∴ 2011 ∴ « Sommes-nous bientôt arrivé, John? » « Je crains que non monsieur... Encore trois bonnes heures. » Je serre les dents, soupirant bruyamment. Bordel, j'aurais du prendre l'option jet privé jusqu'à St-Louis. La rolls avec véritable chauffeur anglais fait décidément trop vulgaire et surtout, trop lent. J'ai le temps de crever une bonne centaine de fois avant d'arriver... Au sens littéral du terme, le soleil ne va pas tarder à se lever. « John? » « Monsieur? » « Il est bientôt sept heures.. » Sent-il la soudaine inquiétude qui envahi ma voix? Sent-il ô combien je me sens stupide de ne pas avoir pensé à ce détail? Sent-il cette connerie orgueilleuse qui transpire à travers mes propos? « Ah, oui, monsieur.. J'ai pris la liberté de prendre une voiture dont les vitres retiennent les UV. Elles se teintent progressivement pour que vous puissiez profiter du paysage la nuit. » Que Dieu, si ce connard existe, bénisse les chauffeurs/majordomes anglais. « Hm, bien. » Acquiescer. Comme si tout était prévu... Bordel, je ne sais pas ce que j'ai ce soir.. Seraient-ce les effets de la charmante putain qui m'accompagne? Surement. J'ai eu tort de ramasser une fille en chemin. Enfin, John s'en chargera. S'en chargera. Quelle ironie. Elle dort tranquillement, peu soucieuse du sort qui lui est réservé, une seringue plantée dans le bras, aussi défoncée que l'on puisse l'être. Je l'envie. Que ne donnerais-je pas pour découvrir ces sensations. Se défoncer. Sortir de son putain de corps, planer, voguer entre rêves et cauchemars et soudain, vaciller, tomber, vomir, gerber ses tripes sur le plancher, redescendre, se suicider. Oublier.

chapter I - it was a cold night.

Grelottant dans le froid, je l'attend. Elle. Aleksia. Je sais bien que j'aurais du rentrer et pourtant... Je ne peux m'empêcher d'être là. Il y a quelque chose de profondément malsain en elle. Quelque chose qui dévore mon courage à chaque fois que je la regarde, quelque chose qui me donne envie de fuir et malgré tout... Je suis là.

Enfin, elle arrive. Majestueuse dans sa cape de renard, elle me fait grâce de son sourire éthéré, me tendant une main délicate. Viens, me dit-elle, viens. Tel un païen vouant un culte à une ancienne déesse, je la suis, ne pouvant prononcer un mot, rendu muet par l'empire de son opalescence. Nous marchons dans la neige, laissant d’immatérielle empreintes derrière nous. Ai-je une idée de l'endroit où nous allons? Devrais-je en avoir une? Seigneur, des mois que nous nous croisons dans ces sordides couloirs, des mois que nos mains s'effleurent, que nos regards se croisent, l'espace d'un timide instant. Et des mois que je trésaille à chacune de nos entrevues. Peur et fascination sont deux amantes qui aiment à se mêler... Que ferais-je sinon à marcher, si tardivement dans l'obscurité, avec la fée qui hante mes nuits? Elle se retourne soudain, me fixant pour m'adresser de nouveau son diaphane sourire. Bientôt, me dit-elle, bientôt. Un frisson parcourt mon échine glacée. Qu'ai-je donc fait?

La lune maladive, déchue de son perchoir, semble pressée de rejoindre l'horizon. L'aube est encore loin et pourtant... j'ai l'étrange impression d'avoir marché toute la nuit. Nous y sommes, me dit-elle, nous y sommes. Une simple cabane de pierre, perdue entre les arbres touffus. La peur m'étreint de nouveau. Quelque chose d'inexplicable, de viscéral. Quelque chose qui n'a pas de nom.

Une simple pièce, une table, un lit sommaire. Que faisons-nous donc ici, mon aimée? Nous aurions pu nous voir dans une pièce de mon chateau. Pourquoi cette nuit, pourquoi si tard? Je n'ai pas le temps de me retourner, de comprendre ce qui est en train de m'arriver. Ses bras frêles m'emprisonnent soudain, me faisant presque étouffer. Je ne suis plus qu'un jouet. Et la peur, la peur qui me submerge brutalement, quand je sens ses crocs déchirer ma chair, quand je vois le sang, mon sang, se répandre et fuir mon corps... Elle me lâche et je m’effondre, misérable poupée vidée de son souffle vital. Mes pensées s'échappent tout aussi rapidement que la vie qui me fuit... Pourquoi? Un doigt glacé sur mes lèvres. Bois, me dit-elle, bois si tu veux vivre. Liquide vermeil qui parvient jusqu'à ma bouche. Un soupçon de son éternité pour la mienne...

∴ 2011 ∴ Je m'éveille soudain, l'esprit embrumé. Bordel, encore et toujours ce rêve. « John! » « Nous serons arrivés dans une trentaine de minutes monsieur. » Passant une main fatiguée sur mon visage, je pousse un grognement. Je ne rêve que d'une chose, un cercueil bien confortable. Et un verre de sang. En espérant que l'hôtel qu'il m'a trouvé ne soit pas trop minable... Non, John a bon goût. Peut-être que je pourrais acheter un manoir. Histoire de me poser un peu. C'est ça, se poser. Cesser de fuir ses souvenirs. Cesser de la chercher à travers tout le pays. Elle, la putain de mon cœur. Foutaises.

chapter II - it was a cold corpse.

Un petite signe de la main. Un doigt qui effleure son arcade. Celle-ci...? Encore et toujours des brunes. Les anglaises ne trouvent-elles grâce à vos yeux que par leurs sombres chevelures? Lassant, mon amour, lassant. Mais soit. J'arrête un serviteur qui passe à côté de moi, lui glisse un mot et il s'empresse d'aller le rapporter à la dame. Elle lève la tête, me regarde, rougie quelque peu avant de reporter son attention sur son assiette, semblant flattée. Si elle savait. « Lady Willshire? Vous avez du goût mon cher compatriote slave! On dit cependant que la demoiselle est farouche.. » Je me retourne vers l'ambassadeur d'Henri III, esquissant un sourire. « Ou vos manières trop empesées l'effraie... » Stupide français. Leur politique est tout aussi détestable que leur langue. Je fais tourner le vin dans mon verre, admirant le liquide grenat. Quel dommage de ne pouvoir y toucher. Les festins élisabéthains font partis des plaisirs auxquels nous avons renoncé... Et ce détail étrange ne manque pas d'attirer l'attention de certains. L'hypnose est décidément bien efficace. L'ami français aux meurs délicates est actuellement persuadé que j'ai mangé au moins autant que lui... L'idiot. Il m’assomme. Qui plus est, je parle mal le français. Une langue prétentieuse... mais que je me dois cependant de maitriser en ma qualité d'ambassadeur de Russie. Quelle idée exquise de nous faire passer pour des émissaires du Tsar. Ivan le Terrible est à la recherche d'une nouvelle épouse, prétexte délicieux pour nous faire écumer toutes les cours d'Europe. Après l'Angleterre nous retournerons en France puis en Italie... En évitant l'Espagne et ses fanatiques. Oui, tout sera parfait, mon amour... De l'autre côté de la table, je lui lève mon verre, mon éternel sourire au lèvres. За нас, сука. [À nous, chienne.]

[…] Assis entre les coussins du lit, je consulte quelques notes sur l'Angleterre, planifiant nos visites pour notre prochaine escale. Ma tendre catin s'approche, venant susurrer contre mon oreille son poison habituel. « Ne te tarde t-il pas de retourner à Florence? Et Venise, la belle Venise... J'en ai assez de l'Angleterre, de tous ces Lords, de ces Ladys... » Posant délicatement les documents, je l'attire vers moi, attrapant son menton pour lui voler un baiser. « Voyez-vous ça... Une semaine et tu es déjà lassée? » « Nous avons vu Shakespeare et Marlowe. Nous avons tout vu. » me réplique t-elle. « Touché. Un dernier repas et nous quittons ces cieux tourmentés? » « It works for me, dear. » On gratte soudain à la porte. J'abandonne mes notes, allant ouvrir. C'est ma charmante lady, seule. C'est qu'elle nous facilite la tâche... Pas de servante à hypnotiser ce soir, juste une dame égarée. Personne n'a vu personne. Un doigt sur la bouche de notre futur festin, je la fais entrer, l'amène sur le lit, à côté de ma maitresse. Un sourire absent hante ses lèvres. Il est temps de débuter les festivités, notre sanglante orgie peut commencer.

Et je la prend entre les draps, tièdes d'un sang encore frais, le dernier souffle du cadavre à nos côtés venant d'expirer.

∴ 2011 ∴ « Monsieur? » Brusque retour à la réalité. Nouveau grognement fatigué. This is a fucking bad night. « Hm? » « Miss Kim a appelé lorsque vous dormiez. À propos du MoMA. Et de votre tournée en Europe. » « Ah. Je suppose que je vais devoir la rappeler... Histoire de tout annuler. » Quelle stupide idée ai-je eu de me lancer dans l'Art. Non, c'était son idée. Ça et son grandiose projet musical... Nous nous étions fait peintres puis DJs, écumant les bas-fonds du Bronx pour trouver la reconnaissance éternelle, à une époque où Basquiat venait tout juste de grapher "SAMO IS DEAD" sur les murs de Soho. Rêve insensé qui ne s'est jamais brisé. On s'est fait connaître, jouant dans de petits clubs puis dans quelques boites en vogue... Et ce qui ne pouvait pas être joué, nous l'exprimions sur du papier, sur ces toiles immenses qu'elle déroulait. Mais ma moitié m'a abandonné sa part de gloire, me laissant seul avec tous ces déboires.

chapter III - j'te tuerais.

Se déhanchant obscènement contre moi, ma blonde me lance un regard enfiévré. Son sourire de désaxée est accroché sur ses lèvres trop rouges, un pas de plus vers notre déchéance. Nous avons oublié que nous étions les Princes de ce bas-monde, il y a mille ans. Nous ne sommes plus que deux cadavres dansant indécemment, mouvant leurs corps glacés au milieu des vivants. Sa langue entre mes lèvres, mes mains sur ses hanches, sous sa jupe. Baisons entre ces morts, mon amour, nous sommes en vie. Ses cheveux blonds volent, déchirant le vide qui se crée par instant autour de nos deux corps, lui accordant une auréoles de sainte dépravée. Les basses rythment chacun de nos mouvements, elle vient me mordre, lèche mon sang et y'a son sourire, son putain de sourire. Viens là que je te l'arrache, mon amour, viens là que j'écorche ces lèvres de tarée. Hais-moi parce que je t'aime, aime-moi parce que je te hais. Tous ces corps, toutes ces odeurs, all mad tonight. Une fête en notre honneur, ces chiens à nos pieds. Nous sommes encensés par cette stupide humanité qui nous perçoit comme de nouvelles divinités. La Révélation a eu du bon... « Ladies et Gentleman! Dans une quinzaine de minutes nous serons en 2010! Et pour fêter ce putain de réveillon, Cross & Over se sont spécialement déplacés! » Cross, Over, c'est à nous chérie... Payés une fortune pour notre scratching d'undead, on a pas intérêt à merder. J'tourne la tête pour lui hurler d'y aller mais seul le vide est à mes côtés. Bordel.. où est-elle passée? Je la cherche des yeux, ne rencontrant que des visages fiévreux, des ombres, de la lumière, pas de blonde pétasse à la jupe trop courte, aux dents écartées et à l'air de dégénérée. Abandonné.

∴ 2011 ∴ Merde, faut que j'arrête de penser à ça. Ça. Quand elle m'a abandonné. Why? Sans raison, parce que c'est une putain de tarée, voilà pourquoi. J'ai été son objet pendant mille ans et soudain, je n'étais plus rien. Un an et 9 mois. Une création dont elle s'est lassée. Un jouet désarticulé. La voiture s'arrête. Un an et 9 mois. « Bienvenu à Saint-Louis, monsieur. » Saint-Louis. Il paraît que la ville fut à feu et à sang dernièrement. Ça a l'air marrant.