C'est comme une odeur trop forte. Elle joue de nuance pour crier l'essentiel. Elle donne des teintes amères aux regards, tandis que les sourires se crispent et que le cœur s'oppresse. La peur suinte de chacune des personnes qui croisent ma route. C'est comme un poison qui se distille à une vitesse folle. Il y a encore quelques mois, je n'avais qu'à pleurer sur mon sort tout en réfléchissant au meilleur moyen de prendre possession de la Nouvelle Orléans. Désormais, les regards se font suspects, très peu complices, au point que je sens au fond de moi que je vais devoir reprendre contact avec ceux qui m'ont amené à ma chute. Une déchéance qui aurait du être tout autre si Paige n'avait pas eu des crocs digne d'un vampire. Parfois, je la surveille, toujours de très loin, majoritairement dans des lieux publics. Bartholomew se rit de moi quand il comprend où je m'en vais à des heures avancées de la nuit. Il serait tellement plus simple d'embaucher quelqu'un, mais la louve en moi a envie de vengeance, et renifler le parfum de celle qui a voulu notre perte permet aux souvenirs de remonter à la surface.

L'eau trouble de mes yeux cachent cette époque où j'étais Lupa. Connor avait obtenu sa position grâce à moi et il me le rendait bien dans nos étreintes effrénées. Comment croire que je voulais davantage ? Même si la hiérarchie des loups ne m'avait pas plu dans mes débuts, il devint une évidence que tout dépendait du mâle Alpha. Devenir Lupa fut une consécration et j'aurai pu faire bien plus s'il n'avait pas cru que ce qu'il voyait. C'est à partir de là que j'ai su comme l'amour était proche de la haine. Comme un cœur en se brisant peut devenir du verre cassant et dangereux. Chacun de mes monceaux sera projetés dans l'orgueil de ce qui fut ma meute à une époque. Parfois, la nostalgie me rattrape, et je me souviens de cette jouissance d'être reconnue dans la meute. Nait alors ce désir en moi qui ne demande qu'à s'épanouir, qu'à recommencer...Cela serait si simple avec Bartholomew. Et pourtant, pour avoir failli par amour à de nombreuses reprises, je me refuse à lui comme un jeu dont nous sommes les parfaits stratèges. Je doute que cela ne dure encore et encore...Nous nous ressemblons tant, il me paraît tant à mon image que mon narcissisme ne peut en être que rassasié. Et puis il n'y a pas que cela...Cela serait mentir que de dire que je ne me sens pas à ma place auprès de lui...

J'allume une cigarette. Je la porte à la rencontre de mes lèvres et cette bouffée est salvatrice. Je me laisse même aller en fermant un instant les yeux. Oublier. Oui, se laisser porter après une journée de travail éreintante. Finir à trois heures du matin n'est pas de tout repos. Heureusement, les horaires changent toutes les semaines, mais ce n'est pas pour autant que je me sens plus libre. Je croise quelques fêtards qui ont pris trop de drogue pour avoir peur. Les croiser me fait presque du bien, tellement mes sens sont en éveil ce soir. La lune est montante, et je sens déjà l'appel de la bête en moi. A chaque fois, cela me fait sombrer à l'époque de ma transformation. Léo avait été parfaite...La souffrance exquise. Je ne devrais pas en parler en ces termes, mais je ne suis pas un de ces chiots qui pleurent sur sa vie de mortelle perdue. J'ai choisi mon destin, comme je l'ai choisi en quittant la France où je n'avais été qu'une incomprise. A quoi bon faire partie de la résistance si c'est pour éviter tout conflit ! Sans heurt, pas de risque. Sans risque, pas de vie.

Je passe devant une vitrine dont les vitres me permettent d'observer mon reflet. En sortant de la clinique, même sous le poids de la plus lourde fatigue, je mets un point d'honneur à me maquiller. Mes demi lunes sont bordées de khôl, mes cils allongés, mes lèvres parées de rouge. On pourrait croire à s'y méprendre qu'on m'attend à une soirée. Mon regard descend, reste un instant sur ma silhouette trop fine pour une louve avant que je me vois happée par mon passé...encore. Je passe une main sur mon bas ventre, l'endroit même où le fils de Connor avait tenté de s'agripper à la vie. Mais à la deuxième pleine lune, lors de ma transformation, je le sentis se briser dans mes entrailles...Mais qu'importe, c'était il y a longtemps et il m'avait déjà banni...

Un homme arrive en courant, je l'évite en bougeant sensiblement, avec toute la grâce de la louve. J'aurai pu l'insulter, mais les souvenirs d'enfants me jettent toujours dans un état de torpeur où seuls mes réflexes subsistent. Pour une fois, il ne court pas pour rien, je perçois l'odeur du vampire à des mètres. Ce dernier porte son attention sur moi. Mon regard se fait pénétrant, et l'émotion, celle du combat, se fait si pressante, que je sais que mes yeux brillent d'un éclat de vérité. Enfantin. Il ne demande pas son reste, il est jeune, trop pour me combattre. Au moins, je continue ma route avec un sourire ravi aux lèvres. Du moins, il le serait resté si Elijah n'avait pas fait son entrée.

- Tu es en retard.

J'accélère le pas. Depuis que je fais partie de la meute, il a le don de se prendre pour mon garde du corps tout personnel.

- Je travaille. Tu as déjà oublié ?

Un sourire sarcastique aux lèvres, il ne relève pas. Rien de plus normal entre nous. Je sais qu'il ne me surveille pas pour mes beaux yeux. Il veut tout savoir de moi afin de me contrecarrer. Il l'a déjà fait à de nombreuses reprises, notamment sur le choix où nous nous réunissons avec la meute.

S'il y avait bien une personne que je ne suis jamais pressée de voir, c'est bien lui. Même si je ne sais pas encore totalement sous quel pied danser avec lui. Je ne l'attaque pas encore directement, mais il ne faudra pas me pousser de trop. Mon impulsivité, qu'il semble me reprocher, pourrait bien se retourner contre lui un jour. Et pas sûr que cela ne soit pas préparé un brin. Ce que j'ai appris au fil de mes voyages avant de débarquer à la Nouvelle Orléans, c'est bien que toute personne possède une faille...Suffit de trouver laquelle.

Pour ce soir, nous avons rendez-vous dans un hangar un peu à l'extérieur de la ville. Elijah m'embarque sur sa bécane et nous y sommes très rapidement. Nous n'avons pas encore de lieu attitré, simplement car cela mettrait rapidement la puce à Connor, même s'il est certain que la présence d'autres lycans aient été remarqué.

L'ordre du jour concerne les différents meurtres, toutes ces traces laissées à la vue de tous. Bartholomew veut s'assurer qu'il ne s'agit pas de l'un des nôtres. Aucune chance d'après moi, nous sentons le mensonge en tant que lycan, puis les manipulateurs ne sont pas nombreux dans nos rangs, bien que certains cachent bien leur jeu. Naturellement, à cette pensée, mon regard se porte sur Elijah. Il adore le rôle qu'il a dans la meute, mais je me dois de creuser sur lui, comme sur chacun des membres de cette meute. Je n'ai pas envie qu'on me plante encore un couteau dans le dos. D'ailleurs, ma vengeance fera montre d'avertissement pour ceux qui voudraient s'y risquer. Mais pour le moment, je ne suis rien, je suis comme tous les autres...Il n'y a que lorsque l'on marche dans la lumière que l'on est en danger...Peut-être n'est-ce pas pour rien que je réfute mes sentiments envers Bartholomew ?

Ce dernier nous passe en revue, un par un. C'est très organisé, malgré ce que peuvent penser les vampires sur notre compte. Quand vient mon tour, je ne peux m'empêcher de sourire. Sa présence m'apaise plus que je ne pourrai l'avouer. Quand je retourne à ma place, je cherche encore ses yeux de manière stupide. Il est occupé, il viendra vers moi quand il sera temps.

Je me mets dans un coin, je sors mon téléphone et regarde mon agenda.Demain je ne travaille pas. J'ai prévu de me rendre à la clinique Saint Thomas où je m'occupe bénévolement d'enfants malades. Il est fréquent que certains d'entre eux s'expriment sur leur maladie, alors quand j'active mon don, les adultes ne se rendent compte de rien. Cela me fait du bien de rendre plus léger un enfant dont le corps est déjà marqué par la maladie. Je pense que mon envie d'aider ce monde « normal » me vient de cette vie nocturne faite de dangers plus effrayants encore que les monstres tapis sous les lits des enfants. Un besoin de se rattacher à quelque chose de doux...et l'enfance m'était apparu comme une évidence, surtout à la suite de la perte de mon bébé. Pendant un temps j'avais cru possible d'enterrer mes démons, d'oublier Connor et la façon dont j'avais été bannie. Mais un soir j'avais pris la route, délaissant le bénévolat, délaissant toutes mes obligations avec en vue de partir très loin d'ici. Au lieu de cela, j'avais croisé Bartholomew et sa meute...depuis je ne les avais plus quitté.

Une main sur mon épaule. Je lève les yeux sur Bartholomew et attrape la main qu'il me tend. Nous nous retrouvons face à face et la magie opère comme à chaque fois. J'en oublie que nous ne soyons plus seul tandis qu'il me parle. Il veut que nous passions la nuit ensemble. Sans doute veut-il oublier un peu les crimes que la ville porte en son sein en ce moment. Je pourrais le savoir facilement, mais je n'ai jamais utilisé ma capacité sur lui. Pourtant cela lui ferait du bien...Mais je ne suis pas prête à tout savoir, pas encore. J'aime ce que je vois et sais de lui, pourquoi en ajouter ?

La véritable question est de savoir si un jour quelqu'un réussira à extraire le mal que je porte en moi ? Ma chair est tellement avide de vengeance que je ne peux qu'en douter. Quand je marche au milieu de la meute, à côté de Bartholomew, je ne peux m'empêcher de voir mon passé, celui où j'étais fière, où je me pensais intouchable. Est-ce cela que je recherche dans cette nouvelle meute ? Et si nous réussissons à vaincre, ma soif de vengeance arrêtera-t-elle de m'assécher la gorge, comme si je manquai d'air ?

La lune nous accueille au dehors, bienveillante. Seul un autre jour, une autre nuit apportera une réponse aux murmures dans ma tête. Serez-vous là à me suivre, m'encourager dans ma bravade ?