♔ Reese, 16 ans.

Voilà, au bout de quelques jours, neuf journées après la rentrée plus exactement, sa réputation était faîte. Elle était la garce du lycée, l'allumeuse, celle qui prenait les mecs des autres filles. Elle était celle qu'on insultait, lorsqu'elle passait dans un couloir, celle qu'on bousculait un peu, lorsqu'on était en groupe. C'était amusant pour ces autres filles de s'en prendre à cette frêle brunette qui ne disait pas grand-chose, excepté lorsqu'on allait la chercher dans ses derniers retranchements. Elle était étrange, très refermée sur elle-même. Elle avait une de ces douleurs dans le cœur, qu'on aperçoit du coin de l'œil, lorsque le masque tombe sous un coup porté trop fort. On la surnommait la Vipère. Ses remarques étaient aussi acide que du poison, elles étaient venimeuses, car elles recelaient toujours des vérités que les autres préféraient taire au reste du monde et qu'elle réussissait pourtant à dévoiler avec brio, sans aucun remord. Elle arrivait toujours à les toucher, à attaquer et blesser là où ça faisait mal. On la cherchait, on la trouvait. Reese, elle n'était pas vraiment comme ça. Non, c'était juste un rôle, celui de Viper, qu'elle interprétait toujours avec excellence.

♔ Reese, 17 ans.

Impulsive, fougueuse, incontrôlable.

Sa large paume s'abattit sur sa petite joue pâle et l'impact du coup la fit trembler, s'écrasant avec une violence brute contre sa pommette gauche. Ses genoux chancelèrent, puis cédèrent sous elle et elle s'effondra sur le carrelage glacial de la cuisine. La morsure du froid sur sa lèvre éclatée lui apposa une brûlure apaisante, qu'elle savoura le bref instant où il se désintéressa de sa petite personne. Puis, elle sentit des doigts fourrager ses cheveux et se refermer sur quelques-unes de ses mèches pour la tirer en arrière et, ainsi, la redresser. Des larmes silencieuses se mirent à poindre sous ses paupières fermées et elle se mordit sa joue non-abîmée pour retenir une plainte de douleur, qui n'aurait apporté que simple contentement à son bourreau. « Regarde-moi, Reese. ». Elle secoua la tête de droite à gauche, en signe de négation. Elle ne voulait pas le voir, lui et son visage bouffi, dont les traits plus doux avaient depuis longtemps été étouffés par le masque de cruauté qu'il portait en cet instant même. Elle ne voulait plus le voir, lui et ses yeux clairs, qui renvoyaient des éclairs de méchanceté et qui étaient pourtant si semblables aux siens. Elle ne voulait plus le voir, lui et son sourire de gagnant. Il détenait le pouvoir, il était le plus fort d'entre eux et elle détestait constater qu'il le savait. « Ouvre les yeux, petite idiote, et regarde-moi ! ». Le genou de l'homme vint se loger entre ses côtes en un choc violent qu'elle eut du mal à encaisser. Elle se plia en deux, le souffle coupé, les mains sur les genoux, mais il ne la laissa pas reprendre, la soulevant de nouveau avec sa poigne de fer implacable. « Fais ce que je te demande et tu n'auras pas de problèmes. Mets-toi à genoux. ». Reese ne bougea pas un cil, ce qui déclencha une nouvelle colère chez l'homme, qui appuya avec force sur ses épaules pour la faire ployer sous son poids. Ses genoux trouvèrent le sol et s'écrasèrent dessus avec une certaine force. Les larmes coulèrent sur ses joues marbrées d'ecchymoses, ses mains se mirent à trembler contre ses cuisses. « Tes mains. Derrière ton dos. Applique-toi. ». Tout en disant ces mots crus, l'homme déboutonna son pantalon et le baissa sur ses chevilles. Reese plaça lentement ses mains dans son dos et fit glisser deux de ses doigts dans sa poche arrière. Elle ferma les yeux, poussant un léger soupir de soulagement, lorsqu'elle sentit l'argent glacé contre sa peau. Elle glissa sur sa paume le ciseau métallique et approcha sa tête, comme pour amorcer le premier mouvement... avant de planter les lames doubles de son arme improvisée dans l'entrejambe de l'homme. Celui-ci hurla, plaquant ses mains contre la blessure, avant de donner un coup de pied devant lui, touchant Reese à l'épaule. Elle bascula en arrière, mais se reprit rapidement, se relevant pour placer une certaine distance entre elle et cet homme qui la répugnait tant. Elle ne voulait plus rester une seconde de plus en sa présence. Elle avait envie de vomir toute sa haine au visage de celui qui avait gâché son adolescence, elle avait envie de lui cracher son dégoût à la figure. Cependant, elle se contenta de lui lancer un dernier regard, lui jetant avec mépris « Plus jamais », avant de sortir en courant de la pièce.

Les hurlements résonnaient dans les couloirs, prenant écho dans les pièces de l'appartement, se fracassant en éclats de douleur contre les murs humides. Et elle les entendait comme si il avait été juste à ses côtés, ils résonnaient dans son crâne en une mélopée morbide et malfaisante. Elle claqua la porte de sa chambre derrière elle pour essayer de les empêcher de l'atteindre, sans succès. Elle se rua vers sa petite commode et ouvrit le premier tiroir, où elle fourragea un instant à la recherche de quelques affaires, qu'elle jeta ensuite négligemment dans son petit sac à dos noir, customisé avec des lettres de couleurs qu'elle avait elle-même maladroitement cousues et qui représentait le surnom qu'on lui donnait alors au lycée. Viper. Elle plaça rapidement quelques débardeurs, sweat-shirts, pantalons et sous-vêtements dans le bagage et songea qu'il était étrange de mettre ainsi toute sa vie dans un sac. C'était comme de trier les souvenirs d'une existence entière, avec une marge de choix très mince et un temps plus que limité. Que prendre avec soi ? Que laisser à cet être sans scrupule ? Ne pas s'embarrasser de bibelots, mais... Chaque chose ici lui était chère sentimentalement. Et elle ne pouvait tout emporter. Le temps lui était compté. Vite, prendre ce qui pourrait lui être utile dans son voyage. Et oublier le reste. Laisser toutes traces de son beau-père aux mains baladeuses et de sa mère alcoolique hors de sa vie, loin, très loin d'elle. Vite. Partir. Fuguer. Vivre.

♔ Reese, 20 ans.

Flamboyante, captivante.

Elle n'était rien d'autre qu'une vagabonde, perdue au milieu d'un paysage qu'elle ne reconnaissait pas, comme tous les autres coins qu'elle avait traversé. Des arbres marqués, zébrés de stries profondes, comme de vieilles cicatrices pleines de rancœur, ou des arbres creux et hauts, avec de longues racines noueuses, dans lesquels elle s'abritait par temps de pluie. Des nuages chargés et bas, comme de gros amas de poussières gris, ou un soleil chaud, qui la tuait à petit feu, qui lui faisait courber l'échine sous le poids de son regard brûlant. De l'herbe verte et fournie, accompagnée par de longs tapis de mousse confortable ou du sable mou, aux grains pervers et douloureux, de ce genre qui vous arrache la peau, si vous tombez à genoux. Une brise réconfortante, plus fraîche le soir, qui vous caresse avec la douceur d'un enfant, ou une atmosphère étouffante, sans air à avaler, qui vous accable. Enfant solitaire qui marchait sans but précis, avec le sentiment de n'avoir aucun chez soi, aucune havre de paix, aucun sanctuaire. Voilà deux des univers dans lesquels elle avait erré, deux endroits qui l'avaient marquée profondément, sans retour possible en arrière. Le premier, plutôt commun, avait été agréable, mais lui avait peu apporté. Elle avait rencontré quelques personnes, avait éteint ce désir bouleversant qui grondait en elle, depuis quelques jours déjà, puis elle s'était reposée au calme, n'écoutant que les murmures apaisants de la nature. Tandis que le deuxième... Eh bien, le désert lui été apparut comme un Enfer cuisant, où la chaleur du soleil apposait sa marque, aussi bien sur les maigres cactus de la région que sur elle. Elle se souvenait encore des plaques cramoisies qui étaient apparues sur sa peau, telles de larges ecchymoses rouges, ou comme des pétales de coquelicots s'étirant au soleil. Sur ses jambes, ses bras, ses joues et l'intense luminosité de ces journées brûlantes passées là-bas lui avait même donné l'impression d'avoir les paupières brûlées. Elle ne pouvait plus les fermer, à la fin de son voyage, tant ses yeux étaient gonflés et rougis par le soleil. Toutefois, c'était ce séjour qui avait été le plus instructif. Bien que le climat est été plus que difficile à supporter et endurer, c'était la morsure de la solitude qui l'avait ébranlée au-delà de toutes choses. L'absence des corps et de leur sensuelle chaleur humaine, de cette peau douce qu'elle aimait tant toucher... Effrayant, insupportable. Elle désirait autre chose que ce creux constant à l'âme.

C'était un humain tout ce qu'il y a de plus banal. Un brun, au regard assombri de désir, et aux fossettes délicieuses. Le truc de base dont on trouve le modèle assez souvent, ces derniers temps. Vous savez, vous sortez dans la rue, puis vous le trouvez. Comme ça, en deux minutes. Le genre qui ne se refuse rien, qui aime les relations d'une nuit, les discussions abrégées et les lits vides, au petit matin. Il était là, en dessous d'elle, ses jambes musclés ceints par ses cuisses à elle. Reese avait sa poitrine dénudée plaquée contre son torse et elle s'amusait avec le lobe de son oreille, jouant à tester ses limites, le mordillant pour stimuler ce bel être qu'elle surplombait et sur lequel sa chevelure retombait en cascade. Il avait une odeur divine, un goût tout aussi délectable et une peau dorée qui s'étirait en un plaisant tableau sur des muscles saillants. Elle voulait le toucher encore un peu plus, elle avait besoin de ça. Plus encore, elle avait besoin de sa chaleur intérieure, c'en devenait vital. C'était le premier homme qu'elle touchait aussi intimement, depuis son retour des Enfers. Et elle voulait retrouver cette chaleur ardente qui l'avait tant marquée. Elle désirait l'énergie de cet homme plus encore que son corps. À l'instant même où cette remarque fugitive avait traversé le chaos confus de ses pensées, elle s'était sentie enveloppée par une étrange sensation. Et pour la première fois de son existence humaine, Reese avait posé ses lèvres sur celles de l'inconnu, avec pour seul objectif d'aspirer sa chaleur en elle. Elle l'avait étreint avec vigueur et son cœur avait frémit en captant cette nouvelle énergie, qui l'avait assailli avec une force brute. Sa tête avait basculé en arrière et tous ses muscles s'étaient contractés, alors que ce trop-plein d'énergie débordait avec abondance de sa personne par le moyen du feu. Elle avait senti des picotements aux bouts de ses doigts et les battements dans sa poitrine s'était décuplés, accélérant leur cadence, imposant à son cœur un rythme infernal, qui promettait à l'organe recouvert de veines battantes une mort prématurée à la fin de ces tambours violents. Puis, elle avait soudainement vu des flammes recouvrir ses doigts, puis ses paumes et ses poignets. Le feu s'était mis à lécher sa peau, comme de larges langues orangées. Toutefois, Reese ne se souvenait pas avoir paniqué. Non, elle avait été fasciné de voir ces couleurs danser aux creux de ses mains, sans même la brûler. Elle se sentait, au contraire, parfaitement bien, comme elle ne l'avait pas été depuis longtemps. C'était l'exclamation de peur de l'homme et cette odeur âcre de chair brûlée qui l'avait sortit de sa torpeur. Elle s'était soulevée pour le laisser partir et il en avait profité pour la frapper à la tête. Ses yeux s'étaient fermées sur les images d'un torse recouvert de longues traînées noirâtres et d'un visage enragé plein de douleur. Puis, Reese avait basculé dans une demi-inconscience fiévreuse, des flammes dansant et s'entremêlant sous ses paupières mi-closes.

♔ Reese, 21 ans. 02H56.

Nuit douce, au ciel de velours, éclairée par ce bel astre lunaire, rond et brillant, au blanc laiteux. Brouillard suspendu à quelques pieds de l'herbe humide et fraîche, qui entrave les arbres et les pensées, qui les enferme dans une atmosphère ambiante pesante et sinistre. Vent glacial, de ce genre qui vous glace le cœur et l'âme, en s'insinuant sous votre peau. Ambiance froide, qui ne décourageait guère Reese. Elle venait d'absorber la chaleur d'une conquête anonyme, au visage devenu flou dans son esprit, alors elle ne ressentait que brièvement ces bourrasques assassines qui lui fouettaient les joues. Tout ce qui lui importait désormais était de trouver le sommeil, avant que le soleil ne perce l'obscurité à l'aube du matin. Toutefois, il n'était guère facile de se laisser bercer par Morphée, lorsqu'on décidait de prendre comme lit, les feuilles mortes de la lisière d'une forêt dense. Il lui semblait que rien ne lui était épargné. Elle entendait tout. Les moindres bruits, du plus bref des craquements de branche au plus sonore des hululements de chouette. Et même si elle n'était que peu intimidable, cela ne la laissait pas de marbre. Encore fugitive quatre années après son « agression », toujours en quête d'un endroit où elle se sentirait chez elle, les codes de vie et de tenue en société plongés dans l'oubli, devenue une sauvage farouche et débrouillarde, Reese avait dormi dans de nombreux endroits semblables à celui-ci, mais... C'était un sentiment de méfiance, une sorte d'alarme interne, comme un pressentiment. Il fallait qu'elle parte, maintenant. Si elle restait là, sombre petit idiote, repliée contre elle-même, sa vie changerait du tout au tout. Elle le sentait, c'était comme ça. Quelque chose qu'elle n'expliquait pas.

♔ Reese, 21 ans. 03H18.

C'était décidé. Sûr et certain. Confirmé. Reese n'avait aucun instinct de survie. Elle n'était pas une personne normalement constituée. Elle était juste une paumée, coincée entre deux identité. Celle de la fille brisée et celle de la garce qui se foutait pas mal du monde entier. Reese et Viper. Et mec, les deux se rejoignaient sur un point. Elles étaient complètement dingues. Si d'autres se seraient sauvés, essayant d'échapper à une mort qui leur était certaine, tentant de crayonner la suite de leur destin de merde... Elle, elle restait juste plantée là, devant cette superbe créature. Elle admirait ses muscles finement dessinés, qui étaient contractés sous un pelage tacheté de noirs. Elle fabulait sur cette gueule béante, qui promettait des coups de mâchoires violents et meurtriers. Ainsi que cette grâce avec laquelle il s'avançait lentement vers elle, tel un prédateur certain que sa proie ne lui échapperait pas. Ce jaguar était d'une terrible beauté. Et il allait surement mettre un point final à sa minable petite existence. Ou plutôt, à sa pathétique petite expérience. Car, ce qu'elle avait vécu ne pouvait être appelée « vie ». Si c'était le cas, Dieu avait un sacré sens de l'humour. Avant qu'elle ne puisse y réfléchir plus en profondeur, elle sentit les dents de l'animal s'enfoncer dans son bras, trouant sa chair, laissant le sang d'un rouge profond s'écouler hors de cette prison de viande. La souffrance que lui provoqua cette morsure brutale l'entraîna jusqu'au bord de la folie, avant de la faire chuter dans l'inconscience.

Elle n'était pas courageuse, ni téméraire, juste indifférente à toutes choses. Y compris à sa propre mort.

♔ Reese, 34 ans.

« Je trouve que c'est idiot de commencer une phrase par « cher journal », mais je n'ai pas vraiment d'idée. Je devrais peut-être dire un nom, ou un prénom. Un truc neutre. Parce que je n'écris même pas dans un journal. C'est juste mon vieil agenda, du temps où j'étais au lycée, que j'ai retrouvé il y a quelques jours en fouillant le sac à dos que j'avais emporté avec moi quand... quand je suis partie de chez moi, quand j'ai enfermé ma vie dans un unique bagage et que je me suis tirée de cette maison de barges. Alors, je ne sais pas trop... Peut-être devrais dire « mon cher vendredi », car j'écris à la page d'un vendredi. Mais, le problème, c'est que mes mots dépasseront sans doute cette page, et alors, je me retrouverais dans le samedi, ce qui ne concorderait plus vraiment. Vous me l'accordez, n'est-ce pas ? Bon... Disons alors, « mon très cher Teddy ». C'est un nom que quelqu'un a griffonné sur la couverture plastifiée de mon agenda avec un feutre noir, alors... peu importe qui est ce Teddy, c'est court et c'est tout ce qui me vient à l'esprit. En tout cas, Teddy, je vais te confier quelque chose d'inavouable, un secret qui n'a jamais vraiment franchi le cap de mes lèvres. Me faire mordre fut la meilleure chose qui pouvait m'arriver. Pour te dire à quel point ma vie était merdique quand j'ai rencontré Aspen dans cette forêt. À l'époque, je ne pensais à rien d'autre qu'à ma survie. J'étais vide, une véritable coquille creuse aux pensées errantes et peu captivantes, un cadavre en sursis, qui ne songeait qu'à l'instant présent et qui était comme exsangue de tous sentiments. Je crois que j'étais encore en état de choc, par rapport à ce qui s'est passé dans cet appartement. Toutes les nuits, je revoyais ces mêmes images, en boucle. Disque rayé où je me revoyais sans défense face à lui... où je revivais les coups qu'il me donnait avec toujours plus de violence et où je retrouvais cette peur, qu'un jour, il aille plus loin, qu'il en demande plus. Puis, c'est arrivé... Une fois. Je ne me rappelle plus très bien, heureusement. La pluie de coups de poings qui avait précédé m'avait endormie, et j'étais assez ankylosée pour que je ne sente plus aucune douleur dans le corps. C'est bien la seule chose pour laquelle je le remercie, d'ailleurs. Je me souviens juste de ma mère... elle était allongée dans notre petit canapé miteux et son bras pendait dans le vide, un verre entamé prolongeant sa main. Elle dormait, à deux pas de nous, alors que celui qu'elle avait prit pour compagnon s'acharnait sur moi. Je l'aimais. Je lui trouvais des excuses. Jusqu'à ce jour. Après, elle n'était plus rien, plus personne. Juste un déchet. Comme aujourd'hui, tout ça n'est plus rien. J'ai eu dix-sept ans pour me relever, cher Teddy, et Aspen m'a beaucoup aidée. À présent, je ne garde plus aucune rancœur en moi, plus aucune émotion vis à vis de cette histoire. Vis à vis de tout, en fait. C'est bien plus facile ainsi. Une fois la vanne des sentiments fermée, plus aucun problème ne peut nous tomber dessus et on goûte enfin à une certaine liberté. Et cette liberté, crois-moi, je m'en délecte avidement. Rien ne pourra jamais me la prendre. ».

♔ Reese, 54 ans.

« Aujourd'hui, Aspen est mort. »

♔ Reese, 60 ans.

« Que j'ai été naïve. Peut-être même un peu trop idéaliste. Je pensais que je vivais un rêve, que rien ne pourrait me faire sortir de cette confortable bulle de sécurité et de bonheur, et puis il y a eu la vie. Comme à chaque fois que ça merde. Oui, la vie qui m'a fait réaliser que tout ce que je pensais n'était que des conneries utopiques. Aspen était à la fois un père et un frère pour moi. Il m'a enseignée tout ce que j'avais besoin de savoir. Sur les jaguars, principalement. Il s'est aussi occupé de moi, m'a protégée et avait commencé à m'apprendre à me servir de ce don qui m'handicape tellement. Puis, un chasseur est arrivé, n'a eu aucune pitié et... Je ne peux plus continuer à écrire dans cet agenda minable. Mes mots sont tremblants, mes phrases vacillantes et plus personne n'est là pour tenir ce poignet qui écrit et qui se montre si faible. Les morts ne sont pas à plaindre, ce sont les survivants qui sont à pleurer. Plus rien à détruire, je recommence à zéro. ».

♔ Reese, 75 ans.

L'étoffe glisse sur sa peau en une tendre caresse, elle lui tombe des épaules et s'écrase sur le parquet en un doux chuchotis. Celle que tout le monde connaît sous le nom de Viper ici se laisse tomber sur le lit, qui l'accueille en épousant ses formes. L'homme la rejoint. Ses lèvres trouvent les siennes, son corps se heurte au sien. L'impact de sa peau brûlante, et presque fiévreuse, tressaille au contact de cette chair plus fraîche, qui vient de sortir de la pénombre pour se faufiler au Styx et trouver un peu de plaisir. La nuit ne fait que commencer. Reese n'est plus une femme, mais un objet de désir, qui se doit d'inspirer la sensualité et de transpirer l'envie de l'autre. Elle n'est plus qu'une comédienne qui a le devoir d'interpréter la passion, peu importe ses propres souhaits. C'est son métier. Elle fait ce pour quoi elle est apparemment douée, ce dans quoi elle n'aura aucune question à se poser. Puis, elle rentrera chez elle, lorsque les premières couleurs de l'aurore perceront la nuit et elle se laissera aller dans son lit, épuisée physiquement et éteinte psychologiquement. Comme elle le fait depuis maintenant quatre ans, tous les jours.