« Un, deux trois, soleil ! » Puis quoi encore ?! Lorsque ma grande soeur se retourne, je continue de courir comme si ma vie en dépendait. « Soleil, An'nie, soleil ! » Impuissante face à ma détermination enfantine, elle souffle et tape du pied pour montrer son désaccord, ce qui me fait rire malgré moi. Amber a tendance à grimacer lorsqu'elle s’énerve. Ses yeux se plissent sans même qu'elle s'en rende compte et, elle se pince la lèvre inférieur avec les dents, comme si cela pouvait l'aider à calmer ses nerfs. Facile de constater qu'elle est en rogne donc. Contrairement à moi, ma soeur a toujours pu extérioriser ce qu'elle ressent sans avoir peur de faire du mal au tour d'elle, sans voir les choses exploser ou se figer à tout va. C'est une chose que j'ai appris à lui envier avec le temps, je dois bien l'avouer. Lui rentrant dedans, je tends le bras bien fort pour toucher le mur auquel elle tourne le dos. Elle me prends tendrement dans ses bras, essayant -en vain- de m’empêcher de le faire. « Touché ! » « Paaapaaa ! Ocean a encore triché… » Oui, c'était le bon vieux temps...

Toutes deux nées dans une famille aux valeurs simples mais, valeureuses, je mentirais si je disais que j'ai été malheureuse dans mon enfance. Vous me direz surement qu'à 14 ans, on est encore une enfant mais, je sais de quoi je parle. J'ai beau être jeune, j'ai l'impression de porter tout le poids du monde sur mes épaules et, aujourd'hui même, je m'efforce de ne pas montrer à ceux qui m’entourent la souffrance qui rythme mon coeur. Amber et moi même avons toujours eu l'amour et la tendresse dont nous avions besoin pour être heureuses. Nos parents se sont démenés becs et ongles pour que rien nous arrive, pour qu'on se sente en sécurité et, voilà à quoi cela les a mené : la mort pure et attroce. J'ai beau sourire, dire que ça va bien, mon coeur crie fort dans la poitrine chaque fois que l'on me dit "t'inquiètes pas, avec le temps ça ira mieux". Non, ça n'ira pas mieux, non, ils ne seront pas fiers de moi, ils ne sont plus là ! Et j'apprends juste à vivre avec, main dans la main avec ma grande soeur, celle en qui j'ai une confiance folle et aveugle, celle que je suivrais même au bout du monde. Elle essaye désespérément de veiller sur moi depuis qu'elle est venu me chercher à l'école, un air sérieux sur le visage. Elle essaye de me faire croire qu'elle gère la situation mais, je sais parfaitement qu'elle panique autant que moi. Je ne peux m’empêcher le regretter le passé et nos parents morts au combat, disons simplement qu'elle est plus douée que moi pour ne pas le montrer, pour dissimuler au monde entier ce qui la fait souffrir et, quelque part, elle n'a pas tord. Nous devons être fortes, fortes pour eux. Ils se sont battus pour nous et, nous nous battrons pour eux, pour l'avenir qu'ils espéraient nous offrir, pour celui qu'ils ne verront pas. Doucement mais, surement, nous grandiront plus fortes que jamais, avec ou sans eux, nous n'avons plus le choix de toutes manières. Vous voyez ? J'ai peut-être 14 ans mais, je ne suis pas naïve. Je suis consciente que le père noël n'existe pas, qu'il n'y a pas de petite souris qui vient pour échanger nos dents contre des sous et, qu'il y a des gens qui ne sont pas fréquentables par les temps qui courent. Certains pensent que la Révélation nous a rendu notre liberté mais, moi, je pense surtout qu'elle nous a rendu plus vulnérables que jamais...

Oui, c'est une chose sur laquelle nous sommes d'accord Amber et moi : la magie nous rend aussi fortes que vulnérables face au monde qui nous entoure. C'est vrai quoi ?! Comment savoir qui nous comprendra, qui ne va pas nous juger selon nos dons et cie ? Nous sommes nées dans cette ambiance certes, nous nous y sommes habituées tout comme on s'habitue à allumer la télévision en rentrant du boulot mais, comment savoir si notre monde tiendra debout face à toute une armée de peureux, de personnes qui ne nous comprennent pas ? Moi, je préfère ne pas y penser, laisser cette tâche à ma grande soeur. Elle a toujours été plus forte que moi de toutes manières. Ce n'est pas pour rien que la voir aussi fragile me bouleverse depuis que maman et papa ne sont plus là. Elle essaye de me cacher sa peine mais, je ne la connais que trop bien. Se mordillant la lèvre inférieur, elle me fixe un peu trop longtemps quelques fois. Papa disait que j'étais le portrait craché de maman, ce qui la rendait fière et souriante. Lorsque je vois les yeux brillants de ma grande soeur aujourd'hui, je me dis que peut-être était-ce vrai ce qu'il disait finalement...

Ils me manquent. J'aurais aimé leur dire ce que je ne leur ai jamais dit : que le parfum de maman était enivrant de tendresse, que les blagounettes de papa ne volaient pas très haut mais, restaient drôles quand même. Oui, ils me manquent. Leur simple présence, leurs bras réconfortants, leurs voix me manquent donc, je me raccroche à ma soeur comme je ne l'ai jamais fait. Nos disputes me paraissent moins graves, nos coups de gueules pathétiques. Toutefois, elle a beau me mettre en garde envers ceux qui nous ont "sauvées", je n'arrive pas à voir les choses de la même façon qu'elle les voit. Ils ont été là pour nous recueillir, ils nous hébergent sous leur toit et, merlin sait qu'ils n'y étaient pas obligés. Sans eux, nous n'aurions plus rien et, je leur suis reconnaissante. Amber pourra me répéter autant de fois qu'elle voudra qu'ils sont louches, qu'il faut se méfier, je n'y peux rien, je commence à m'y attacher. Oui, contrairement à la méfiance innée de ma soeur, je dois admettre qu'il m'arrive d'être naive et très optimiste vis à vis des personnes que je coutois. " Pourquoi nous voudraient-ils du mal ? " " Et, pourquoi pas ? " Parce qu'Asher essaye tant bien que mal de nous redonner le sourire, que Tess nous tend ses bras chaque fois que ça va mal, qu'ils me redonnent de l'espoir. Parce que, dans ce monde de fous, j'ai l'impression qu'ils sont les seuls qui puissent nous comprendre, pour l'instant...