3 janvier 2009, Nouvelle-Orléans
❝ I'm learning to walk again ❞


On lui avait dit que c’était de la folie et qu’il allait mourir sous la poigne herculéenne de l’Ulfric. Mais Connor n’en avait cure. Un sourire effronté s’était fiché sur ses lèvres lorsque les autres loups l’avaient mis en garde et le lukoï s’était contenté de ne pas les écouter; sa position actuelle l’incommodait depuis un bon moment et ce n’était pas ces fillettes qui allaient détruire son courage à coup de mises en garde pathétiques. Certes, il avait bien changé depuis son arrivé. Fraîchement sortit de la meute de Seattle, qui l’avait chassé et presque tué parce qu’il s’était fait la Lupa de l’Ulfric, il avait été un loup plutôt apathique, solitaire et peu bavard. Un mystère sur patte, voilà ce qu’il avait été depuis son arrivée dans cette meute. Mais une louve avait brisé ce bouclier qu’il s’était forgé au fil du temps. Grâce a Alice, il s’était fixé un but: tuer l’Ulfric actuel et prendre sa place. Connor avait quand même beaucoup de respect pour lui, mais sa soif de pouvoir était forte.

Tout autour de lui, les lycans s’agitaient, impatients de voir le combat qui allait éclater sous peu. Connor était très calme et l’Ulfric en riait:

-T’es calme parce que t’es certain de ce que tu fais? Ou parce que tu sais déjà qu’avec ta carrure de crevette, tu as peu de chance.
-En fait, je m’imagine te déchiqueter la gorge. Ensuite, je me dis que je vendrais bien ta peau de loup...Mais remarque, avec ta gueule, tu ne dois pas valoir cher.

L’éclat de rire fut général et les lycans s’excitèrent davantage. Pourvu que cet idiot se défende bien, car le lycan avait assez de respect pour son adversaire pour lui souhaiter un combat digne de lui. Jamais le lukoï n’aurait cru en être là aujourd’hui...

2 août 1907, Dublin
❝ Don't let me down ❞


-Connor! Reviens ici tout de suite espèce de petit imbécile!

Le petit garçon s’enfonçait plus loin dans le champ de maïs, courant à perdre haleine vers l’immense chêne qui se dressait à quelques mètres. Son père hurlait encore depuis le balcon, probablement sous l’effet de ce liquide à l’odeur forte qu’il trimbalait dans une bouteille. À chaque fois qu’il le buvait, Connor perdait son père. Tel un lièvre apeuré, le petit garçon ne cessait donc de courir vers l’arbre, là où les branches tordues par l’âge pourraient lui offrir un abri contre la colère de son paternel. Arrivé devant l’imposant chêne, Connor grimpa dedans. Ce ne fut que lorsqu’il jugea qu’il était assez haut qu’il s’arrêta. S’accrochant au tronc, il fixait le manoir à travers la verdure, secoué de tremblements. L’enfant détestait lorsqu’il était comme ça, mais il savait que ce n’était que de passage. Demain, son père allait l’emmener prendre une glace ou lui acheter un jouet. C’était toujours ainsi après l’orage. Seulement, il avait l’impression que ça allait être différent...Connor finit par s’asseoir sur une branche, les jambes recroquevillées sur lui-même et le coeur bien gros. Son père lui avait dit qu’il allait l’amener dans un pensionnat, car maman ne pouvait plus lui donner de cours. C’était fini les lectures sous le feuillage verdoyant de ce chêne avec elle. Maintenant, elle était enfermée dans une boîte en bois, recouverte de terre. L’enfant essuya ses joues mouillées, ne comprenant pas pourquoi son père l’abandonnait lui aussi. Oh bien sûr il avait toujours eu peur de lui, mais il n’était pas méchant. La dernière fois, il lui avait offert d’autres petits soldats de plomb parce qu’il l’avait grondé très fort. En effet, Connor sentait encore la marque du coup sur sa mâchoire. Mais ensuite, il lui avait dit qu’il était un bon garçon et qu’il l’aimait beaucoup. Le petit s’accrochait désespérément à lui, mais ce soir, il venait de lui briser le coeur.

Petit à petit, la tristesse fit place à la rage. Il n’avait pas le droit de le laisser tomber! Il ne sut dire combien de temps il était là à ruminer sa colère, mais Connor descendit finalement de l’arbre pour se diriger vers la grange, là où son père gardait précieusement sa voiture. Il tenait beaucoup à elle, car peu de gens en avaient une. Elle reflétait sa richesse disait-il. Connor la détestait. En plus, elle faisait un bruit infernal. Il préférait de loin quand son père utilisait leur cheval lorsqu’ils allaient en ville. Le gamin poussa de toutes ses forces les lourdes portes de bois et un rictus mauvais se dessina sur ses lèvres lorsqu’il vit la voiture. Un plan mesquin se forma dans son esprit; il restait de la peinture, non? Il avait vu le jardinier avec des pots hier. Il partit donc à la recherche des pots, sans trop faire de vacarme. Lorsqu’il mit la main dessus, le garçon trempa le pinceau dedans et se hissa sur la marche du véhicule. Il décida de faire une trace hideuse sur les bancs de cuire. C’était la première fois qu’il défiait ainsi son autorité. Victorieux, Connor se bomba le torse de fierté et sortit de la grange: il venait de retrouver le sourire maintenant. Il n’avait pas peur des coups qui allaient pleuvoir sur lui demain. Peu importe, il allait retrouver les murs sombres et étroits d’un pensionnat à cause de son père.

24 octobre 1929, New York
❝ Money get back. I'm all right Jack and keep your hands off my stack ❞


Connor tenait entre ses mains les documents parsemés de zéros qui annonçaient la fin de l’entreprise Fitsch. L’économiste se souvenait de la chute monumentale des parts de son patron à la bourse. Monsieur Fitsch n’était malheureusement pas le seul dont la faillite était inévitable. C’était un véritable cauchemar et Connor sentait un poids immense sur sa poitrine; il allait perdre son boulot. Malgré son diplôme, il avait l’impression que la peine allait être grande pour pouvoir obtenir un autre poste dans une nouvelle compagnie, car toutes souffraient maintenant d’un déficit alarmant. Comment allait-il annoncer cela à Elizabeth? Elle avait toujours compté sur lui pour qu’il ramène de l’argent à la maison. Ils avaient trois enfants à nourrir et à faire instruire. Évidemment, il lui restait encore des billets dans son coffre fort à la banque, billets qu’il allait retirer dès ce soir. Il en avait assez pour survivre quelques semaines, mais s’il ne se trouvait pas autre chose d’ici là, il allait devoir vendre le peu de choses qu’il avait.

Planté devant la porte de son patron, il hésitait encore. Il se rappelait il y a 11 ans, alors qu’il immigrait aux États-Unis pour étudier à Harvard, quittant son ami de toujours Dimitri. Gagnant d’une bourse d’excellence au lycée le plus prestigieux de Dublin et séduit par le rêve américain, le jeune homme avait bien vite décidé que l’Irlande n’était plus pour lui. Un maigre sourire effleura ses lèvres; il enviait cet optimisme qui l’avait jadis habité. Aujourd’hui, le futur lui paraissait bien sombre. Après une grande respiration, il frappa et entra dans le bureau.

16 janvier 1934, New York
❝ Black clouds in my blue sky ❞


Il fixait le sang qui parsemait le carrelage, serpillère à la main. Une émotion insupportable lui coinçait la gorge; sa femme et ses enfants gisaient à la morgue, une balle dans la tête. Il revenait du travail et c’est en poussant la porte de la cuisine qu’il avait vu Elizabeth baignant dans une flaque de sang. Ses enfants étaient dans le salon, leur corps frêle ensanglanté. C’est en essayant d’appeler les secours qu’il avait vu que l’on avait coupé la ligne téléphonique. Connor s’était ensuite rué à l’extérieur en hurlant à l’aide. Quelques minutes plus tard, des policiers avaient envahi la maison et prenaient des photos, pendant que le commissaire lui posait des questions. Aujourd’hui, ils en avaient fini de récolter des preuves. C’est machinalement, en essayant de contrôler les tremblements qui le secouaient et le torrent qui menaçait de couler de ses yeux, qu’il commença à enlever toutes traces des meurtres. Sur le carrelage, les panneaux d’armoire, la table, la bibliothèque du salon...Il récura rageusement, jusqu’à ce qu’il tombe sur l’ourson en peluche de son plus jeune, Benjamin. Connor laissa tomba la serpillère pour prendre l’ourson: quelques gouttes de sang parsemaient le jouet. L’homme d’affaires n’y tint plus et il serra la peluche contre lui en pleurant comme un forcené. Tout allait aller pour le mieux maintenant, c’était ce qu’il avait répété à sa femme pendant des mois, alors qu’il rentrait de l’usine où il travaillait. Il avait ensuite hérité de l’argent de son père et grâce à elle, il avait pu réaliser son rêve: avoir sa propre compagnie. Il avait racheté une compagnie en faillite et les billets s’étaient mis à tomber du ciel. Sa femme et lui avaient même prévu un voyage en France avec les enfants. C’était magique et Connor ne s’était jamais senti heureux depuis des années. Mais c’était terminé tout cela; quelqu’un s’en était pris à son épouse et à ses enfants, pour une raison qui lui échappait. Debout au milieu du salon et serrant toujours la peluche contre son coeur, il se calma petit à petit. Bientôt, la colère emplit ses prunelles.

3 janvier 2009, Nouvelle-Orléans
❝ I never wanna die, I'm dancing on my grave ❞


Le combat était brutal; grognements, cris et coups de crocs déchiraient le silence de la nuit. La lune, haute dans le ciel, éclairait les deux silhouettes lupines qui s’entrechoquaient violemment. L’issue du combat étant incertaine, les loups gardaient un silence plein de tension. Connor ne s’était jamais battu aussi fougueusement. Chaque coup qu’il donnait était le fruit d’une colère longtemps refoulée. Il entendait encore les rires de ses enfants et sentait toujours le parfum de sa femme, comme s’ils étaient toujours là. Il avait quitté New-York, espérant laisser sa douleur mourir avec les souvenirs qu’il gardait de sa vie passée, mais elle l’avait suivi, peu importe les pays ou les continents qu’il avait faits. Connor s’était simplement accoutumé à elle, en s’immergeant dans le travail et en agrandissant toujours plus sa compagnie devenue maintenant multinationale. Certes, s’il risquait sa vie aujourd’hui, c’était en partie à cause de Charlotte, louve qu’il aimait plus que ce qu’il ne voulait se l’avouer, mais son passée ne l’avait jamais vraiment quitté. Alors, puisant dans toute sa rage et sa force, Connor attrapa la gorge de l’Ulfric et avec ses crocs lui trancha la jugulaire. La carcasse du loup s’écroula ensuite près de lui, vide de son sang.

8 septembre 1935, Seatle
❝ Set me free again ❞


Connor n’écoutait même plus les explications d’un de ses associer, perdu dans un tourbillon de pensées malsaines. Une envie folle de s’attaquer à ses employés et à ses associés l’avait démangé toute la journée. Mordre leur chair, faire craquer leur os sous ses dents et les faire saigner, c’était tout ce qui lui passait par la tête. Il prit bientôt la décision de foutre le camp avant de commettre un génocide. Il s’excusa auprès de tous et sortit de la pièce. Il avait la mine pâle et tremblait, comme depuis plusieurs jours. Hier, il c’était dit qu’il couvait peut-être quelque chose, mais lorsque la nuit fut tombée et que la lune s’était montrée, Connor avait cru qu’on l’avait jeté en enfer. La douleur qui lui avait parcouru le corps avait été atroce. Il avait eu l’impression que toutes ses chairs se déchiraient et des grognements inhumains n’avaient cessé de sortir de sa gorge. Lorsque sa transformation fut complète, le hurlement que Connor avait poussé fut tel qu’il avait dû réveiller une bonne partie du voisinage. Désorienté, Connor s’était heurté à tout le mobilier de la chambre. Inaccoutumé à cette nouvelle motricité de quadrupède et à cette vision plus perçante, l’homme d’affaires avait littéralement paniqué, mais s’est après quelques minutes qu’il était parvenu à se calmer, lorsqu’il croisa sa propre image dans une glace. Enfin, calmer était un faible mot ; il avait plutôt figé et grogné en voyant l’énorme loup. Connor avait ensuite reculé, tout aussi désorienté qu’au début. Son goût exacerbé pour le sang s’était fait plus violent et il n’avait pas pu résister à la tentation de sortir de sa chambre d’hôtel, atroce cage qui l’empêchait d’assouvir ses pulsions de meurtre. Fuir loin et se cacher, voilà ce qu’il avait pensé faire, mais son chemin avait croisé la meute de Seatle hier soir. Le lycan qui l’avait mordu après leur bagarre à la sortie d’un bar était là, entouré de plusieurs autres hommes aussi costauds que lui.

12 décembre 2011, Nouvelle-Orléans
❝ Don't say it's the end of the road ❞


-Va-t-en, trancha Connor.

La Lupa le toisa avec effroi, ne sachant que faire devant l’inflexibilité de son loup. Elle avait fait quelque chose de grave et le remords venait lui coincer la gorge, mais cette phrase...C’était comme si son Ulfric venait de lui transpercer le ventre avec une lame chauffé à blanc et rien dans ses yeux ne lui faisait croire qu’il divaguait. Les deux loups qui surveillaient le manoir étaient là, leur regard de glace planté sur sa silhouette tremblante. Peu à peu, la Lupa leva la tête, outrée.

-Après tout ce que j’ai fait pour toi Connor, tu oses me jeter comme une de tes vulgaires maîtresses! Oh oui. Je le sais très bien Connor. Je ne suis pas dupe. Tu as sans doute de nombreuses candidates à l’heure actuelle qui se feront un plaisir de me remplacer.

L’Ulfric lui attrapa aussitôt la mâchoire, courroucé qu’elle ose le défier de la sorte. S’il était de nature violente, jamais il n’avait levé la main sur elle et malgré la colère qui l’animait, ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait commencer. Connor ne l’engueulait pas, mais sont ton se faisait cinglant, blessant toujours plus la louve coupable:

-Et toi, comment as-tu osé me trahir après tout ce que je t’ai donné? Et crois-moi, elles ne valent pas ce que tu es à mes yeux, mais ce que tu as fait est impardonnable. Une Lupa digne de ce nom ne joue pas dans le dos de son Ulfric en s’octroyant des pouvoirs qu’elle n’a pas. Les loups ne font pas affaire avec les vampires et tu le sais très bien. À cause de toi, ma meute a failli y passer.

Il la lâcha et attrapa la valise qu’il avait préparée pour elle pour la mettre rageusement dans ses bras. Il fouilla aussi dans son porte-feuille pour lui balancer un paquet de billets à la figure.

-Bonne chance Charlotte et si je te revois ici, je te fais coffrer!

L’ex Lupa versait des larmes en silence, même si elle tremblait d’indignation. Quant à Connor, il n’avait aucune pitié en ce moment. La douleur viendra plus tard, lorsqu’il regrettera de s’être montré si dure avec une femme qui lui avait réappris à aimer et à vivre. Peu à peu, l’irritation se dissipa sur les traits de Charlotte et entre un sanglot, elle l’envoya paître, blessée par cet odieux mensonge qu’il osait dire sur elle :

-Je suis prête à subir tes foudres pour cette trahison avec les vampires, mais sache que je t’ai toujours aimé, même si toi tu semblais t’en ficher. Va te faire foutre Connor.

Elle prit la valise et embarqua dans le taxi que l’Ulfric avait appelé pour elle quelques minutes plus tôt. Elle posa une main sur son ventre et éclata en sanglots. Comment allait-elle faire maintenant? Elle était censée attendre un enfant et le père venait de la bannir. Oh certes, elle risquait de le perdre, mais de savoir qu’elle allait être complètement seule lui faisait très mal. Elle qui avait tout donné pour lui. La louve aurait dû s’y attendre puisqu’elle avait remarqué qu’elle perdait peu à peu de l’intérêt aux yeux de son Ulfric.

-Où est-ce que je vous amène? Demanda le chauffeur de taxi.
-Je ne sais pas. À la gare, réussit-elle à articuler.

Pendant ce temps, Connor regarda le taxi s’éloigner et peu à peu, sa frustration se dissipa. Il ravala difficilement sa salive, à deux doigts de la rappeler pour s’excuser. Au lieu de ça, il claqua la porte et balança son téléphone sur le mur.

28 mai 2012, Nouvelle-Orléans
❝ You make me feel like I am home again ❞


L’Ulfric tapait sur son ordinateur depuis plusieurs heures; il avait une tonne de papiers à remplir, car il avait pris un retard monstre. Hier, il avait préféré prendre un verre avec Dimitri au lieu de bosser. Enfin, plusieurs verres plutôt et la soirée s’était terminée très tard. La fatigue commençait tout de même à le gagner, même si l’heure n’était pas tardive. Il décida de prendre une pause et d’aller se faire un café. Assise sur la véranda, Alisha lisait le bouquin qu’il lui avait ramené de Londres lors d’un voyage d’affaires. Tout près, Dhanya envoyait des sms sur son mobile, gracieuseté de son père qui en avait eu foutrement marre de l’entendre lui casser les oreilles avec ça. La scène lui arracha un sourire; même si elles lui faisaient parfois perdre patience, il savait qu’il ne pourrait jamais les haïr. Elles l’avaient sauvé d’un naufrage certain après le bannissement de l’ancienne Lupa. Mais maintenant, l’alpha s’en était sorti comme un chef. Même si sa vie passée ne le hantait plus, il lui arrivait de voir Elizabeth assise ainsi et ses trois enfants jouer ensemble. Ou encore Charlotte, qu’il ne savait où depuis son bannissement, qui se faisait griller au soleil dans la cour. Mais Connor n’avait plus mal, car le temps avait fait son oeuvre. Le sourire de l’Ulfric s’agrandit: non il ne souffrait plus, car tout allait pour le mieux.