interdictions. J'étais enchainée, emprisonnée, cloitrée. Qu'aurais-je dû faire ? Partir à quatorze ans en effectuant une fugue était inenvisageable, pour la simple et bonne raison que la punition en découlant serait implacable et insupportablement douloureuse. Ce fut, en effet, des châtiments corporels qui m'étaient administrés et de nombreuses autres privations imposées.

D'une nature assez rebelle et d'un caractère assez révolté ( qui ne l'aurait pas été à cet âge? ) , cette famille d'accueil avait décidé de m’envoyer dans un pensionnat assez rigide pour parfaire mon éducation, à Saint Louis. Ce bâtiment lugubre était composé uniquement de filles ainsi que de bonnes sœurs, strictes, n'épargnant aucun élève ! J'avais, cependant, et je dois l'admettre, une vie un peu plus tolérable et vivable que dans celle de ma famille adoptive. Les filles s'entraidaient, se parlaient et de nombreuses activités y étaient organisées. De plus, ce fut une joie immense d'être séparée de ces " bargeots " tel que j'aimais les appeler, sans toutefois qu'ils n'entendent leur doux surnom... C'était, sans nul doute, dû à leur calvaire que je haïssais autant la religion ! Je ne croyais pas qu'il existait, en ce monde, un être divin tel que tous les membres de ce pensionnat le laissaient supposer...

Bref, ce fut donc un de ces matins durant lequel nous étions assis, au sein de la petite chapelle, dans l'enceinte, que j'avais décidé de déployer mon don suite à une punition qui m'avait été infligée injustement. Soeur Marie nous sermonnait encore et nous parlait de Jésus Christ une nouvelle fois ! Bien que l'idée soit en effet, assez puérile, je me souvins m'être levée, à la fin de la cérémonie et m'être dirigée vers la chambre de celle-ci, utilisant le pouvoir qui s'était déclaré à l'âge de mes treize ans.

La porte grinçante s'était ouverte me dévoilant, à ma plus grande surprise, une chambre luxurieuse, divinement bien décorée, avec tous les mets les plus délicats qu'on puisse rêver. Comment ne pas s'emporter, face à un tel spectacle, lorsque votre propre chambre ne contient pour confort qu'un simple lit miteux et une croix en bois collée au dessus de votre oreiller ? Je les considérais, tous, comme des charlatans. Je n'avais donc pas pu m'empêcher de me moquer d'elle, de lui infliger à son tour une correction ! J'avais, en effet, pris l'apparence d'un homme d'une trentaine d'année, arborant une barbe assez volumineuse, des cheveux mi-longs bruns un brin ondulés, revêtant, pour simple vêtements, une tunique blanche trouée sale et fine. J'étais, en outre, la copie conforme de " cet Être divin " qu'elles vénéraient tant et qu'on pouvait observer dans les nombreux livres de catéchisme. Éberluée, estomaquée, je revis encore le visage pâle de cette nonne, voluptueuse, blêmir et son corps trapu s'étaler sur le tapis hors de prix, de sa chambre.

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Cependant, ce souvenir qui avait fait naître un léger rictus de ma part s'envola, tandis que, dans ce miroir, le visage de ma sœur se modifiait, peu à peu et que sa silhouette s'allongeait au fur et à mesure que mes doigts tremblèrent...

J'étais toujours dans une sorte de transe avant l'utilisation de mon étrange don, don qui ,malgré tout, était pour moi une bénédiction !

Celle, en effet, de pouvoir revoir, dans un simple miroir, en chair et en os, des êtres chers à mon cœur décédés que je ne pourrais jamais oublier. C'est en fermant les yeux qu'un nouveau frisson me parcouru l'échine.

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Je rentrais de la faculté de droit, résolue et plus que tout déterminée à prendre une revanche sur la vie, sur cette tragique enfance que j'avais subi. Je venais tout juste d'être diplômée, tenant ce fichu bout de papier entre mes doigts. Il ne signifiait rien pour moi ! J'avais simplement cette soif d'en finir avec les vampires peuplant la terre en toute liberté. Pourquoi personne ne réagissait-il ? Attendaient-ils que des innocents tels que ma sœur, ma mère ou mon père soient tués pour se révolter ? Ma famille était morte pour nourrir des êtres dénués de sentiments, des primates assoiffés de sang ! Non, je n'étais pas croyante ! Si Dieu existait, il n'aurait pas laissé de tels monstres survivre ou du moins aurait-il apparu bien avant... Si j'avais voulu ce diplôme, ce n'était que dans un but précis : intégrer le cabinet de cette femme se prénommant... ELLE et de son mari.

J' avais entendu parlé de cette fameuse association " Humains d'Abord " : dans ce stupide reportage grotesque qui avait été tourné. Peut-être ne faut-il pas juger avant de connaître la personne ? Mais l'arrogance de cet homme, un certain Andrew, m'avait écœuré ! Cela me révulsait au plus haut point et j'appréhendais déjà de travailler pour eux. Mais je n'avais pas le choix... Ce fut après avoir regardé ce reportage, néanmoins, qu'un déclic s'enclencha. Je voulais tuer des vampires pour qu'ils ne puissent jamais faire subir à un enfant ce que j'avais pu vivre. Le seul moyen me permettant de les pister fut d'incorporer leur association en tant que simple stagiaire au prime abord, mais tout ceci pourrait enfin me permettre d'atteindre mon but...

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Lors qu’enfin, mes paupières s'ouvrirent, clignant plusieurs fois, j’aperçus alors mon propre visage se reflétant désormais dans ce grand miroir. Ce n'était plus la petite fillette, ma sœur, ma moitié, mais une femme déchirée adoptant une façade dure pour se cacher du monde...