1820, la Russie... Un contexte austaire, hostile même. Un peuple capitonné, maintenu en autarcie par un gouvernement totalitaire dont les maîtres mots sont censure, répression et menace... Voilà dans quoi était né Irinei Vassiliev, ce jeune petit garçon blondinet vivant dans les quartiers pauvres, prénommé ainsi par sa mère Anushka Vassilieva, une pauvre roturière sans travail. Son père travaillait quand à lui dans l'armée, dans l'administration, espérant qu'à terme, peut être obtiendrait-il du Tsar un quelconque anoblissement pour ses loyaux services rendus au pays... Toutefois, il n'en était encore rien, et le salaire de Grigori était loin d'être mirobolant, et peinait à nourrir convenablement trois bouches. Car oui, le peuple avait faim, c'est pourquoi il était si docile, que croyez-vous, qu'ils se laissaient diriger de la sorte pour le plaisir ? Un peuple qui a peur et qui travaille comme un forcené pour subsister est si facilement manipulable... C'était le cas de Grigori : que n'aurait-il pas fait pour sauver sa famille ? Sa si belle femme et le fruit de sa chair ? Biensûr que non qu'il ne partageait pas les idées des gens qu'il servait, et comme tout le monde il avait des rêves de libertés, mais au fond, c'était un lâche, incapable de se battre pour défendre ces convictions, et préférant faire n'importe quoi plutôt que de mordre la main (même si cette dernière avait baigné dans le sang) qu'on lui tendait. En bond petit soldat, il faisait parti du système et obéissait au gouvernement, comme tant d'autres avant lui, et beaucoup d'autres encore après lui. Ainsi, il se disait que sa famille avait peut être une chance de s'en sortir, et chaque matin quand il quittait leur modeste demeure, il le faisait avec du baume au coeur, ne souhaitant qu'une seule chose : que quand il rentrerait, le soir, et serrerait sa famille dans ses bras, il aurait avec lui quelques sous en poche pour leur procurer un repas digne de ce nom.
Voilà donc dans quel environnement le petit Irinei grandissait, jusqu'à ce que cela éclate. Alors que cela semblait être un jour comme les autres, les yeux bleu ciel du petit garçon suivirent dans les ruelles le dos de son père. Comme tous les matins, il partait au travail. Seulement, ce qu'il ne savait pas, c'était que c'était la dernière fois qu'il le verrait. Il n'avait que 4ans quand St Petersbourg fut la proie de manifestations hostiles au gouvernement. Des réformistes se soulevaient, dans l'espoir d'amener un avenir meilleur au peuple, de les libérer de la torpeur qu'avait instauré les chefs, les asphyxiant tant et plus. Et leur colère était légitime. Cependant, les hostilités dégénérèrent. Grigori était comme eux, lui aussi rêvait de liberté. Pourtant, il fut tué. Il n'avait rien fait, il voulait juste que sa famille vive le mieux possible... Mais il était du mauvais côté, et quand la manifestation dérapa, sa vie lui fut volée.

Mais c'est à peine si Maéllan se souvient de lui, à présent, tout comme des conversations qu'il avait enfant avec sa mère...

Irinei grandit, sans père. Sa mère, quant à elle, passait ses journées dans les files de rationnement, espérant ramener quelque chose à manger le soir pour eux deux. Parfois, c'était du pain. Parfois du lait. Et parfois même du riz, ou du beurre ! Combien Irine était heureux quand elle ramenait du beurre ! Il adorait ça, les tartines. Et ça n'arrivait pas souvent. Et parfois, même, sa mère ne ramenait rien... Dans ces moments là, Anushka le prenait contre lui, et lui racontait des histoires, pour qu'il ne pense pas à son ventre qui lui faisait mal. Elle le gardait contre lui jusqu'à ce qu'ils s'endorment, et souvent, ils dormaient ainsi tous les deux. Un de ces soirs là, justement, Irinei, maintenant âgé de presque 7ans, tout serré contre elle, lança de sa petite voix enfantine en relevant le menton vers sa mère avec une moue boudeuse :
[list]- Dis, Mamotchka, parle moi de Papa.
- Irinei... Soupira-t-elle en fronçant les sourcils.
- S'il te plait, dis moi encore comment il était... Supplia le petit bonhomme alors que sa mère cédait sous ses grands yeux bleus inquisiteurs.
- ... Ton père ... Ton père était beau ... Il était blond, comme toi, avec des yeux bleus, mais un peu plus foncés que les tiens. Tu lui ressembles, d'ailleurs, je suis sûr que tu deviendras aussi beau que lui, plus tard. Lança-t-elle en lui tapotant le bout du nez, un sourire tendre aux lèvres.
- Même encore plus beau ! Clama Irinei avec fierté alors que sa mère riait.
- Oui, encore plus... Rit-elle devant l'air farouche de son petit garçon, tellement impatient de grandir.
- Parle moi encore !
- Que dire de Grégori... Reprit-elle donc à sa demande, les yeux soudain dans le vague, un sourire légèrement plus distant aux lèvres alors qu'elle se remémorrait son défunt mari. C'était un homme bon, vraiment. Il était doux, et gentil. Et il savait faire rire. Et puis il travaillait dur pour nous, tu sais.
- Oui. Affirma Irinei, le regard déterminé. Moi aussi je travaillerais dur, quand je serais grand, et je le ferai pour toi mamotchka ! Comme papa, je gagnerais plein d'argent ! Il travaillait où déjà, papa ? Demanda-t-il, alors qu'il le savait déjà très bien, juste pour qu'elle continue.
- Au service de l'armée, il faisait les tâches administratives, tu sais, des dossiers, des papiers... Il disait souvent en rigolant qu'il était le cerveau de l'armée, à défaut d'être les bras. Continua-t-elle en jouant le jeu, caressant doucement les cheveux de son bébé à mesure qu'elle parlait.
- Alors il devait être intelligent... Comment on fait pour devenir de l'armée ?
- Je t'ai déjà dit que tu n'as pas besoin de le savoir, mon chéri... Allez, ça suffit, on a assez parlé, je vais te raconter l'histoire de Katcheï l'Immortel, d'accord ? Lui sourit-elle, ses yeux bleu pétillant de malice : c'était l'histoire préférée d'Igor.
- Oui, raconte-la moi !!!

Anushka prit donc de sa voix légère une intonation effrayante pour donner du corps au conte. Ainsi, elle éloignait l'esprit de son fils de ce désir grandissant de ressembler à son père, et de continuer son dessein ; car elle ne voulait pas voir son fils mourir de la même façon, c'est pourquoi même si elle le laissait nourrir ses rêves, elle se refusait à le voir à son tour s'engager dans l'Armée. Mais c'était sans compter sur l'incroyable détermination de son garçon, animé du plus profond et légitime désir de rendre son père, quelque part là haut, fier de lui, lui qui à son tour s'occuperait de ramener de l'argent à la maison pour qu'ils puissent manger tous les jours...

Un léger sourire orna les lèvres du vampire alors qu'il se remémorait vaguement sa défunte mère, si prévenante, et ce désir qu'il avait toujours eu d'être à la hauteur de son père... Et puis, il pensa à Tom. Au fond, ils se ressemblaient. Même s'il ne voulait pas l'admettre, c'était ce qui l'avait poussé à le prendre avec lui. Plus que la solitude, c'était qu'il soit orphelin. Et si Maël avait lui eu la chance de conserver sa mère, Dieu sait où Tom aurait fini et ce qu'il serait devenu. C'était quelque part un peu son devoir de le protéger. Et, protéger, c'était ce qu'il savait faire le mieux...

UC