Ivre et babillant. vêtu par dessus son jean déchiré de cette robe d'été échancrée et souple sur son corps étroit et osseux –un coton fin, ourlés de broderie, appartenant à sa petite amie. trouvant cela amusant. Affalé sur le sol de la grange familiale –une ferme délabrée. une bouteille de mauvais alcool embuée entre ses doigts lâches. Wladyslaw Liszewski. une petite frappe agressive au visage froncé – en permanence, étirée sur ses lèvres épaisses, rouges et gonflées comme après un baiser : une moue capricieuse. Ça, et, brillant dans ses yeux bleus: une lueur belliqueuse, pugnace et railleuse.
et, finalement : la brusque entrée de son père, empourpré et fiévreux : crachant ; nous devons t’entrainer ce soir! rhabilles-toi.
S’entraîner ! plus tard, une fois qu'un de ses amis aura surpris une de ces conversations, on lui demandera : « t’entrainer à quoi ?» et il haussera les épaules, ourlant sa bouche pulpeuse en un rictus insolent : « base-ball. m’entrainer au baseball. »

(il n’avait pas joué au base-ball depuis tellement longtemps !)

Enfilant un t-shirt déchiré, pieds-nu en cette nuit d’été brûlante, dans l’air compact et lourd : le fusil winchester, calibre 12, froid entre ses doigts arachnéens et fébriles. Son crâne douloureux d’alcool et sa vue trouble mais affichant un sourire présomptueux, plissant ses yeux dans l’obscurité, entre les ramures tordues qui s’écrasaient les unes sur les autres dans un mélange noueux et incompréhensible. Les branches lourdes lapaient même le sol parfois, prêtes à violemment se rompre, bruyamment, étirées et courbées comme un une colonne vertébrale défoncée.

(depuis que Iwan est mort papa ne joue plus avec moi au base-ball.)

des bouteilles vides et luisantes dans la nuit. c’était vraiment simple mais c’était le commencement.

(depuis que Iwan est mort papa et moi apprenons à tuer les vampires)

Au moment où Wladyslaw appuyait sur la gâchette avec une arrogante nonchalance, Iwan Liszewski était mort depuis un an et demi, âgé (comme le rappela avec affliction le prêtre lors de la cérémonie d’enterrement, vouté devant l’étroit cercueil alors qu’il feuilletait fébrilement son épaisse et lourde bible catholique) de 12 ans. Un DRAMATIQUE ACCIDENT selon les journaux locaux. Un enfant retrouvé mort dans une forêt voisine. Il aurait été victime d’un animal sauvage alors qu’il se promenait seul ----« je suis un putain de génie.» il décida en repoussant de la paume ses épais cheveux bruns de ses yeux. Désignant d’un vague mouvement du menton le verre brisé et brillant dans l’herbe sèche et blonde.

(lorsque son père, alerté par les cris, armé de ce même fusil winchester, calibre 12, pénétra dans la forêt voisine ce n’était pas un animal qui avait enfoui son visage dans la nuque de son fils. c’était quelque chose. le scénario d’un mauvais film, un cauchemar puéril. puis, en de larges lettres capitales, lors de ses fiévreuses recherches dans la bibliothèque du centre – ville....: VAMPIRE. une idée irréelle alimentée par son excessive consommation d’antidépresseur, jusqu’à en devenir paranoïaque. un vampire avait tué son fils.)

« surveille ton langage» , il grogna. S’il avait immigré aux Etats Unis 25 ans auparavant, son anglais restait marqué d’un fort accent polonais; toutefois il refusait farouchement de communiquer dans sa langue maternelle. Il avait lors de son arrivée en Amérique du faire face aux railleries suffisantes et s’escrimait désormais à se fondre dans la masse compacte et sacrée de l’AMERICAIN DE CLASSE MOYENNE; avec succès. Sa femme ne partageait pas sa ferveur et avait lourdement insisté pour nommer leur première fils d’après son propre père – il lui paraissait improbable qu’elle puisse le revoir un jour, et l’idée l’accablait: le concept romantique qu’était celui de l’ americain dream (terme qu’elle prononçait d’un timbre amer et agressif) l’avait elle aussi exaltée lorsque son jeune époux lui avait confié ses ambitieux projets --quitter le pays détruit par la guerre, légalement ou non—mais lentement elle s’enfonçait dans une solitude austère. Se réconfortait dans une pratique stricte, passionnée et rigoureuse de la religion, mais trouvait insuffisant le nombre d’américain catholiques dans ce pays où le protestantisme était la branche la plus populaire de l’Eglise chrétienne-- finalement la mort de son deuxième fils l’avait plongé dans une profonde léthargie nourrie aux somnifères et, en proie à de violentes migraines, elle ne quittait plus la chambre conjugale.

« ouais, ouais. » marmonna-t-il avec désintérêt. Il était un adolescent effronté. Ses résultats scolaires, médiocres, avaient conduit à la convocation de ses parents chez le directeur de son établissement –soucieux, il s’était penché vers eux pour demander dans un froncement de sourcil: Wladyslaw parle-t-il couramment l’anglais? Une cuisante humiliation pour Kazimierz Liszewski. cet honnête travailleur. Employé au port, dans le sud de la ville –déchargeant ses jours entiers d’immenses bateaux en de mouvement appliqués. Une humiliation ! Hélas, et il le constata rapidement, son fils semblait imperméables aux règles, aux menaces, aux punitions. Evoluait avec arrogance, sa bouche retroussée en une moue moqueuse. Parfois il était agressif : longtemps l’incongruité de son patronyme avait fait sourire et longtemps il avait essayé de le faire payer –il n’était alors qu’un simple gamin, âgé de 8 ans à peine. Rentrait à la maison, ses t-shirts tâchés de sang, de salive et de boue, ses bras gravés d’égratignures alambiquées et expliquait dans une grimace buté : aujourd’hui je me suis battu. ajoutant parfois : la maitresse m’a puni. Il n’avait pas beaucoup de force : n’en eut jamais beaucoup. Son frère Iwan, de deux ans son cadet, était à l’inverse beaucoup plus paisible: solitaire et réservé il avait peu d’amis. Etait souvent vu seul.
(et ne l’était-il d’ailleurs pas lorsque, dans la forêt voisine, il s’était éloigné afin de se promen--)

« J’ai l’impression que tu ne prends pas ça au sérieux.
- p’pa, je n’ai jamais été aussi sérieux. » articula-t-il.

Lorsqu’il était seul le regard qu’il posait sur ce fusil était amer et moqueur. Comme s’il était une offense –une provocation à laquelle il ne désirait pas répondre...(il désirait y répondre.)


Vous tuez des vampires et pourtant c’est toujours de la consternation dans le regard de votre père. Le monde est injuste.
Vous savez qu’il n’y avait pas de consternation dans le regard de votre père lorsque celui-ci était posé sur la silhouette malingre de Iwan Liszewski, tué il y a...une éternité de cela par un vampire nouveau-né, acculé dans la forêt avoisinant la FERME FAMILIALE, esseulé, dévoré par la faim et traqué par quelques loup-garou méfiants.
(mais ça, vous ne le savez pas.)
Vous tuez des vampires. Parfois vous tuez des lycans. Votre père vous a appris à faire ça. (votre père, vous le savez, est aveuglé par la vengeance!...et vous ne l'êtes pas.)
Vous avez foi en votre revolver lourd d'argent. Vous avez foi en Dieu. (votre mère vous a appris à avoir foi en Dieu).
Vous aimez les plaies brûlées et les balles perdues; le bruit de leur impact contre les os.
Parfois vous ouvrez les yeux et vous croyez devenir dément.

« Croque-mort. Tu es croque-mort. »
- Ouais. mon père m’a trouvé un travail au port, parce qu’il travaille là-bas depuis, genre, un putain de million d’année. » il marmonne en portant à sa bouche une cigarette. « mais je me suis fait virer. » il cherche du regard son briquet. « je n’ai pas quitté la maison pour le voir toute la journée, sérieux. »
Il lui offre un sourire. « Et qu’en est-il de ta mère ?
- elle est morte. j’avais, genre –j’avais 18 ans. » la fumée laiteuse et opaque rend flou le visage du type.
- navré. »
il hausse les épaules. Une overdose!...personne n’avait cru à l’accident –mais c’est bel et bien ce qui avait été tracé en lettres consciencieuses après le très sobre cause du décès : OVERDOSE ACCIDENTELLE.
« Je t’en prie --peux-tu éteindre cette cigarette?
- oh --ouais. » il acquiesce. «je suis là grâce à elle, vous savez. » il ajoute en pressant la cendre contre la semelle de ses chaussures défoncées. « ma mère, je veux dire.
- vraiment ?
- aye, elle était à fond dans--- je veux dire, elle était super pieuse. mais elle n’allait plus à l’église parce qu’elle – elle ne sortait plus trop.
- Je vois. » il y a une pause. Il reprend : « pourquoi es-tu venu ?
- Je ne sais pas. Je passais et –ça me semblait la bonne chose à faire. Vous voyez ce que je veux dire.
- tu ne désires pas te confesser ? »
Il jette au prêtre un regard qui n’est pas exactement narquois ; ni réellement surpris ; puis secoue la tête. « nah, je vais juste y aller, maintenant. je suppose. »