Je n’ai jamais connu ma mère. Je ne sais même pas si elle est morte tandis que j’étais trop jeune pour m’en rendre compte, ou si un beau jour, elle a décidé de quitter la maison. En ce qui concerne mon père, mes souvenirs à son égard sont minimes et flous. Je me souviens surtout du jour où il m’a amené à l’orphelinat en dehors de la ville.

« Je reviendrai te chercher dès que j’aurai tout arrangé Emy. Tu comprends ? »

Une petite valise contenant quelques une de mes affaires dans l’une de mes mains, et ma peluche serrer contre moi à l’aide de mon autre bras, je hochais la tête de haut en bas pour lui faire dire silencieusement que oui, j’avais compris, mais en réalité ce n’était pas le cas. Comment une enfant de quatre ans aurait pu comprendre ? Que devait-il arranger ? Avait-il cassé quelque chose qu’il devait réparer et il me confiait à des gans que je ne connaissais pas le temps de s’en charger pour que je ne l’ennui pas ?

« Je ferai au plus vite ma chérie, et je te promets que nous passerons Noël ensemble. En attendant, sois bien sage avec les sœurs et avec les autres enfants, d’accord ? »

Nouvel hochement de tête alors que je me demandais quand serait Noël, il me semblait que nous l’avions fêté peu de temps auparavant mais je n’étais sûre de rien. Je retenais néanmoins qu’il y avait d’autres enfants dans cet endroit et que je pourrais m’amuser avec, je ne voyais pas les autres choses, plus importantes que pouvaient entraîner la décision de mon père. Il embrassa mon front et s’en alla sans même se retourner, de mon côté je suivais le sœur Élise qui me montra mon lit et le coffre où je pouvais ranger mes affaires mais je n’écoutais qu’à moitié, je n’avais que quatre ans et une concentration minime, il n’y avait qu’une chose que je voulais savoir…

« C’est quand Noël ? »

La sœur qui avait assisté à ce que mon père m’avait dit alla me chercher un calendrier. Cela devait être demain ou après demain ! mais je déchantais vite lorsqu’elle me le montra.

« Nous sommes là, et Noël c’est ici. » M’expliqua-t-elle en me montrant les dates avec son indexe.

Non, non, non. Cela n’allait pas du tout ! Nous étions presque au début de la page alors que Noël était tout à la fin ! Mon père ne pouvait pas me laisser aussi longtemps, c’était impossible. J’étais persuadée de cela et lorsque les autres enfants me demandaient pourquoi on m’avait abandonné, je répondais avec force que ce n’était pas le cas, que mon père allait revenir me chercher tout en serrant ma peluche, Clancy, contre moi. C’était un cadeau de mon père et je ne m’en séparais jamais. Mais avec les semaines, puis les mois qui défilaient, mes paroles devenaient de moins en moins convaincantes et convaincues. Je passais mes journées à attendre non loin du portail de l’orphelinat que mon père apparaisse enfin, mais cela n’arriva pas. Je fini par ne plus avoir d’espoir le soir de Noël. Il avait promis, et il n’était pas revenu. Il m’avait bel et bien abandonné, mais pourquoi ? Etais-je une méchante fille ? Ne m’aimait-il donc plus ? S’était-il rendu compte qu’il préférait vivre sans moi ? que sa vie s’en retrouvais facilité ? Je devais avoir été la pire des petites filles pour que mon père finisse par m’abandonner, je ne voyais pas d’autres explications et c’était terriblement douloureux. Du haut de mes cinq ans à peine, je décidais de devenir la plus gentille de tous ! Je serais serviable, agréable, gentille, polie, aimante et tout ce qu’il faut pour qu’on ne m’abandonne plus jamais ! car l’abandon est sûrement la chose la plus douloureuse de ce monde.

Malgré mes bonnes résolutions je gardais ma naïveté intacte et ma curiosité à toue épreuve, si bien que parfois, je sortais de l’orphelinat lorsqu’on détournait un peu trop longtemps les yeux de moi. Je voulais voir un peu le monde même s’il se limitait à l’autre côté de la route.
Une nuit alors que le sommeil me manquait et que je regardais les étoiles par la fenêtre, je vis une silhouette se dessiner sur le trottoir d’en face. Personne ne se promenait jamais par ici la nuit, c’était assez isolé et cela piqua ma curiosité. J’ouvris donc la fenêtre avec précaution afin de ne pas réveiller mes camarades et je me faufilais hors de la bâtisse pour bientôt franchir les barrières de l’orphelinat. Je suivais l’homme qui avait un peu pris de l’avance sur moi et lorsqu’il pris conscience de ma présence et tourna son regard vers moi, mon cœur d’enfant se serra. Il avait l’air si triste ! C’était du moins ce que je pensais car je ne connaissais pas encore toutes les palettes de sentiments qui pouvaient exister.

« Qu’est ce que tu fais là gamine ? » Dit-il d’une voix forte. Il avait peut-être peur que je ne l’entende pas ou pensait-il que j’étais sourde ?

Je m’approchais de lui et je lui tandis Clancy. Ma peluche avait le don de me remonter le moral, alors cela devait en être de même pour le autres.

« T’as l’air triste monsieur… Tu veux Clancy ? Il me console toujours quand j’ai un gros chagrin. »

Il n’eu pas l’air de comprendre ce que je lui disais, pourtant j’étais clair non ?

« Je ne suis pas triste gamine. Tu devrais garder ton nounours, tu en as plus besoin que moi, je n’ai plus de chagrin maintenant. »
« Je suis pas une gamine monsieur, je suis Emily. »
« Et moi je ne suis pas un monsieur, je suis Ethan. »

Je lui offrais mon plus beau sourire et il s’agenouilla face à moi. Je ne pu que constater qu’il était beau, très beau même, comme dans les histoires de princesse que les plus grands nous lisaient à l’orphelinat, il devait être un prince charmant ! Je ne voyais que ça.

« Tu dois avoir froid habillée comme ça, simplement de ton pyjama. »
« Je suis une grande fille maintenant, je n’ai plus froid. » Bêtement, je pensais que les ‘grands’ ne ressentaient plus ce genre de chose, que seuls les enfants pouvaient avoir ce que je pensais être une faiblesse. C’était ridicule mais à cinq ans, tout n’est pas forcément logique. Malgré tout je frissonnais bel et bien sous la morsure du vent frais et cela fut lui de lui échapper. Il se défit de sa veste et la déposa sur mes épaules pour aussitôt éclater de rire. Une moue quelque peu boudeuse s’installa sur mon visage. Ce n’était pas vraiment gentil de ce moquer des gens même si sa veste traînait par terre et qu’elle avait bien du mal à tenir en place, de plus elle était assez lourde et je me sentais tout ratatinée à l’intérieur. Il s’empressa de la fermer pour qu’elle ne glisse plus de mes épaules et le sourire qui vint peindre ses lèvres me réchauffa plus encore que sa veste.

« Et voilà petite Emily, maintenant, tu peux rester au chaud. »

Je me jetais à son cou et je l’étreignis un moment afin de le remercier de son geste. J’avais l’impression d’être aimée et cela me faisait le plus grand bien. Je déposais un baiser sur l’une de ses joues et la fatigue me submergea tout d’un coup. Je m’endormis presque aussitôt contre lui, je devais vraiment me sentir en sécurité pour m’abandonner au sommeil entre ses bras, à moins qu’il s’agissait là de mon insouciance. Suite à cela je ne repris conscience que lorsque je me réveillais le lendemain matin. La veste d’Ethan était posée sur mon lit, je l’attrapais et la serrais contre moi. Il me sembla me souvenir alors de sa voir au creux de mon oreille.

« Grandis petite Emily… je reviendrais… je te le promets… »

Était-ce la réalité ou mon imagination qui me jouait des tours ? seul le temps pourrait me le dire. Mais tout comme mon père, jamais il ne revint. Je gardais néanmoins sa veste comme souvenir de cette rencontre étrange mais agréable, et même si je me fis disputer par la sœur suite à cela pour m’être échapper en pleine nuit et tout ce que cela aurait pu engendrer, je ne regrettais rien.

Je l’attendis ce prince charmant qui m’avait promis de venir me chercher, tout comme j’attendais que des personnes viennent m’adopter, mais aucun des deux ne se présenta. Il faut dire que l’orphelinat était plutôt reculé et qu’il était rare que s’y présentent de futurs parents. Nous savions tous que nous n’aurions jamais une véritable famille alors nous étions la notre. Tous frères et sœurs de cœur, avec nos rires, nos joies, nos disputes et nos pleures. Quand les plus grands quittaient ce qui était devenue notre maison, ils promettaient toujours, chacun à leur tour, de revenir nous voir, mais aucun n’honora cette promesse… à croire que j’étais faite pour être délaissée et abandonnée de ceux que j’aimais. Vient alors mon tour de prendre mon envole, j’avais dix-huit ans et rêves pleins la tête, comme cela de retrouver mon père en premier lieu. Je me rendais donc à Saint-Louis, je savais que je venais de là bas, mais n’ayant que pour seule information notre nom de famille et aucune véritable ressource ni aide sur laquelle compter, mes recherches tombèrent très vite à l’eau. Mon père avait peut-être même quitté la ville depuis toutes ces années… Je décidais pour ma part d’y rester, certaine que je devais être là et nulle part ailleurs. J’avoue que ma nouvelle vie, seule, loin de tout ce que j’avais pu connaître jusque là m’effrayait quelque peu. J’apprenais même que les vampires existaient ! et pas qu’eux d’ailleurs ! On me regarda bizarrement lorsqu’on me l’annonça comme si j’avais toujours vécue dans une grotte pour ignorer ce que tous savaient depuis trois ans, et c’était un peu le cas. Nous n’avions pas la télé à l’orphelinat, nous n’avions jamais eu à faire à des vampires non plus, et je pense que les sœurs préféraient nous laisser dans l’ignorance pour ne pas nous terrifier, mais il était plus terrifiant d’apprendre qu’on allait être confronté à quelque chose à laquelle on n’avait pas eu le temps de se préparer, même si je me voyais mal comment j’aurai pu réagir face à l’une de ces créatures de la nuit même en ayant été préparée psychologiquement. Enfin, des lois existaient tout de même et les vampires ne s’en prenaient pas aux humains sans leur consentement, je pensais alors être à l’abri de leurs crocs et de leurs appétits. J’avais raison car ce n’était pas des vampires dont j’aurai du avoir peur mais bel et bien de mes semblables, mais ça, c’est une chose que vous comprendrez plus tard.

Je vivais de petits boulots et très vite je me trouvais un petit studio d’à peine vingt mètres carrés mais je m’y sentais chez moi. Je le redécorais à mon goût avec le peu d’argent que j’arrivais à mettre de côté, le reste servant à payer le loyer, les factures et la nourriture. Je n’étais pas une de ces filles qui font les boutiques à tout va. J’avais le strict nécessaire et je ne m’achetais quelque chose que lorsqu’il fallait en remplacer une autre. Les jeans, tee-shirt ou pull simples m’étaient amplement suffisant et j’avais toujours la veste de cet étranger que j’avais rencontré étant enfant. Je l’avais précieusement gardé et même si elle était toujours trop grande pour moi, il m’arrivait de la porter. Sentimentale ? Oui, et je n’ai pas honte de le dire ! J’ai même gardé ma vieille peluche usée et maintes fois recousues au fil des années.
Je me fis quelques amis, surtout parmi mes collègues féminines dans le bar où j’avais trouvé un emploi stable. C’était plutôt bien payé… si ça n’avait pas été le cas, j’aurai mis ma main dans la figure de tous ceux qui pensaient pouvoir me mettre la main aux fesses comme si elles étaient comprises dans le prix de la boisson ! Ce fut sur ce même lieu de travail que je rencontrais Ethan. Il était venu afin de boire un verre et lorsqu’il avait levé les yeux vers moi, il avait de suite demandé à ce que j’accepte de me joindre à lui. Je refusais poliment, ce genre de type je connaissais pour en avoir fréquenté quelques uns, stupide que j’étais, mais il ne laissa pas tombé pour autant. Il m’attendit à la sortie de mon travail ce soir là et il ne me laissa partir que lorsque j’acceptais enfin de lui accorder un peu de temps. On aurait pu croire que son insistance était motivée par son envie de me séduire mais il n’en fut rien. Ethan ne chercha jamais rien d’autre entre nous qu’une amitié solide et réelle. Il était drôle, gentil, un peu crispé parfois – quand je le touchais bizarrement – cultivé, ce qui me donnait des complexes. Je n’avais pas reçu la même éducation que lui et j’avais peur de l’ennuyer ou de l’agacer à ne pas pouvoir suivre ses sujets de discutions, je n’étais pas stupide mais il y avait bien des choses que je ne connaissais pas, comme l’art… ceci était un problème majeur lorsqu’on savait qu’il était négociateur dans ce domaine et qu’il adorait en parler. J’empruntais donc des livres à la bibliothèque sur ce sujet afin de pouvoir lui répondre et lui montrer que je me m’intéressais. Notre implication dans notre relation forgea une magnifique amitié qui me tenait plus à cœur que n’importe quoi d’autre. En l’espace de six mois, il devient mon meilleur ami, mon confident – il connaissait même l’existence de Clancy ! Il me protégeait sans cesse de tout et de rien, surtout des hommes qui jugeait indigne de ma personne.

Pourtant la flamme de notre amitié commença à vaciller une sombre nuit pour s’éteindre complètement peu de temps après.

Ce soir là, mes doigts tapaient la table à laquelle j’étais assise à intervalle régulier, tandis que je me rongeais avec insistance l’ongle de l’indexe de mon autre main. Je n’arrivais pas à rester en place. Je ne cessais de regarder ma montre, de jeter des coups d’œil en direction de la porte. Il était en retard, et ça ne lui ressemblait tellement pas que je ne pouvais qu’en être inquiète. Depuis un an que je le connaissais, il n’avait jamais été en retard à l’un de nos rendez-vous, il était même toujours le premier sur place, même lorsque j’étais en avance, il était là à attendre. Alors je trouvais ça réellement étrange. J’étais du genre à m’angoisser pour pas grand-chose lorsqu’il s’agissait de mes proches, des gens que j’aimais. J’étais même excessive parait-il. Aussi je tentais de relativiser. Peut-être avait-il eu un empêchement de dernière minute. Non, il m’aurait prévenu dans ce cas… Alors, peut-être avait-il trouvé une fille à qui faire du charme. Je soupirais en l’imaginant en pleine séance de drague intensive. Si c’était ça, il allait m’entendre ! Mais je ne pouvais pas me brosser ce simple tableau alors qu’au fond, je savais qu’il ne m’aurait pas laissé seule, alors que nous devions nous retrouver, juste pour charmer une fille de plus.

Je me levais de mon siège, jugeant qu’une heure de retard était suffisante pour justifier un coup de fil. Je sortais du bar par la porte arrière cherchant à m’isoler du brouhaha ambiant, tout en cherchant dans mon répertoire le numéro de mon plus proche ami – alors qu’il était dans ma liste des derniers appels, suis-je bête. En y pensant, c’était étrange de qualifier Ethanyel d’ami, en fait, je n’aurais tout simplement pas cru, un an auparavant, que nous serions proches au point de nous voir aussi régulièrement. J’avais d’ailleurs tendance à me reposer sur lui. Je savais que si j’avais le moindre souci, je pouvais l’appeler à n’importe quelle heure de la nuit. De la nuit seulement. Le jour, son travail lui prenait tout son temps, tellement, qu’il ne pouvait même pas m’accorder un simple déjeuner. C’était du moins ce qu’il prétendait. Pourquoi aurais-je remis sa parole en cause ? Il ne m’avait jamais donné de raison de douter de lui.

Je fis trois pas dans la ruelle derrière le bar, la lourde porte se refermant d’elle-même derrière moi. Je portais cette fois fois-ci mon pouce à ma bouche pour en torturer l’ongle, mon indexe ayant assez souffert, tandis que le tonalité à l’autre bout, me faisait de moins en moins espérer une quelconque réponse. Comme je m’y attendais, son répondeur se déclancha face à mon insistance, et je m’efforçais de lui laisser un message. J’ai toujours eu horreur de faire ça, je ne sais jamais quoi dire et j’ai l’impression d’être stupide. D’ailleurs, je bafouillais un peu lorsque je l’informais que je l’attendais toujours et que je m’inquiétais de son retard et du fait qu’il ne soit pas joignable. Je terminais néanmoins sur une note moins dramatique en lui disant que si c’était une histoire de fille, je lui filerais la raclée de sa vie. Je raccrochais tout en soupirant et faisais volte-face pour retourner dans le bar, mais au lieu de ça, je poussais un cri entre surprise et panique. Face à moi, un homme se tenant si près que son souffle venait se buter contre mon visage. Son air débraillé, ses pupilles dilatées m’apprenant sa condition de drogué, et ses membres tremblants comme s’il n’était pas sûr lui-même de ce qu’il faisait, eurent raison d’achever un quelconque sentiment de sécurité. Je n’eu d’ailleurs pas besoin de baiser les yeux pour savoir ce qui appuyer fortement contre mon abdomen. S’était-il déjà servi d’une arme auparavant ? Au vu de son comportement plus qu’hésitant, je penchais pour une réponse négative, ce qui était encore moins rassurant, si c’était possible. J’obtempérais sans broncher lorsqu’il se mit à réclamer mon sac. Je n’allais pas me faire tuer pour de malheureux papier et quelques billets. Ce fut aussi l’une des raisons qui fit que je ne cherchais pas à crier pour qu’on vienne à mon aide. Le boucan dans le bar ne laisserait pas passer le son de ma voix et même si c’était le cas, le temps qu’on arrive, il aurait eu tout le loisir de me tirer dessus et de prendre la fuite. Je ne suis peut-être pas toujours des plus réfléchis, et un peu trop impulsive parfois, mais je ne suis pas non plus complètement stupide.

J’espérais qu’en me tenant tranquille et en obéissant sagement, tout se passerait… bien. Qu’il s’en irait avec son butin et me laisserait tremblante et quelque peu sous le choc. Mais il faut croire que les choses n’étaient pas faites pour se terminer ainsi. Tandis que je lui tendais mon téléphone, dernier objet de valeur en ma possession, et que la tension régnant était à couper au couteau, autant des deux côtés, mon cellulaire s’offrir le luxe de sonner. Tendue et stressée, je sursautait violemment à ce son inattendu. Mon agresseur devait sûrement être dans le même état que moi puisque sa réaction se calqua à la mienne, avant qu’un autre bruit retentisse dans la ruelle déserte, suivie d’une douleur fulgurante se répandant dans mon ventre. Je le vis écarquiller les yeux alors que je portais mes mains là où la douleur était la plus vive, et lorsque je les remontais à niveau de mes yeux, je pu les voir tachées de sang, de mon sang. Mon corps ne me répondant plus, je tombais à genoux, tandis qu’il prenait la fuite rapidement, du moins je crois, j’avais bien trop mal pour me soucier de ce qu’il faisait ou non. Je tombais pour de bon, m’abandonnant complètement sur le sol. Je n’avais pas la force de crier, ni même de ramper pour retourner au moins jusqu’à la porte de service du bar et y cogner jusqu’à ce qu’on me découvre. Je me vidais de mon sang dans cette ruelle sombre sans personne pour me venir en aide. J’allais… mourir. Et ce triste constat me fit sangloter. Je ne voulais pas mourir, encore moins de cette manière. Je voulais vivre, j’avais encore tant de chose à faire, j’en étais persuadée. Je voulais revoir mes amis, le revoir lui.

Je perdais peu à peu tout espoir à mesure que je sentais la vie m’échapper, jusqu’à ce que j’entende un bruit de pas. Et je le vis… ou plutôt je vis ses pieds passer si près de moi que j’aurai pu le toucher en tendant simplement les doigts. Mais mon cas ne sembla pas l’intéresser plus que ça, car il ne s’arrêta pas, il n’eu même pas une hésitation dans sa démarche. Pourtant, je n’allais pas laisser mon unique chance filer ainsi. Sanglotant toujours j’implorais à mi-voix son aide, mais le spectacle de ma fin ne parut pas l’émouvoir outre mesure et il continua sa route, me laissant désespérément seule tandis que je continuais tout de même à demander, supplier inlassablement son secours. Fut-ce cela ou un regain de conscience qui le poussa à faire demi tour ? Je n’en sais toujours rien. Le fait est qu’il revint sur ses pas, se pencha et prit mon corps blessé entre ses bras. J’eu grand mal à voir son visage, ma vue étant bouillée par mes larmes mais aussi la faiblesse m’envahissant irrémédiablement, cependant je pus tout de même distinguer ses traits rudes et le puissant charisme qu’il dégageait. Dès lors, je lui fis entièrement confiance, laissant ma vie entre ses mains – qu’aurais-je pu faire d’autre de toute façon ? Si je n’étais plus en mesure de me soucier de la façon dont il allait s’y prendre pour me sauver, je ne m’attendais quand même pas à ressentir cette douleur quasi insoutenable. Moi qui n’avais pourtant pas la force d’hausser la voix quelques instants auparavant, j’hurlais tant je souffrais, bien plus que ce que pouvait me faire endurer cette balle logée dans mon ventre. J’étais sur le point de défaillir lorsque je sentis un liquide épais et chaud couler dans ma bouche. Ecoeurant d’abord, je m’agrippais pourtant bien vite à la source et m’abreuvais, en cherchant davantage. Sur le moment je n’ai pas compris qu’il s’agissait de son poignet et que je buvais… son sang. Me serais-je arrêtée pour autant ? Vu l’état dans lequel j’étais, incapable de réfléchir correctement, d’aligner deux pensées cohérentes, je pense que non. Le suite n’est qu’un flou entre rêve et réalité, où je me souviens seulement de la douleur traversant mon corps se mourrant pour renaître.

A maintes reprises suite à cela, mes doigts tâtonnèrent mon cou à l’endroit exacte où Asher aavait planter ses canines. Trois semaines après, il n’y avait plus aucune trace visible de sa morsure. Je détaillais ma gorge dans un miroir accroché dans l’un des nombreux couloirs de ma nouvelle demeure, je ne voyais rien qui laissait entrevoir qu’il y avait eu un changement en moi. Oui, parce que je pouvais me regarder dans un miroir, tous les vampires le peuvent. Stupide comme je suis, je croyais qu’il m’en serait impossible. J’avais lu tout un tas de livres sur les vampires lorsque j’étais humaine et je m’étais faite de fausses idées. Par exemple, je ne suis pas devenue plus belle. Ceux qui disent que les vampires sont d’une beauté sans égale exagèrent amplement. Je suis toujours la même, si on exclu mes dents. Je suis égale à moi-même avec mes cheveux mi-longs qui sont toujours châtain clair, mes lèvres pleines, mes traits fins. Si je regrette bien une chose, c’est que mes yeux marron soient toujours aussi désespérément banals, et que je n’ai pas prit un centimètre. Je me suis toujours trouvée trop petite, les gens me dépassent aisément et ils ont tendance à me voir comme une chose fragile de ce fait. C’est assez vexant.

Mais heureusement, peu importait combien ma tête pouvait être bourrée d’idées reçues sur les vampires, il y avait Asher pour combler mes lacunes. Il est le Maître de la ville et c’est lui qui m’a sauvé cette fameuse nuit. Il m’a appris tout ce que j’avais à savoir sur ma nouvelle vie et je buvais chacune de ses paroles avec attention. J’ai le plus grand respect pour lui et je lui suis entièrement dévouée. Qu’importe ce qu’en disent les jaloux et les médisants, c’est un grand vampire, désigné pour faire respecter la loi, il gère la ville d’une main de maître. Ses décisions sont toujours justes, tout à un but et un sens avec lui, il agit dans notre intérêt. Je le suivrais n’importe où sans même poser une question, je lui voue une admiration sans bornes et je courberais volontiers l’échine devant à lui. Ce n’est pas de l’amour bien que ça y ressemble. En réalité je l’aime comme on aimerait un père. Il m’a offert la vie alors que je devais mourir, je lui serais entièrement reconnaissante bien que certain aspect me répugne. Je ne suis pas une ingrate, il y a juste des choses que je n’arrive pas à accepter. Comme le fait de me nourrir de sang, d’humains. L’idée m’est insupportable. La première fois, je ne me suis pas rendue compte de ce que je faisais, après m’être réveillée, j’avais tellement faim… mon instinct a parlé pour moi. Mais ma conscience a eu tôt fait de me rattraper et le poids de la culpabilité m’a pesé lourdement. Je trouve ça répugnant, horrible, monstrueux. Pourtant, je ne considère pas mes congénères de cette manière. C’est juste… moi. Je suis incapable de me faire à ça.

Au début, j’ai essayé de me priver de nourriture. Je ne pouvais me nourrir de rien d’autre et je ne voulais pas le faire, alors… mais j’atteignais toujours cette limite, ce moment où je pensais que j’allais soit mourir, soit égorger la première personne à ma portée. Asher a essayé de m’aider, de trouver une solution. Il m’a emmené plusieurs fois au Croquemitaine, pensant que je me sentirais moins coupable en m’abreuvant de personnes consentantes, désirant même ardemment être mordus. Mais quelque chose bloquait encore malgré tout et je refusais de mordre, d’utiliser mes crocs, d’infliger la douleur même si elle était agréable. Mon maître n’eu pas d’autre choix que de mordre lui-même mes victimes pour que je puisse m’abreuver ensuite. Une fois que le sang coule, ma volonté défaille et je culpabilise bien moins en ne servant pas de mes dents. Cela restait pourtant une épreuve car je n’arrivais pas à raisonner ma conscience qui me réprimandait à chaque fois. Je culpabilise également d’obliger mon maître à jouer ce petit jeu, surtout qu’il commence à montrer des signes d’impatience, je ne vais pas toujours pouvoir me reposer sur lui. Sans compter que la plupart du temps, il me nourrit de son propre sang. C’est un vampire occupé et il n’a pas toujours le temps de m’emmener au Croquemitaine, alors il fait au plus simple même si je sais à quel point cela peut être humiliant pour un vampire de son âge d’offrir son sang à une gamine comme moi, mais je sais aussi que cela nous donne un lien spécial, encore plus que celui de Maître à Infante. Néanmoins, cet aspect de ma nouvelle vie me pesait terriblement, je pensais que si je pouvais revoir mes amis, que je n’avais pas revus depuis ce fameux soir, je me sentirais un peu mieux. Après tout si j’avais souhaité continuer à vivre c’était surtout pour eux, pour lui. Je voulais lui donner de mes nouvelles, lui dire que j’allais bien, et le serrer dans mes bras aussi, parce qu’il me manquait… mais je ne quittais quasiment pas le manoir, les seules fois où je suis sortais, c’était avec Asher pour nous rendre au bar. Je n’osais pas encore faire mes premiers pas dehors en tant que vampire, seule. Je craignais de commettre un impair sans personne pour me chaperonner, j’étais pourtant plus téméraire d’ordinaire.

Il me fallut un certain temps avant d’oser m’aventurer seule au dehors du manoir. Ma première et unique envie était de retrouver Ethan, mais il fut introuvable. Impossible de savoir où il était, et je me rendais compte que l’adresse qu’il m’avait donné était fausse… qu’elle idiote ! jamais je n’avais mis un pied chez lui, il venait toujours chez moi et je ne m’étais jamais posé de question sur le sujet. Je me rendais à plusieurs reprises dans les lieux qu’il avait l’habitude de fréquenter, mais je du vite me rendre à l’évidence : il avait disparu… lui aussi avait fini par m’abandonner.
Suite à cela, je m’enfermais dans mes appartements au Manoir. Je ne supportais pas d’avoir perdu Ethan, encore moins les critiques que je pouvais entendre sur l’« Infante étrange » du Maître de la ville. Qu’on me dénigre était une chose, mais qu’on dise qu’Asher était un incapable et qu’il n’était même pas assez ferme pour éduquer normalement un vampire qui refusait de se servir de ses crocs et donc, qu’il ne devrait pas diriger cette ville me donnait des envies de meurtres. Ils osaient dire du mal de l’être le plus extraordinaire que je connaissais et sous son toit en plus ! Je détestais qu’on puisse le dénigrer. Je me fis de plus en plus discrète dans le manoir afin de ne pas indisposer Asher. Personne ne me connaissait vraiment, de nom ou de vue seulement et encore… On pouvait croire que je me cachais mais je voulais être seule surtout. Je voulais pouvoir pleurer mon chagrin quant à la perte de mon ami et à mon incapacité d’être un vampire comme les autres et de mettre mon Maître dans l’embarra. Les seuls personnes que je fréquentais étaient les proches d’Asher. Eux seuls me connaissaient. Durant un an et demi, cela se passa de cette manière mais je me suis un peu plus montrée depuis la déclaration de guerre entre les lycans et les vampires, mais aussi depuis l’arrivée d’Eric auprès de nous. Il est comme une petite bête sauvage qui refuse de se laisser apprivoiser alors que mon Maître l’a très généreusement recueillit. Je suis horrifiée lorsqu’il s’exprime avec impolitesse face à lui et je tente de lui faire comprendre qu’il ne doit pas se comporter ainsi avec Asher, mais toute en délicatesse.

Où tout ça va-t-il me mener ? Je ne sais pas, mais j’ai une impression étrange, celle que ma vie de vampire presque recluse est sur le point d’être chamboulée.