Vous voyez ce grand bâtiment aux allures d’immeuble des années soixante ? Approchez-vous. Vous finissez sur le pas de la porte, à scruter la grosse cloison de bois sombre. Ça vous donne l’impression de peser une tonne… Un rayon solaire attire votre attention sur la plaque dorée qui orne le milieu de la porte : « A. Hamilton, restauratrice d’antiquités. » Vous plissez un peu les sourcils, parce que franchement, ce genre de boulot vous semble un peu bizarre. Qui perdrait son temps à réparer de vieilles choses cassées, qui n’ont parfois de valeur que pour leur propriétaire ? Mais vous êtes malgré tout intrigué et vous décidez d’entrer. Après avoir vérifié qu’il ne fallait pas sonner quelque part – on sait jamais, faudrait pas avoir l’air bête à pousser la porte si jamais elle s’ouvre pas – vous inspirez et franchissez le seuil. Et là, vous remarquez deux choses. Cette fichue porte pèse bien une tonne, comme vous l’aviez soupçonné. Et ensuite, la décoration. Toute en dorures et en lumières, c’est l’une des plus belles qui vous ait été donnée de voir. En temps normal, vous auriez pu la trouver ostentatoire et déplacée mais, au final, elle vous plaît. Entrer dans ce bâtiment, c’est comme entrer dans une autre époque. Revenir des années en arrière et se retrouver dans l’une de ces vieilles maisons que l’on ne voit que dans les films ou les dessins animés comme Anastasia – avouez que c’est d’ailleurs la première chose à laquelle vous avez pensé… le parquet brillant, l’ambiance nostalgique, les tons dorés…

Annabell releva le regard, s’arrachant à la tâche minutieuse à laquelle elle se consacrait depuis vingt minutes. Sur son bureau en noyer ancien s’étalaient les différentes parties de la montre à gousset qu’elle s’efforçait de restaurer. L’objet ne fonctionnait plus depuis des lustres, mais la vieille femme qui le lui avait confié semblait énormément y tenir. Néanmoins, l’usure des maillons ainsi que la disparition progressive de l’inscription au dos avaient fini par la convaincre de s’en séparer momentanément. Pendant qu’elle tendait l’oreille, les doigts fuselés de la femme vinrent caresser les lettres gravées dans l’or, To my love, Clare. Dans le silence qui caractérisait sa boutique – bien que cette dernière tienne davantage de l’entrepôt de vieilleries – Annabell perçu très distinctement le claquement sourd de la porte d’entrée et eut un léger sourire.




Vous maudissez cette fichue porte qui a claqué dans votre dos sans que vous ne vous y attendiez. Complètement subjugué par la décoration, vous ne pensiez plus au monde réel. Jetant un dernier regard courroucé à l’entrée, vous vous avancez dans le grand couloir et regardez de temps en temps les différentes pièces qui s’offrent à vos yeux curieux. Ici, des meubles, là des instruments de musique, des dizaines de miroirs, des objets de décorations, des tableaux gigantesques dont les cadres s’effritent, de larges bibliothèques débordantes d’ouvrages et vous tombez nez-à-nez avec une femme d’une trentaine d’années. Ses cheveux bruns-roux sont relevés en un simple chignon qui tient en place grâce à un crayon savamment positionné, elle doit bien mesurer une tête de moins que vous mais elle vous impressionne. C’est son regard. Profond, inquisiteur, étrangement familier sans toutefois l’être. Vous n’arrivez même pas à savoir si ses iris sont verts ou bleu marine. Et ça, ça vous trouble plus qu’autre chose. Elle vous adresse alors un grand sourire, dont la chaleur se communique à ses yeux. Vous vous détendez.

Annabell fixa un instant son nouveau client, surprise de le trouver aussi vite. D’habitude, les gens ne s’aventuraient pas aussi loin. Ils entraient, et attendaient. Pour la dixième fois de la semaine, elle se fit la promesse d’installer une sonnette afin de se faciliter la vie. Mais comme d’habitude, elle oublierait rapidement cette idée saugrenue et perdrait le fil de sa vie lors de visions exaltantes au sujet du passé des objets qu’elle réparait. Elle était l’une des meilleures de sa profession - un peu nébuleuse cependant, elle n’était pas aussi spécialisée en meubles que ses collègues, elle appréciait toucher à toute sorte de forme de réparation et se targuait de posséder les connaissances nécessaires – et cela se ressentait dans sa façon de travailler. Annabell adorait son travail.




Au bout d’une poignée de secondes consacrées à vous regarder en souriant, la femme vous pose quelques questions au sujet de votre présence ici. Et vous êtes assez gêné à l’idée de lui avouer que vous n’aviez aucune bonne raison de rentrer dans sa boutique-entrepôt ; c’est qu’elle vous impressionne cette petite dame ! Elle s’exprime clairement, avec une pointe de bonne humeur dans chacune de ses phrases et semble accaparer toute votre attention en quelques paroles. Elle s’aperçoit que vous hésitez et tente de vous mettre à l’aise en parlant de son travail, de ses qualifications. Vous l’écoutez parler sans savoir pourquoi vous perdez votre temps avec elle… Après tout, vous n’étiez là que pour fureter non ? Mais en écoutant son monologue, vous vous rendez compte qu’elle paraît aimer son job… Ou plutôt devriez-vous dire « sa passion », car elle est réellement dingue de ce qu’elle fait. Sans que vous n’y prêtiez attention, un sourire vient fleurir sur vos lèvres.

Annabell rendit son sourire au client, se méprenant sur les pensées qui traversaient l’esprit de cette nouvelle personne. Elle pensait avoir affaire à quelqu’un d’un peu timide, qui souhaiterait faire réparer un objet lui tenant à cœur et particulièrement incongru. Une fois, un homme d’une cinquantaine d’années était venu la voir pour restaurer un vieux jouet lui ayant appartenu lorsqu’il était enfant – un cheval à bascule miniature qu’il avait toujours conservé puisqu’il le tenait de ses parents décédés durant sa jeunesse. Tout cela, elle l’avait appris grâce à son don, la psychométrie, qui lui avait permis de voyager à travers l’existence de l’objet. Elle avait vu des larmes, de la joie, du bonheur mais aussi une profonde tristesse. Tous les évènements de la vie de cet homme, ou presque, étaient liés à ce cheval de bois. Lorsqu’elle le lui avait finalement rendu, l’homme l’avait vivement remerciée avant de quitter les lieux. Être restauratrice d’antiquités n’était pas un travail très rentable au final, elle perdait beaucoup d’argent à sécuriser l’entrepôt avec des technologies à la dernière pointe mais c’était toutefois un travail qui lui tenait à cœur. Et encore plus depuis que sa vie avait été chamboulée.




Elle ne porte pas d’alliance, seulement un joli collier avec des pierres de quartz rose. Vous ne l’écoutez plus parler, d’une part parce qu’elle commence à partir sur des sujets un peu trop techniques, d’autre part parce qu’elle vous ennuie aussi un peu. Votre regard dérive sur son visage, de ses pommettes hautes à ses lèvres pulpeuses. C’est une très belle femme, à la fois féminine et raffinée. Le genre de femme qui, même si elle ne portait pas ce tailleur décontracté, serait quand même auréolée de classe. Sûrement les gènes… Elle finit par remarquer votre air distrait et vous repose la question qui vous effraie tant. Allez-vous lui mentir ? Cette option vous semble alléchante. Néanmoins, quelque chose dans le regard de votre interlocutrice vous dissuade d’essayer. Comme si elle avait la capacité de détecter vos mensonges. C’est ridicule, à bien y penser, mais vous ne voulez pas prendre le risque. Alors vous lui dites la vérité, que vous n’avez pas besoin de ses services mais que vous vouliez juste regarder. Contrairement à ce que vous pensiez, elle ne s’énerve pas et paraît simplement gênée d’avoir autant parlé pour au final découvrir que vous n’en n’aviez rien à faire. Vous vous excusez deux ou trois fois et battez en retraite. Elle vous accompagne jusqu’à l’entrée. Une fois sur le pas de la porte, vous prenez enfin votre courage à deux mains et lui posez les questions qui vous brûlent les lèvres depuis quelques minutes.

« Vous habitez ici ? »
« Non, j’ai déménagé il y a peu. En fait, si vous voulez tout savoir, je suis née au Canada. J’ai vécu à Vancouver avant que mes parents ne divorcent, et j’ai débarqué en Amérique à l’âge de dix ans. »
« Et Saint-Louis ? »
« Ça doit faire pas loin de six mois. J’ai trouvé ce grand entrepôt, et je l’ai aménagé. Je vis juste au-dessus. »
« Vous êtes donc seule ici ? »
« Non, mon frère m’accompagne. Enfin… c’est un peu compliqué. Nos parents se sont mariés, mais nous ne partageons rien d’autre qu’un nom de famille. »
« Et votre travail ? Ça ne doit pas attirer foule. »
« Je ne recherche pas la gloire ou la renommée, seulement des objets intéressants et qui valent le coup d’être réparés ou restaurés. »
« Je ne vous ai pas déjà vue quelque part ? »
« Non, je ne crois pas. Je fais cet effet-là à tout le monde ces derniers temps, c’est un peu bizarre. »
« Oh, euh, et sinon, vous vous intégrez bien à Saint-Louis ? Je peux vous faire visiter des endroits pas très connus, vous savez. »
« Merci, mais ça va aller je pense. Je commence à me faire des amis, c’est une ville très spéciale mais accueillante. »
« Y’a pas mal de gens… de… créatures… Enfin, je sais pas trop comment les appeler. »
« Les lycans ? Les vampires ? »
« Vous semblez à l’aise. Ça ne vous fait rien ? »
« Si, bien sûr. Disons simplement que je me suis adaptée plus rapidement. »
« Bon, ben… au revoir. »




Elle vous fait un léger signe de la main, puis disparaît derrière la lourde porte qu’elle referme d’un seul bras. Ouah, sacrément fortiche la petite dame, quand vous vous dites qu’à vous il vous a fallu les deux mains… Vous descendez les quatre marches du perron, songeur. C’est une femme agréable, cette Annabell. Pas très loquace au sujet de son passé, mais suffisamment ouverte pour vous en parler un peu quand même. Mais malgré toutes ses qualités, il y a quelque chose en elle qui vous met mal à l’aise. Un air sauvage, presque féroce. Votre instinct de survie vous titille un peu en sa présence, sans que vous ne compreniez pourquoi. Mais on est à Saint-Louis et il faut se méfier des apparences. Vous enfoncez vos mains dans vos poches et rentrez la tête dans les épaules. Le soleil va bientôt se coucher, il vaut mieux pour vous que vous rentriez.




Ϟ A. est amoureuse de son « frère ». Cela la dérange un peu, puisqu'ils ont grandi ensembles et ont toujours vécu comme deux membres d'une même fratrie. Alors elle essaie de prétendre l'aimer d'une façon toute fraternelle. Chose devenue nettement moins aisée depuis son Changement et ses chaleurs lunaires périodiques.
Ϟ Le soir, elle apprécie sortir. Puisqu'elle passe la majorité de ses journées dans sa boutique-entrepôt, elle profite que le soleil soit couché pour mener une vie festive et ayant un arrière-goût de danger. Toutefois elle n'est pas assez bête pour se mettre consciemment en danger puisqu'elle sait pertinemment qu'elle ne parviendrait pas à... se contrôler.
Ϟ A. est devenue une léoparde suite à une attaque survenue environ deux mois plus tôt. Son frère, Aleksander, était présent lui aussi et souffre désormais de la même pathologie qu'elle.
Ϟ Elle se fait très difficilement nouvelle condition, ayant énormément de mal à réprimer ses chaleurs lunaires – elle finit toujours à sauter sauvagement sur des hommes qu'elle ne connaît pas vraiment, ou à perdre la notion du temps lors d'une chasse particulièrement sanglante. C'est un tout nouveau monde qui s'offre à elle. Il lui faudra du temps pour s'y accoutumer. Bien qu'elle ne se haïsse pas pour ce qu'elle est, A. est encore loin du self-control des autres léopards. Principalement parce qu'elle n'a jamais pu bénéficier d'un mentor, et qu'elle et son frère ont dû se débrouiller seuls.
Ϟ Pourquoi Saint-Louis ? Parce que c'est son instinct qui l'a attirée ici. Ayant besoin de changer d'air, elle a opté sur un coup de tête pour cette ville. Et bam, quatre mois plus tard la voilà devenue... lycanthrope.
Ϟ Elle ne fait pour le moment partie d'aucun pard, mais ne dirait certainement pas non si l'occasion se présentait. Ne serait-ce que pour en apprendre davantage sur cette race dont elle fait désormais partie mais aussi, et surtout, pour que quelqu'un puisse finalement l'aider à reprendre définitivement le dessus sur son léopard et parvenir à reprendre une vie un tant soit peu normale.