Je suis adorable, on me donnerait le bon dieu sans confession, il ne me manque plus que l'auréole pour vous prouver que je suis un ange descendu sur terre. Des cheveux blonds et lisses, des yeux bleu marine, une peau pâle... Assez grand (1m88), plutôt mince même si j'ai les épaules larges comme la plupart des hommes, ma silhouette est celle d'un mâle dans ses premières années de l'âge adulte. C'est étrange, mais je vieillis peu ou, plus prosaïquement, je vieillis bien, on a du mal à me donner mon nombre d'années exact.
Ce physique angélique - ou de Ken à Barbie, tout dépend des points de vue - me sert et me dessert tout à la fois. J'ai appris à passer pour plus gentil que je ne le suis et je renforce cette impression en m'habillant comme le gentil gendre idéal. Malheureusement, devant les cours, il est un désavantage: je dois alors me montrer deux fois plus rigoureux que les autres... avec un langage particulièrement soutenu, entre autres, et des vêtements particulièrement bien coupés.
Et surtout, surtout... je ne dois pas laisser voir mes scarifications. J'adore ça, vous savez. J'ai ces cicatrices esthétiques un peu partout sur le corps: sur les avant-bras, sur le dos, sur la cuisse droite. Malheureusement, elles me forcent à éviter les manches courtes, été comme hiver. Un procureur scarifié, ça ne fait pas très sérieux...
Ces deux facettes de ma personnalité transparaissent dans mon vocabulaire: j'utilise sans vergogne des mots vulgaires quand j'en ai envie. La vulgarité, je trouve ça très sexy.

J'ai toujours été le vilain petit canard de ma famille bien pensante. Depuis enfant, je suis attiré par la mort et le morbide. Les déchéances physiques, psychologiques, morales, dues à la vieillesse et à la maladie, ça me 'parle'. Je ne les provoque pas - nécessairement - mais je les observe avec plaisir et je me vautre avec bonheur dans les milieux où je peux les observer - la criminalité fédérale et les cimetières, c'est pas mal pour ça...
Plus sérieusement, ma famille a tenté de m'inculquer les valeurs d'un type normal d'une famille normale de sorciers normaux. Et elle y est parvenue. Je suis persuadé qu'il faut être bon, positif et souriant. Le problème, c'est que je n'y arrive pas. J'ai toujours en moi cette dualité entre mes pulsions 'originelles' et ma bienséante conscience. Je suis... un arbre tordu qui rêve de suivre le tuteur tout droit que le jardinier a planté à coté de lui.
Pourtant, pourtant... si vous me rencontrez dans la rue ou dans le cadre de mon travail, vous ne verrez qu'un procureur bien sur sa personne et modèle américain quasi stéréotypé. J'évoquerai en vous les mots raffinement, sociabilité, pro activité, professionnalisme et autres conneries du genre que notre vingt-et-unième siècle veut nous faire gober. J'ai appris à m'adapter. Je vous ai observés pendant des années, vous enviant, vous singeant pour pouvoir vous ressembler. Je vous observe encore, parce que le moindre faux pas de ma part et patatras, tout s'écroule, tout mon univers de faux semblants et de vraies saloperies.
Suis-je malheureux à faire semblant? Pas du tout. Je rêve de devenir bon, et ressembler à quelqu'un de bon, c'est déjà un premier pas dans la bonne direction. L'habit fait le moine. De toute façon, le sentiment de culpabilité, quelque part, je l'aime. Et le jour où je serai bon, je me sentirai encore plus coupable.
A part ça... j'adore l'art, je suis assez doué en peinture et au piano. La taxidermie et la momification sont, pour moi, des arts charnels. Tout comme la vulgarité qui bien dosée, bien faite, est très sensuelle. En ce qui me concerne, je suis mauvais en vulgarité, ça ne me vient pas spontanément. Alors je me contente de quelques pointes de vulgarité, de temps à autres. Ne pas forcer...
Je suis aussi très sensible, mais d'une autre sensibilité, je suis vite blessé. Je ne réagis pas toujours de la même façon que la norme, voilà tout. Pour moi, les autres n'existent en tant que personnes de valeur que s'ils ont réussi à se démarquer. Mais quand je me suis attaché à quelqu'un, j'ai tellement peur de le perdre, que je veux toujours le ou la tuer. Je suis nécromancien, tuer les gens me permet de les garder près de moi jusqu'à la fin de mes jours. C'est logique, non? Mais tuer veut aussi dire ne plus les voir agir par eux-mêmes. Je suis souvent tiraillé quand j'aime quelqu'un. Tuer ou observer?

Le verre est lisse et froid. La nuit, le verre est un miroir ennuyeux. Il m’empêche de voir le jardin, il ne me montre que moi. Mes yeux bleus, mes cheveux blonds… Père crie. Il crie toujours. Je lui ressemble, pourtant. Avec moi, il est certain que mère ne l’a pas trompé. Pas comme ma grande sœur qui ressemble à notre ancien majordome. Je devrais me cacher ?

La porte. Claque. Trop tard, père est là. Toujours bien habillé, toujours ‘bien sapé’, selon grande sœur. Il gueule, encore. Il a un nouveau costume. Le regarder dans les yeux ? Pourquoi pas… qu’est-ce que ça changera ? On a presque la même taille, lui et moi. J’ai vite grandi, oui, j’ai seize ans. Non, c’est pas ma faute si rien ne va avec mère. Une famille de sorciers… j’y peux rien si grand-père était nécromancien et que je suis comme lui.

La baffe, comme d’habitude. Je n’ai dit que la vérité, tu sais. Tu dis que tu nous aimes. Mais est-ce vrai ?

Il est parti, moi aussi. Lui dans son boudoir pour travailler sur ses dossiers de juge, moi dehors, parce que le froid de la nuit apaise ma joue brûlante encore sous la sensation de la main de mon père. Je ne sais pas où je dois aller. Je ne sais pas s’ils m’aiment ou pas, et moi, je les aime ? C’est quoi ça ? Ah oui, le cimetière. Mes pas me mènent toujours là quand je me sens triste.

Salut, bonsoir, ouais… bonjour pour vous… Je me demande ce que ça vous fait, à vous, de ne pas être vus par les autres ? Habitués ? Oui mais… Non, je ne vais pas bien. Non, je ne suis pas heureux. J’aimerais que… Faites-le, pour moi. Maintenant, tout de suite. S’il-vous-plaît ou pas, j’en ai besoin, parce que… je suis fatigué.

Je ne savais pas qu’on avait autant d’ancêtres enterrés à Saint-Louis. Tous sorciers, apparemment. Là, grand-mère me caresse la joue. Oui, grand-mère, je suis très doué en nécromancie. Comme grand-père. Tu es fière ? Père et mère ne sont pas d’accord avec toi… Les morts sont toujours sympas avec moi. Il y a des morts antipathiques, peut-être, mais je n’en ai pas encore rencontrés. Alors… je voudrais que… Père et mère meurent. Ma grande sœur ? Oui, aussi, pour la garder auprès de moi.

Merci. Je dois remercier mes ancêtres sorciers. Ils ont tué ma famille. Depuis, je suis heureux et eux aussi. Et elles, elles sont belles. Leurs peaux sont douces, leurs visages toujours souriants désormais. Caresser les cheveux de ma mère et de ma sœur, c’est ma façon de les remercier pour m’avoir si bien fait l’amour dans la grande chambre de notre villa.

Grande sœur regarde mes bras qui la bercent. Ses doigts grattent légèrement mes cicatrices. Aie. Attention, ce n’est pas encore cicatrisé. La scarification prend plusieurs jours… J’ai fait ça parce que… demain, je pars à New York pour étudier le droit. Je voulais marquer ce jour. Quand je reviendrai, je serai diplômé et je suivrai les traces de père qui était juge.

J’y arriverai.

Je dépasserai père. Mon costume est-il bien coupé ? Oui. Sourire. Comme ça ? Non, trop forcé. Comme ça ? Oui, parfait. Serrer les mains, parler, converser… que de gens. Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde pour ma nomination de procureur fédéral. Le champagne est légèrement amer, les bulles agréables… mais je ne comprends pas pourquoi les gens aiment tant ces soirées. Je l’ai organisée, mais je le devais. Je ne sais pas s’ils aiment vraiment, ils viennent pour socialiser mais leurs sourires sont-ils vrais ou faux comme le mien ? Soyez gentils, ne vous éternisez pas trop.

Bonjour, Monsieur le Juge. Nous serons amenés à souvent travailler ensemble, je le confirme. Rire légèrement. Je suis jeune pour ce poste ? Evidemment… mais avoir avec soi les esprits de quelques procureurs morts est toujours un avantage. Et comment va votre fille, Monsieur le Juge ? J’espère pour elle qu’elle n’a pas votre faciès porcin… Ca, je pense qu’il vaut mieux que je le garde pour moi. Le Juge brille légèrement, surtout sur le nez. La température de ma nouvelle villa à Saint-Louis n’est pas facile à gérer. Je ferai remplacer la climatisation demain.

Ah, ça coule. Je ne suis pas habitué à cette table. Je suis un peu fatigué, aussi. Cette réception m’a fatigué. Heureusement, il y a le plastic sur le sol… C’est toujours délicat, d’ouvrir un cadavre frais… Mais c’est toujours aussi doux. Aussi tendre. La peau morte a une texture que n’a aucune peau vivante. Enfoncer, couper… jusqu’au pubis. Et ouvrir, les deux pans. Joli intérieur. Dommage que mon client soit si pressé… mais enfin, c’est un client régulier depuis mes études à new York, je peux bien lui faire ce geste. C’est qui cette fois, cette fille ? Encore une de ses maîtresses ?