Spoiler:

Ainsi fut-il. L'enfant qui vit le jour 6 mois plus tard dans le Grand Manoir Victorien du 78 Bourbon Street, s'avéra plus robuste et combattif que tout ce que la veuve Mayfair aurait pu espérer. Il s'agissait d'une petite fille, dynamique et potelée, à laquelle on donna le doux prénom de Louise, en raison de son jour de naissance. Le 15 mars, on honore sainte Louise de Marillac, une disciple de saint Vincent de Paul et cofondarice des Filles de la Charité au XVIIe siècle. Louise dont les racines germaniques Hlod- et -wig signifient "gloire" et "combat". N'était-ce pas pour elle, une véritable lutte qui s'annonçait ?

Ainsi grandit l'enfant, fille unique privée d'un père soit-disant victime d'un accident domestique peu avant sa naissance, laissée aux soins d'une mère fanatique, folle et névrosée. Et pourtant, elle était parfaite, Louise. Docile et belle, facile et serviable, douce et aimable. La femme de ménage, la baby sitter, le jardinier... tous s'employaient à affirmer combien elle était sage et adorable. On aurait dit un ange descendu des cieux, dans ses robes immaculées et ses coiffures compliquées. Et comme elle écoutait sa maman ! Comme elle récitait son catéchisme avec tant d'ardeur et d'application ! Prunelle des yeux de sa mère, absolue merveille de la Nouvelle-Orléans...

* * *

Les lumières. Elles envahissaient la nuit étoilée comme les jours de fête. Les sirènes lui lacéraient les tympans. Mais l'enfant s'était bouché les oreilles, et elle chantait, balançant son corps frêle d'arrière en avant, sur le balcon du salon, observant à travers la rambarde près des escaliers. Dehors, les branches des arbres s'agitaient, sujets d'une valse macabre qui les animait. Quelquefois, des feuilles s'arrachaient, virevoltant au gré du vent dans un somptueux ballet. Le cri de Madame Arpenois vint ajouter à cette toile funèbre la terreur qu'elle inspirait. L'enfant avait entendu, et ce fut probablement le cas de tout le voisinage. L'instant d'après, la fidèle chrétienne appelait police et pompiers, avant de s'élancer à la poursuite de la petite fille. Dieu soit loué, cette dernière était saine et sauve. N'ayant aucune famille, Arpenois pouvait la considérer comme sienne, désormais.

Une nuée de fourmis envahit la maison. De la balancelle du jardin à l'étage, elles grappillaient de toute part comme si elles étaient affamées. Et Louise observait. Des voisins, des messieurs en uniforme. Puis une lumière blanche l'aveugla. « Bonsoir Louise. Je m'appelle Amanda. Je suis de la police. Est-ce que tu vas bien ? Tu as mal quelque part ? » Mais l'enfant ne répondit pas. Arpenois le fit à sa place. « Elle est en état de choc, la pauvre enfant... » « Je comprends, mais je dois impérativement lui poser des questions. Louise, il faut me dire ce que tu sais. Qui a fait du mal à ta maman ? Est-ce que tu as vu qui a fait ça ? » Mais l'enfant ne répondit pas. Et la police n'insista pas. Doucement, sa main glissa dans une plus large, plus forte, une main de femme. Et, entraînée vers la sortie, elle eut pour la dernière fois l'occasion de contempler son Manoir majestueux. Ses pieds nus foulant la terrasse, elle tourna après le portail, avec pour ultime vision, le corps flottant de sa maman au coeur de la piscine. Dieu l'avait rappelée, et Louise chantonnait calmement.

« Papa est en haut, il nourrit les oiseaux. Maman est en bas, elle se noie. ♪ »

* * *

Spoiler:

La dernière fleur aux pétales éclatants fut déposée sur le caveau familial par l'enfant. Voilée de noir dans une petite robe cintrée, Louise était en deuil, mais elle n'était pas seule. Ses 8 ans furent offerts au Seigneur. Et, dernière de la foule d'une démarche apaisée, elle suivit le cortège accompagnée des soeurs en retrait aux Ursulines. Le gravier crissant sous ses pas d'enfant et la pluie martelant son visage partiellement caché, elle franchit le portail sans un regard en arrière pour la Cité des Morts.

Louise était en deuil, mais elle n'était pas seule. Le Seigneur marchait à ses côtés.

* * *

Dans la Nuit Noire du Couvent, un effroyable cri de terreur déchira coeurs et tympans. « C'est Louise ! Hâtez-vous, ma soeur ! Le Diable nous l'emporte ! » Parcourant les couloirs glacés de l'Orphelinat, les nonnes se démenèrent dans leurs robes incommodantes, atteignant rapidement la chambre de l'adolescente.
Elles étaient deux. Tandis que la première abîma un peu plus ses genoux en se jetant sur le sol les mains liées pour prier, la seconde soutint la jeune fille sous les aisselles, maintenant d'une main son front recouvert de sueur. Soeur Mathilde se redressa enfin, fit face à l'enfant, et ferma les yeux comme si elle ne pouvait affronter Satan.

Spoiler:

Signe de croix sous l'oeil diabolique de l'adolescente possédée. « Ma Soeur, sa bouche se tord, son sourire est celui du Diable ! » « N'avez-vous donc jamais vu de démons à Rivemont ?! » Sous les doigts de la jeune fille, les mains osseuses de la nonne n'étaient que tas d'os, presque derniers vestiges de cadavres en putréfaction. Dans l'ombre, deux yeux brillants lui souriaient, une bouche immense armée de crocs menaçant de la dévorer. « Il lui faut un prêtre, ma soeur ! » Mais le couvent était habitué. L'enfant cauchemardait souvent, et pour les soeurs qui la côtoyaient, le démon qui la possédait était de tous les autres différent. Etrange et récalcitrant. Peu dangereux pourtant. Jusqu'au jour où il la fit s'éloigner dangereusement.

* * *

Spoiler:

« Bonjour, Louise. » Magnifique et imposant, l'homme se tenait debout près de la fenêtre du bureau principal. Il contemplait les jardins, et, discrètement, les autres filles qui vaquaient à leurs occupations. « On t'a dit qui j'étais, n'est-ce pas ? » L'adolescent dodelina de la tête. Depuis la fugue provoquée par ses hallucinations, et sa rencontre infortunée avec un Mort-Vivant, les mots peinaient à s'échapper de sa bouche. Elle-même les sentait obstruer sa gorge et parfois même, l'empêcher de respirer. « Alors tu sais aussi... pourquoi je suis ici. » Il s'approcha d'elle, si près qu'il puit presque la toucher. Et de ses yeux bleus, il la transperça de mille lames, la plongeant dans cet océan glacé. Ce fut comme si, pour elle, il avait toujours existé. « Je m'appelle Joaquin. Je suis le révérend Riverst. Et tu possèdes un don extraordinaire, Louise. » Oui. Elle savait que quelque chose en elle était différent, mais elle encore besoin d'être convaincue. « Soeur Mathilde dit que c'est le Démon... » « Non... » Il plissa les yeux, et la contempla profondément. Seul le tic tac de l'horloge interrompait régulièrement le silence qu'il instaurait entre eux. « Crois-tu qu'un démon t'aurait protégée ? Qui plus est d'un buveur de sang. » Il inspira profondément, glissa son index sous le menton de la gamine. « Peu de gens savent, Louise. Peu de gens connaissent... la vérité. » Peu à peu, cette dernière s'insinuait dans l'esprit influençable de l'adolescente. « Vous, vous la connaissez ? » « Je ne prétends pas tout savoir. Mais je sais... certaines choses. Beaucoup de choses. Beaucoup de choses en relation avec la Révélation. Je sais que tu étais toute petite lorsque ces infâmes créatures se sont montrées. » Un frisson parcourut l'échine de la jeune fille. « Ils te font peur, n'est-ce pas ? C'est NORMAL d'avoir peur, Louise. » L'homme, très grand, se pencha pour soutenir l'épaule de la gamine. « Ils sont des monstres. Des monstres à exterminer. Bien plus dangereux que tous les démons qui pourraient te posséder ! » Un instant, elle fut presque autant terrifiée par la voix de cet homme que par le Vampire qui l'avait agressée lors de sa fugue, trois nuits plus tôt. « N'aies pas peur, Louise. Je ne te ferai aucun mal. Ni moi, ni mes amis. Nous t'avons sauvée, n'est-ce pas ? Même si tu nous as beaucoup aidés... Et je suis là pour toi, aujourd'hui. Cela fait trop longtemps que l'on te ment, ici. » Le révérend jeta un bref coup d'oeil par dessus son épaule. « Oh, bien sûr, on ne te ment pas volontairement ! C'est parce que les soeurs ne savent pas, et qu'elles ont peur. Nous, n'avons plus peur. Nous sommes une famille, et nous nous protégeons les uns les autres sous le regard de Dieu ! Nous traquons les démons, Louise. Les vrais. Et tu n'es pas folle, ni possédée. Cette lumière qui a jailli de ta main, est la lumière de Dieu. Le Seigneur nous a réunis, parce qu'ensemble, toi et moi, nous avons des choses immenses à accomplir. Le Destin de l'humanité est entre nos mains... » Lentement, il détacha le pansement de l'adolescente, et laissa planer sa main d'homme au dessus. « Ce don, m'a été accordé par le Tout Puissant. » Expliqua-t-il, à mesure que la chair meurtrie de l'enfant rosissait, et cicatrisait. Louise écarquilla les yeux face à cette manifestation divine. Bientôt, la paume de sa main fut entièrement immaculée. « Dieu m'a donné pour mission de guérir les gens. Et... de débarrasser cette planète des démons. Tu possèdes aussi un don, Louise. Ne le gâche pas. Laisse le Tout Puissant t'appeler à Lui... » A cet instant précis, l'adolescente vit en lui le Messie. L'homme qu'elle avait toujours attendu était venu vers elle. « Tu n'es pas folle, ni possédée. Tu vois des choses et de ta main découle la Lumière de Dieu. Tu n'as plus rien à faire ici. » Il la comprenait. « Viens avec moi. Viens avec nous. Tu es en droit de quitter ce couvent, à présent. Cet endroit terne et froid n'est plus pour toi. Marche donc dans la lumière, aux côtés de nos Fidèles. La Fondation Riverst ne demande qu'à t'accueillir en son sein. »

* * *

Saint-Louis. Voilà plusieurs mois désormais qu'elle avait emménagé ici. La Nouvelle Orléans et le quartier français lui manquaient un peu, c'est vrai. Saint-Louis était différent, moins chaleureux, plus entreprenant. Mais la Maison du Révérend, attenante aux locaux d'Humain d'Abord, était grande et spacieuse. La chambre de Louise était grande, pourvue d'un lit double et même d'un canapé. Elle pouvait manger aux heures qu'elle voulait et prier autant qu'elle le souhaitait, sur l'autel disposé dans son antre. Tout était plus beau, ici. Plus grand, plus facile, plus lumineux. C'était certes moins authentique qu'au couvent des Ursulines et que la Nouvelle-Orléans, mais l'endroit respirait Dieu tout simplement. Cette propriété était bénie de Lui.
Face à l'étang devant la Maison principale, Louise expérimentait la toute nouvelle balancelle, pour la première fois. Ses cauchemars ne l'enquiquinaient plus, même s'il lui arrivait encore d'avoir des visions. Son don lui avait servi. Le Révérend avait raison. Désormais, il était son tuteur, et son guide, comme celui de milliers d'autres brebis égarées.
Louise allait mieux, et elle avait un but, une mission. C'était pour cela qu'elle avait rejoint l'organisation Humain d'Abord. Purger le monde de la vermine était désormais sa seule obsession. Sorciers, vampires, lycanthropes...

Rapidement, Louise tira de sa poche un petit carnet fatigué, qui semblait être vieux comme le monde. Les pages étaient jaunies, l'écriture ancienne, et la déchiffrer lui était presque impossible. Elle avait trouvé ces pages dans le grenier condamné du Manoir, au 78 Bourbon Street, quand il y habitait encore. C'était peu avant la Mort de sa mère. Personne, jamais, n'avait vu ce carnet. Pas même le Révérend. Louise en avait peur, mais il l'intriguait. Son nom de famille revenait souvent sur les pages. Cela, elle parvenait à le lire, seulement. Il ne s'agissait autrement que de successions de syllabes étranges et incompréhensibles. Comme des prières, ou des formules magiques, mais Louise ne les sentait pas hostiles.

Soudain, elle cessa de se balancer, et contempla longuement le carnet. Elle savait. Elle savait qu'il avait toujours essayé de lui parler. Et cela la terrifiait. Quand les voix eurent emprisonné son esprit, ses doigts s'écartèrent et le calepin s'échoua à terre. Refermé après la chute, il cessa enfin de lui parler. De longues minutes, Louise demeura ainsi à le contempler, les yeux écarquillés. Puis, elle se baissa, et le cacha dans sa poche. En rentrant, elle le brûlerait. Même si elle ne pouvait pas croire que sa famille si fidèle conservait en sa demeure des paroles d'hérétiques.

Au lointain, par la fenêtre de la cuisine, elle entendit blasphémer. Bruit de verre briser. « Miss Louise ? Le repas va être servi ! » Alors, la jeune adulte de 19 ans désormais se leva, entonnant à mi-voix une prière en prévision des évènements à venir. Elle devait être forte, pour honorer son Sauveur.

Ce soir, les fidèles d'Humain d'Abord ramèneraient un vampire. Et elle devrait se servir de son Don.

Spoiler: