Musique, sang et sexe se mêlaient dans une décadence des plus délectable sous le regard scrutateur de Coraline Rothschild. Perchée en haut du grand balcon au deuxième étage de son manoir (simple résidence secondaire réservée spécialement pour des occasions comme celle-ci), bien enclavée dans sa petite robe de soie noir et son corset rouge, serré comme seule une femme ayant connu les robes victoriennes pouvait le faire, la blonde observait "ses filles" à l'œuvre. Déjà de sa vie humaine, dont elle ne gardait que quelques souvenirs, sa famille était réputée pour leurs mœurs peu appréciées et leurs fêtes complètement débauchées. Le moins qu'on puisse dire c'était que, 450 ans plus tard, la vampire faisait honneur à leur réputation. Tout suceur de sang digne de ce nom mourrait d'envie d'être convié à une des célèbres fêtes qu'organisait Coraline. Elle était après tout à la tête de la plus grande et plus prestigieuse "agence" de call-girl pour vampires qui soit. Et ne faites pas l'erreur de penser qu'elle tient un bordel, ce n'est pas le cas. Bite Me fonctionne plus comme une agence de casting qu'autre chose: les clients appellent et donnent leurs préférences, et Cora se charge de leur envoyer une fille appropriée. Les filles de Cora, les Two-Bites comme on les appelait, n'étaient pas simplement choisies pour leur apparence ou leurs "talents", mais elles étaient aussi toutes plus délicieuses que les autres. Et variées. O-, AB+... Il y en avait pour tous les goûts, littéralement.

Un petit sourire fier se glissa sur les lèvres de l'hôtesse de la soirée. Pas un seul convive ne semblait s'ennuyer ce soir. Il fallait dire qu'elle avait très bien choisi ses "amuseuses" pour la soirée. Satisfaite de la tournure des événements, elle se décida finalement à retourner à l'intérieur. Elle sursauta quand elle trouva Candice, sa petite préférée, sur son chemin. La blonde avait été trop absorbée par sa supervision pour remarquer l'arrivée de l'humaine. Mains sur les hanches et vêtue uniquement de son petit déshabillé de mousseline noir (le favori de Coraline, et elle le savait), la Two-Bites souriait à sa patronne.

«Pauvre Miss C. Vous avez l'air de vous embêter.» minauda-t-elle en prenant quelques petits pas vers la blonde, ses hanches prises d'un balancement presque hypnotisant. Candice prenait rarement part aux différents contrats et petites fiestas pour la simple et bonne raison que la patronne préférait la garder pour elle. Ce n'était pas de l'amour, non. Coraline ne ressentait pas d'amour. Le seul "amour" qu'elle se souvenait avoir ressenti était pour sa créatrice. C'était plutôt de la possessivité. Elle préférait que personne ne touche à Candice, mais ne lèverait probablement pas plus que le petit doigt s'il venait à lui arriver quelque chose. Candice, elle, savait bien que Miss C. avait la réputation de se lasser bien vite et que son temps en tant que favorite était probablement compté, alors elle en profitait.

«As-tu une solution à me proposer, Candice?» répondit la blonde en passant lentement sa main dans la tignasse noire de la jeune femme, l'amenant à l'intérieur du manoir à sa suite. L'humaine, se sentant un peu aventureuse fit quelque chose qu'elle n'avait jamais vraiment osée faire et posa ses lèvres dans le cou de sa patronne, ce qui eut un effet plutôt surprenant sur la vampire. Dans une espèce de grand frisson, l'esprit de Coraline fit un énorme saut en arrière. Il y avait quelque chose dans les "soins" que lui prodiguait sa protégée qui lui rappelait soudainement le dernier soir de son humanité.

Combien de temps c'était écoulé depuis la dernière fois qu'elle avait été ressasser ce passé un peu flou et vaguement ennuyant qu'était celui de Coraline Rothschild? Elle ne se souvenait presque aucunement des années passées avec son mari pour la simple et bonne raison que rien ne s'était passé durant cette période. Elle avait dût se plier à ce mariage forcé parce qu'elle savait pertinemment que personne d'autre ne voudrait se lier à une famille aussi marginale. Chez les Rothschild, de toute façon, personne n'avait vraiment accepté et adopté l'époux qu'ils jugeaient peu assez libertin, trop embêtant. Sa mort signifiait donc surtout le retour de la liberté de Coraline, chose que les Rothschilds restants s'empressèrent de célébrer par une soirée de décadence et de débauche comme eux seuls avaient le secret. C'est ce soir là aussi que, sans un mot, une "distante parente" française en visite, Léontine, avait prise la nouvelle veuve par la main et l'avait entraîné dans une chambre inoccupée afin de bien célébrer ce retour à sa vie de libertine.

Elle se rappelait aussi vivement la douleur mêlée à l'excitation qui l'avait submergée quand la française avait plantée ses crocs dans le cou, puis l'artère fémorale de la blonde. Puis, le néant le plus complet... jusqu'à ce qu'elle se réveille le lendemain avec cette horrible soif d'hémoglobine.

Coraline ferma les yeux, essayant de se concentrer sur les caresses de Candice plutôt que ses souvenirs. Pourquoi est-ce que soudainement elle se remettait à penser à Léontine? Il était vrai qu'elle et sa créatrice avaient un lien très étroit, mais Léontine n'était plus. Ça devait bien faire près d'une centaine d'année au moins maintenant. Alors pourquoi ressasser le passé, soudainement? La petite humaine avait dût sentir que la patronne n'était pas entièrement avec elle car elle finit par arrêter ses caresses et lever la tête, sourcils arqués.

«Est-ce qu'il y a une problème, Miss C.? Est-ce que je vous ennuie?» La voix de Candice réussit à tirer Coraline de ses souvenirs et la ramener sur terre.

Sans prévenir, avec sa vitesse vampirique, la blonde décida que le seul moyen de se changer les idées complètement était de s'intoxiquer du délicieux arôme d'agrumes métallique qu'avait le sang de sa protégée et la plaqua férocement contre un mur avant de planter ses crocs dans le cou de la jeune femme. Elle s'abreuva jusqu'à ce qu'elle sente le pouls de Candice ralentir, signe qu'il fallait arrêter si elle ne voulait pas carrément tuer la pauvre petite. Machinalement, elle porta son propre poignet à sa bouche et donna à la call-girl juste assez de son propre sang pour qu'elle se rétablisse rapidement avant de retourner à son poste d'observation sur le balcon. Le ciel commençait déjà à s'éclaircir. Elle pouvait déjà sentir le jour approcher.

«Candice, va prévenir nos invités que le soleil arrive.» commenda-t-elle, froidement. La Two-Bites s'exécuta sans piper mot. Lentement, les invités et les filles se retirèrent: les vampires dans leur cercueils d'agréments préparés dans la cave du manoir et les filles dans leurs chambres. Quand Coraline elle-même s'étendit dans son propre cercueil, elle ne put s'empêcher de penser déjà à la prochaine soirée. Peut-être qu'une thématique pourrait bien cette fois-là.