La famille Hill immigra aux États-Unis après la fin de la seconde guerre mondiale. A peine âgé de vingt ans, le futur père de Jonathan avait épousé une jeune irlandaise après la guerre gagnée. Il ne voulait plus revoir ce monde dévasté, et les États-Unis donnaient la promesse d'un nouveau monde. Jonathan Henry Hill fut le premier d'une famille de trois enfants, et en qualité de grand-frère il se mit à veiller jalousement sur ses deux sœurs cadettes. Son père devint vendeur dans la ville d'Austin tandis que sa mère devint professeure de littérature. Les Hill se reconstruisirent entièrement, élevant courageusement leurs enfants, tentant de donner le meilleur pour eux. Jon grandit normalement dans une famille croyante. Il était un élève moyen mais assidu, ne voulant qu'une chose, sortir avec un papier en poche et construire cette nouvelle vie. Il n'avait jamais connu l'Angleterre mais au fond de lui, en rêvait ardemment. Pourtant ses rêves commencèrent à se défaire à l'âge de dix-huit ans. Bac en poche, il entra dans une université de journalisme mais ce fut sans compter cette fameuse rencontre. Elle était différente des autres, charismatique, belle, fabuleuse. Elle disait être une mère célibataire qui reprenait les études. Elle n'avait que vingt-cinq ans mais était regardée étrangement.

N'oublions jamais qu'à l'époque une femme divorcée n'était pas appréciée par la société. Nous n'étions qu'en 1968 après tout. Il se souvient encore de cette soirée fraîche où il traversait un parc, puis... L'horreur, quelque chose bondit sur lui, le lacéra et il hurla, la douleur déchira son être et il s'effondra au sol. Une mâchoire tira sur son bras, le déboitant. Jonathan hurla cette nuit-là il hurla aussi fort qu'il put, son corps devint bientôt poisseux de sang puis, il s'évanouit sous l'effet de la douleur. Le jeune homme se réveilla quelques heures après dans un hôpital, entouré de toute sa famille. La main de sa mère caressait son visage tandis qu'elle le regardait, terriblement inquiète.

« Jonathan... Ils ont dit que tu étais couvert de griffure et de morsure mais... »

Le jeune homme regarda son corps, la peau était rosée par endroit, ce n'était pas normal, pas normal que des blessures guérisses si vite. Une pierre s'abattit dans son estomac tandis qu'il s'entoura de sa couverture sans vraiment comprendre ce qu'il se passait. Jon resta silencieux, fermant les yeux, il voulait être seul, oublier les images, tout simplement. Sa famille resta un moment avant de partir, de le laisser se reposer car les heures de visite étaient terminées. La nuit tomba alors sur l'hôpital d'Austin et Jonathan se réveilla en sursaut, couvert d'une sueur fraîche et tremblant. Il y avait quelqu'un dans sa chambre et il reconnut Barbara. C'était la femme qu'il avait rencontré à l'université et avec laquelle il avait entamé une liaison. La mère célibataire s'approcha de lui et se pencha au-dessus de son corps. Le cœur de Jonathan faillit rater un battement quand il vit ses yeux, jaunes...

« Deux jours Jon, dans deux jours ce sera la pleine lune mon amour. On sera réuni, toi et moi. »

Que racontait cette folle ?! Il la baffa avec violence, en proie à une colère qui le figea. La femme éclata de rire, comme ivre et le regarda comme s'il était la meilleure gourmandise du monde. Lentement elle se lécha les lèvres et attrapa sa bouche dans un baiser violent. Sa langue caressa la sienne et Jonathan se débattit avant de s'apaiser. Puis, il sentit une pression autour de son cou, de l'air, de l'air ! Il était s'étouffer ! Il se débattit mais en vain, Barbara le maintint contre le matelas du lit, à califourchon sur lui. Il continuait d'étouffer, griffant les poignets de la femme qui éclata de rire. Sa vision se moucheta de noir et il sombra dans l'inconscience. Il se réveilla le lendemain, brûlant de fièvre. Deux jours avait-elle dit. Mais que se passerait-il dans deux jours ? En réalité plus qu'un. La pleine lune se rappela Jon. Elle était vraiment pas bien, il s'en moquait de la lune bon sang ! Le jeune homme repoussa les couvertures et s'effondra au sol en grognant. Il se figea en voyant ses blessures qui cicatrisaient plus vite que la moyenne, c'était quoi ce bordel encore, hein ?! Le jeune homme redressa la tête quand une infirmière surgit dans sa chambre, visiblement paniquée.

« Recouchez-vous monsieur Hill ! Maintenant ! »

Il allait protester mais on l'allongea de force. Lui affirmant qu'il ne devait pas bouger sinon les points de suture allaient sauter mais ne voyaient-ils pas bon sang que sa chair cicatrisait ?! Il n'eut pas le temps de protester qu'une aiguille se glissa sous sa peau et qu'il sombra à nouveau dans un trou noir. Cela allait devenir une habitude de le mettre KO. Jon ouvrit les yeux sur un drôle de monde, le souffle rauque, il tourna la tête et se figea. Le ciel sombre annonçait que vingt-quatre heures s'étaient écoulées sans même qu'il s'en rende compte. Les moniteurs s'agitèrent et l'ex humain se mit à hurler comme un dément. Tandis que la lune ronde se dévoila paresseusement derrière des nuages gris, le jeune léopard naquit, dans le sang et la douleur. Jonathan serait bien incapable de vous conter cette première nuit en tant que léopard, aucun souvenir et il se réveilla dans une clairière, nu comme un ver face à la léopard qui l'avait transformé, visiblement fière de ce qu'elle avait engendré. Jon hurla avec fureur et se jeta sur elle. Avec une certaine légèreté elle l'évita, et lui fit une clé de bras tout en approchant son oreille de sa bouche.

« Tu es encore mieux que quand je t'ai rencontré. Calme-toi Jonathan, j'ai besoin de toi calme. »

Il grogna faiblement et se débattit plus violemment mais elle le tenait d'une main de fer. Dépité le jeune léopard baissa la tête, ne comprenant rien de ce qu'il lui arrivait. Peut-être une malédiction, ou un mauvais rêve, oui. Sauf qu'il ne se réveilla jamais et ainsi débuta son histoire, Jonathan Henry Hill, le léopard. Après sa transformation il ne revint jamais chez lui, par chance Barbara l'avait trouvé avant qu'il ne tue des êtres humains, et depuis, elle le collait comme son ombre. Elle n'était pas la femme célibataire dont il était tombé sous le charme à l'université. C'était une autre femme, autoritaire, difficile et complètement harceleuse. Leur cohabitation débuta mal, bien entendu mais il se mirent à voyager dans les États-Unis avant de se rendre au Canada. Jon s'établit là-bas avec Barbara et termina ses études de journaliste. Il se demandait s'il arriverait à travailler, et même s'il en avait envie. Sauf que dans le coin perdu où ils logèrent, personne n'avait besoin d'un journaliste, mais d'un mécano oui. Une fois son papier en poche l'homme apprit à réparer les voitures, en hiver cela pouvait toujours être bien utile. Il apprit, un peu de force, à aimer Barbara, à apprécier sa présence mais aussi, à apprendre à vivre avec la bête en lui. Au début Jonathan n'accepta pas ce qu'il était, il ne voulait même pas entendre parler des autres, des vampires, des chasseurs et de tout ce blabla inutile selon lui.

Avec le temps il accepta l'existence des « autres » comme il le disait mais ce n'était pas pour autant que Jonathan alla faire coucou aux vampires, pas non plus fou le léopard ! Sa relation avec Barbara commença à se dégrader autour des vingt-cinq ans, peut-être parce qu'il avait un job stable, qu'il était plus ou moins lucide la plupart du temps et qu'il rêvait de liberté. Si la femelle léopard l'avait transformé c'était pour avoir un mâle reproducteur avait-elle avoué. Jonathan apprit ainsi que les naissances naturelles étaient extrêmement rares, et pourtant, il accepta d'offrir à Barbara ce qu'elle désirait. Sauf que rien ne vint, bien entendu. Aucun enfant ne naquit sous les cinq ans de reproduction entre les deux léopards. Rapidement la femme – qui s'avérait être en réalité bien plus âgée que sa véritable apparence – se montra d'une agressivité sans borne envers Jon qui devait y faire face constamment. Cela mit de l'eau dans le gaz dans le couple et puis un bon matin, la veille des trente ans du léopard, elle disparut. Pas un mot, pas une trace, rien, l'homme resta avec une maison vide sur les bras, les armoires saccagées. De ce fait il décida de retourner voir ses parents, voir si ceux-ci étaient toujours à Austin.

Il se rendit donc dans le comté du Texas pour découvrir que son père était mort entre temps d'un cancer, que sa mère était repartie en Irlande et que sur les deux sœurs qu'il avait, une seule était restée à Austin. Bien entendu, la petite sœur ne sut jamais que son frère l'observait, veillait secrètement sur elle. Il ne donna pas de nouvelle et repartit en voyage, sans vraiment savoir où aller. Jonathan ne postula à aucun journal, ni ne mit en contribution ses talents de mécano amateur. Il se contenta de survivre pour observer l'humanité dont il ne faisait plus parti. Tandis que le temps avançait, ses traits restèrent figés à jamais, imprimant un âge mûr mais pas trop vieux à l'homme. Il croisa des femmes, beaucoup de femmes mais jamais le léopard ne s'accorda à faire sa vie avec l'une d'entre elles. A l'âge de quarante-cinq ans il croisa un vieux léopard avec qui il passa du temps. Les deux mâles partagèrent des souvenirs et un jour, Jonathan partit. Il avait soif de liberté, et les léopards, contrairement aux loups, ne vivaient pas en meute. Jamais plus l'homme tomba sur Barbara, comme si elle n'existait tout simplement plus. Un jour, il s'arrêta à la Nouvelle-Orléans. Cela fait maintenant un an que Jon est dans cette ville et il s'y plait bien. Même s'il y a énormément de créature dans cette ville, il s'y plait. Il conserve une méfiance naturelle envers les vampires et autres bébêtes. Après tout, il aime bien sa vie en solitaire.