→ « Je n'ai jamais évolué dans le monde "normal". Vous savez, celui des livres comme Orgueil et Préjugé, celui où on est "juste humain". La magie et ce que les gens appellent le fantastique a toujours fait partie intégrante de mon quotidien, et ce, depuis ma naissance, il y plus d'un siècle et demi. Je suis née en Egypte, dans une caravane de nomades. Ma mère était grande prêtresse d'Isis, tout comme sa mère avant elle, comme sa mère avant elle... Et ainsi de suite, jusqu'à la naissance de la religion de l'ancienne Egypte. Nous voyagions de villages en villages pour que ma mère dispense des soins à ceux qui le voudraient, notre culte ayant disparu depuis des centaines d'années. Certains, désespérés, acceptaient notre aide, d'autres nous refusaient en bloc. En revanche, il était rare que les femmes sur le point d'enfanter nous refusent. Aider à l'accouchement était l'un des rôles principaux des prêtresses. Nous ne demandions jamais d'argent, de toute façon, ceux que nous visitions étaient trop pauvres pour s'offrir nos services, en revanche, nous réclamions un repas. Souvent d'ailleurs, les gens nous faisaient rompre le sel avant les soins, afin d'être certains que selon les lois de l'hospitalité, nous ne tenterions pas de les tuer ou de les voler. Nous n'étions pas très nombreux, une dizaine de personnes environ, mais c'était une lourde charge pour une seule famille, donc chacun se répartissait parmi les maisons du village qui acceptaient de nous offrir l'hospitalité. Parfois aussi, quand les gens étaient particulièrement accueillants, nous leur offrions un spectacle. Chaque membre de la caravane possédait sa propre spécialité, mais savait faire beaucoup de choses. Par exemple, ma spécialité était le swing, la danse avec des torches enflammées, mais je savais aussi bien danser avec un ruban, que jouer de la cithare. Au cours de nos errances, nous rencontrions souvent des familles homologues à la nôtre, mais dont le culte était différent. Nous, nous étions dévotes de mères en filles à la déesse Isis, mais certains priaient Seth, Bastet, Sekhmet... Cependant, beaucoup de cultes se sont perdus dans les âges, ce qui est normal. Avec l'apparition des religions monothéistes, nos situations sont devenues précaires. Certains ont été poursuivis et tués, nous, nous avons jouis d'une chance relative, jusqu'à ce que j'aie environ quinze ans, et sois intronisée prêtresse à mon tour. C'était un mois ou deux après que la cérémonie ait eu lieu. Ma mère m'avait enseigné tout ce qu'elle savait, ne me manquait que la pratique, qu'elle m'enjoignait à développer en me laissant me charger de tous les soins à pratiquer. Il faut savoir que j'ai toujours été très pieuse, une croyante docile et convaincue. Du temps de mon humanité, je faisais déjà des rêves, mais la seule à me visiter était Isis. Elle me donnerait sa force, disait-elle, et me répétait sans cesse que je n'aurai pas à m'inquiéter, qu'elle veillerait sur moi.

La lune était pleine ce soir là. On les avait entendu hurler toute la soirée, sans s'inquiéter parce qu'ils semblaient loin. Et puis ils avaient déferlé sur le village comme une marée de poils, de grognements, de crocs, semant le chaos, le sang et la mort sur leur passage. Ils ont massacré tous les villageois, massacré tous les membres de notre caravane. Ma mère m'avait enfermée dans une chambre, je n'ai pu entendre que les râles d'agonie des gens qui avaient eu la bonté de nous accueillir. Et puis la porte s'était ouverte. J'étais tétanisée. Morte de peur. Le loup le plus gigantesque qu'il m'avait été donné de voir venant d'apparaître, dans l'encadrement de la porte. Il soufflait, comme la bête qu'il était. Du sang coulait d'entre ses crocs. Il a grogné, s'est approché lentement. Un pas après l'autre. Je n'ai même pas eu la présence d'esprit de hurler. Je me suis tassée dans mon coin, et j'ai fermé les yeux. Quand je les ai rouverts, le museau de la bête était seulement à quelques centimètres de moi. Ma bouche s'est entre-ouverte, mais je n'ai eu le temps de rien. Il m'a mordu l'épaule, et a attrapé mon pagne entre ses crocs pour me traîner dans son sillage. Il était trop haut pour que je touche le sol, il me portait un peu comme un chiot. En toute honnêteté, ça ne m'est même pas venu à l'esprit de me débattre ou de lutter. J'avais vu les cadavres de toute ma famille, il me semblait évident que les chances que je subisse le même sort étaient plus qu'élevées. Et Ammit me faisait peur. Mais finalement, il en fut tout autre. Le loup m'a balancée, tel un sac de patates, dans une sorte de case et m'a enfermée. J'y ai attendu et prié Isis, afin qu'elle m'aide pour me guérir. La chair a cicatrisé facilement. Le lendemain, la porte s'est ouverte brutalement. Dans l'encadrement se tenait un homme immense, et avec une musculature telle que je n'en avais jamais vue. Par réflexe, je me suis tassée dans le fond de la case. Lui m'a regardée, de la tête aux pieds, et s'est tourné vers l'extérieur. « Chef, on a un problème ! » Est alors venu celui qu'il avait appelé « chef », plus petit mais tout aussi musclé. Lui aussi m'a observée d'un air suspicieux, avant que je ne vois la colère traverser ses yeux. Il s'est approché et m'a secouée par le bras. « Qu'est-ce que tu as fait ?! » Il a hurlé, m'a repoussée contre le mur du fond où je me suis cognée, et il allait m'administrer ce qui allait probablement être la gifle de ma vie quand il suspendit son geste. Il se calma instantanément, et retourna vers la sortie. « C'est bon. Il n'y a que la chair qu'elle a guéri. Au moins, on sait qu'elle est efficace. » Et ils sont sortis tous les deux.

Je suis restée captive un certain temps. Dans le noir, impossible de me rendre compte. Quand la saleté de mon propre corps a commencé à me faire régurgiter les maigres repas que l'immense homme m'apportait, ils ont consenti à me laisser sortir. Est-ce que vous avez la moindre idée de l'humiliation que ça représente que de devoir pratiquer ses ablutions avec les mains liées, tenue en laisse par un homme ? Je ne souhaite ce genre de traitement à personne... Au bout d'un mois, je le sais car la lune était de nouveau pleine, ils m'ont détachée et obligée à les suivre dans les collines. Je me suis demandé s'ils allaient me tuer là-bas, et si oui, pourquoi avoir attendu tout ce temps. En fait, ce qui m'attendait était pire que la mort. Je ne crois pas avoir jamais souffert plus que cette nuit là. C'est le seul souvenir que j'en garde. Le lendemain, le chef m'a brutalisée, il n'y a eu que le grand, Khâsekhem, pour être gentil avec moi. Je n'avais pas le droit de sortir, personne n'avait le droit d'entrer à moins de nécessiter des soins... Ça a duré une bonne année. Le temps qu'il m'a fallu pour me maîtriser, en fait. A partir de ce moment, le chef m'a intégrée à la meute, dont j'avais dû pour beaucoup comprendre le fonctionnement par moi-même, et j'en suis devenue un membre à part entière. Seulement voilà, mon jeune âge, mon statut de femme ainsi que le fait qu'il m'ait gardée prisonnière d'une case pendant si longtemps avaient sérieusement entamé la crédibilité qu'il souhaitait me donner. J'avais beau être une bonne guérisseuse, j'étais souvent le fruit de plaisanteries, souvent cruelles. Le seul sévice que l'on ne m'infligea pas dans un premier temps fut le viol. Les hommes de cette meute avaient beau être de parfaits ignorants, et j'avais beau ne pas avoir beaucoup d'estime pour eux, le crédulité m'a sauvée pendant de longues et nombreuses années. Un jour, le chef a fait mine de vouloir s'accoupler avec moi. Je lui ai dit que je perdrai mes pouvoirs s'il allait jusqu'au bout. Il aurait pu le sentir le mensonge si j'avais su que c'en était un. Ma mère m'avait toujours répété ceci, qu'il fallait une union consacrée par Isis pour conserver ses dons intacts. En tous cas, il n'a pas tenté le diable. Quant à mes chaleurs et bien... Disons que je n'avais pas trop le choix, et que je me débrouillais toute seule. Quand ça a commencé à ne plus devenir supportable, j'ai prié Hathor de me venir en aide, et elle a eu pitié de mon inexpérience. Nous avons passé un marché, elle acceptait de m'aider à traverser mes chaleurs aussi sobrement que possible, à condition qu'une fois libérée de mes bourreaux, ne l'offense plus en me refusant par snobisme, et l'honore, hors chaleurs, au moins deux fois par mois. Ce tribu me semblait maigre comparé à la torture que m'imposaient mes chaleurs, j'ai accepté.

Les choses allèrent ainsi pendant longtemps. Nous bougions beaucoup pour ne pas nous faire attraper, nous efforcions d'opérer par « frappes chirurgicales ». Avec le temps, les membres de la meute ont achevé de me railler, et j'ai été intégrée, vraiment. Il n'y avait que l'Ulfric pour continuer à me donner des coups. Ça ne me dérangeait pas, pour tout dire. Khâsekhem n'était pas loin derrière, et quand j'étais trop amochée, c'était lui qui devait veiller à ce que je guérisse correctement. C'est lui qui m'a faite franchir le pas. Nous avons pu conserver cette partie de notre intimité « secrète » quelques temps, mais dans une meute... On en peut pas dire qu'il y en ait vraiment, de secrets. A partir de là, voyant que je n'avais rien perdu de mes pouvoirs, le chef entreprit de rattraper toutes les années « perdues », et enjoignit les autres à en faire de même. Ne m'en veuillez pas de ne pas m'étaler sur ce passage... Juste, comprenez pourquoi, des années plus tard, je l'ai tué. Enfin, à proprement parler, je ne l'ai pas tué. Mais j'ai ma part de responsabilité dans sa mort. Des chasseurs leurs sont tombés dessus, et les ont blessés. Nous n'étions que les quelques femmes à faire partie de la meute à ne pas avoir été avec eux. Ils sont parvenus à tuer les chasseurs mais leur état était critique. Le temps qu'ils reviennent à nous, seuls le chef et Khâsekhem étaient encore en vie. Le chef n'en avait plus pour très longtemps, à moins que je ne sauve... Quand il m'a dit de faire quelque chose, je me suis reculée de lui. Je ne voulais pas. Il s'est agacé, déjà faible, il a gesticulé, perdant encore plus de sang. Il a voulu user de son statut d'Ulfric pour m'obliger à le faire, mais les crocs de Khâsekhem se sont refermés sur sa gorge et l'ont décapité. La lupa s'est mise à rager, à hurler. Seulement, face au nouvel Ulfric, elle ne pouvait rien. Quant à moi, je me suis pressée de le soigner, du mieux que je pouvais, jusqu'à ce qu'il m'ordonne de m'en aller. C'était il y a environ cinq ans. Aujourd'hui encore, je ne m'explique pas pourquoi il a fait ça, le fait est qu'il l'a fait. Je ne sais même pas où il est maintenant, ni s'il est encore en vie... J'ai pris le large, visité. Mais rapidement, car l'Afrique et l'Eurasie me semblaient encore trop proche de l'Egypte. J'ai finalement opté pour l'Amérique. Je l'admets, les séries que j'ai entrevues et le retard que j'ai essayé de rattraper m'ont fait croire que le rêve américain m'était accessible. Ne vous moquez pas, mais après avoir vu "La princesse et la grenouille", j'avais très envie de découvrir la Louisiane. J'espérais tomber sur une sorte de Naveen moi aussi... Acte manqué, c'est la meute de Connor O'Brien qui m'est tombée dessus. Les femelles solitaires n'ayant pas vraiment le choix... Je me suis jointe à eux. »