Je me présente, je m’appelle Gabriel. Mais vous pouvez m’appeler Gaby. Je suis né le 03 mai 1989, à Wichita dans le Kansas. Je mesure 1m76 et je pèse environ 70 kg. Je suis brun et j’ai les yeux verts. Je suis le fruit d’une idylle brève et illusoire. Ma mère, alors âgée de 24 ans, est tombée enceinte après avoir fricoté avec un homme dont j’ignore tout, même le nom. Elle était jeune et naïve, de plus elle ne parlait presque pas anglais, venant tout juste de migrer de l’Ukraine jusqu’aux Etats-Unis. Elle s’est laissée séduire, tout bêtement. Etant fleur-bleue de nature, elle est tout de suite tombée amoureuse de lui, espérant que leur relation ne se limiterait pas à une seule et unique nuit torride. Malheureusement pour elle, mon géniteur ne semblait pas avoir les mêmes attentes. Il a pris son pied, et au petit matin il est parti sans un mot. Ma mère ne l’a plus jamais revu, bien qu’elle ait longtemps espéré le croiser à nouveau. J’avoue ne pas comprendre comment on peut ainsi développer des sentiments aussi forts pour quelqu’un que l’on vient tout juste de rencontrer. Qu’est-ce qu’il avait de si particulier qui a fait que ma pauvre mère est tombée sous son charme dés qu’elle a posé les yeux sur lui ? Question à laquelle je n’ai jamais eu de réponse. Je sais, d’après ce qu’elle m’a raconté, qu’elle n’a jamais eu de chance avec les hommes. Elle était belle, très belle même. Et malheureusement, sa beauté n’attirait que des bouffons en quête de jolies nanas à mettre dans leur lit. Alors peut-être que lorsqu’elle a vu débarquer ce parfait gentleman au sourire ravageur, qui lui susurrait des mots doux avec une tendresse qu’elle n’avait jamais connue, elle a décidé de se fier aux apparences et de croire qu’elle avait enfin trouvé un homme qui sortait du lot. Mais elle a vite déchanté, s’apercevant que ce n’était qu’une beau-parleur de plus, simplement un peu plus doué que les autres. Bref, de toute façon, lorsqu’il s’agit de sentiments, je suis un peu largué. Probablement parce que j’ai pris l’habitude de ne m’attacher à personne.

Après s’être rendu compte qu’elle s’était bien fait avoir, une fois de plus, ma mère s’est mise à détester cet homme. Et il n’était pas le seul. Elle a détesté également tous les suivants, qui étaient eux aussi du même genre. C’est à cause de cette haine qu’elle ressentait à son égard, qu’elle n’a jamais voulu me révéler son identité. Je lui ai souvent demandé qui était mon père, comment il était, bref tout ce qu’elle pouvait me dire à son sujet. Mais elle a toujours refusé de parler de lui. D’ailleurs, je ne porte pas son nom, mais celui de ma mère.

Bref, jusque là rien d’extraordinaire, tout laisserait à penser que mon histoire est banale. C’est le genre de choses qui arrivent, une fille tombe enceinte, le père s’en va et elle se retrouve toute seule pour élever son enfant. Pourtant cet homme a bouleversé nos vies à tous les deux, sans que l’on s’en soi douté un seul instant. Je n’en ai pris conscience qu’à mes 17 ans. Malgré les évènements de 2002 qui ont révélé l'existence de créatures surnaturelles vivant parmi nous, à aucun moment ma mère et moi ne nous sommes douté que mon géniteur pouvait être l'une d'entre elles. Elle ne l'avait fréquenté que quelques heures, rien ne laissait donc présager à ses yeux, qu'il pouvait s'agir d'un être différent. Quant à moi, ne sachant rien à son sujet, il m'était difficile d'imaginer un tel scénario. Cependant, comme beaucoup de gens, j'ai été trés surpris d'apprendre qu'on ne trouvait pas des vampires et des loups-garous qu'au cinéma et dans les livres. Ma mère et moi nous sommes mis à douter de certaines personnes, comme nos voisins par exemple, nos connaissances ou encore l'épicier du coin. Comme la plupart des gens, nous sommes devenus méfiants. Mais nous n'avons pris aucun parti. On faisait notre vie de notre côté et on laissait les "autres" mener leur existence du leur. En soi, ça n'a pas changé grand chose à notre quotidien.

J’ai eu une enfance heureuse, on n’était pas très riche mais on s’en sortait. Et puis, j’ai eu la chance d’avoir une mère dévouée et aimante. Et je le lui rendais bien. J’étais bon élève, j’étais poli et aimable. J’étais le fils que toute mère rêvait d’avoir. Je l’aidais en cuisine, ainsi que pour les tâches ménagères, je travaillais bien à l’école, j’étais assidu et travailleur. Elle n’avait rien à me reprocher. De plus, j’étais très sociable, j’avais beaucoup d’amis et aussi une petite-amie. J’étais ambitieux et je savais ce que je voulais. Je voulais devenir architecte. Mon avenir s’annonçait brillant. Du moins, c’était comme ça que je me l’imaginais…

Malheureusement, notre petite vie tranquille devint rapidement un cauchemar. C’est à 17 ans, un soir de pleine lune, que je me transformai pour la première fois. C’est ce jour-là que j’ai su que j’étais un loup-garou. Ce fut la pire nuit de ma vie. A mon réveil le matin suivant, je ne me souvenais de rien, excepté le début de ma transformation. Cependant, il me fallut un moment avant de comprendre. Mais je pris rapidement conscience de ce qui venait de se passer, même si j’osais à peine y croire. Je m’étais réveillé dans le jardin derrière la maison, et les traces de griffures que je découvris sur la porte entre-ouverte ôtèrent tous mes doutes. Il faisait encore sombre, le soleil se levait tout juste. J’entrai et je ne découvris le corps inerte de ma mère allongé sur le sol du salon que lorsque j’actionnai l’interrupteur qui allumait la lumière. Je ne saurai dire aujourd’hui ce que j’ai ressenti à ce moment-là, je crois que j’ai enfoui ça au plus profond de moi, probablement pour essayer d’oublier. Les murs étaient couverts de sang, laissant deviner la violence extrême de ce qui s’était passé cette nuit-là. Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé ensuite. Peut-être me suis-je évanoui, peut-être ai-je effacé ça de ma mémoire inconsciemment. Je me souviens vaguement avoir pris un sac et quelques affaires, et je suis parti.

Rien ne laissait penser que j’étais un loup-garou avant ce jour-là, je crois que ma mère ne devait pas le savoir non plus. Pourtant, ce n’était pas le genre de choses qu’on était censé savoir ? J’avais toujours été persuadé que les créatures de ce genre, loups-garous, vampires et j’en passe, vivaient entre eux et étaient conscients de ce qu’ils étaient. Et pourtant, ça venait de me tomber dessus, sans que je m’y attende. Depuis ce jour-là, je passe mon temps à fuir et à me cacher. Je vis un peu coupé du monde. Je passe mes journées à errer dans les rues des villes par lesquelles je passe et dans lesquelles je ne reste jamais très longtemps. Je n’ai pas d’emploi, donc j’occupe mes journées en faisant la manche pour avoir de quoi manger, ou en volant de la nourriture. Le soir et même souvent la nuit entière, je vais dans des bars, j’essaie de boire à l’œil, partant la plupart du temps avant que l’addition ne me soie apportée. Le reste du temps, j’essaie de trouver un endroit où passer la nuit, en général c’est dans la rue faute de mieux. Cependant, toujours dans un coin peu fréquenté.

Cette révélation m’a changé à tout jamais. Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Je suis devenu renfermé, asocial et solitaire. J’ai peur de moi-même et de ce que je suis capable de faire lorsque je me transforme. Je n’ai toujours pas accepté ce que je suis, je crois que je ne l’accepterai jamais. Au lieu d’essayer de me mêler aux miens et d’en apprendre plus sur ce que je suis, je préfère faire cavalier seul et tenter de faire comme si de rien était, même si c’est impossible. Je tente tant bien que mal de ne pas y penser, de faire comme si j’étais normal. Mais les pleines lunes me rappellent que je ne fais que me voiler la face.

Je n’ai plus aucun contact avec les gens que je connaissais à Wichita, j’ai écarté tous mes amis de ma vie, même ma petite-amie de l’époque. Et je ne m’en suis pas fait de nouveau. Je préfère rester à l’écart des gens, ça vaut mieux pour eux. Je n’ai pas envie de faire du mal à qui que ce soit, je préfère donc rester seul, c’est plus simple comme ça. Et puis, j’ai fini par m’habituer à ce train de vie de nomade solitaire.

Ayant malgré moi causé d’irréversibles dégâts dans une petite ville du Missouri qui se trouvait sur mon chemin, j’ai décidé de partir à nouveau, laissant derrière moi plusieurs cadavres. C’est ainsi que j’ai atterri à Saint Louis. Pour quelqu'un qui a décidé de ne pas se mêler aux siens, c'est peut-être paradoxal de vouloir s'installer dans cette ville. En effet, même si je n'ai jamais rien voulu savoir concernant ce que je suis et ceux qui sont comme moi, l'information selon laquelle Saint Louis est le repère des CESS n'a échappé à personne, pas même à moi. Peut-être qu'inconsciemment je ne serai pas contre l'idée de rencontrer certains de mes congénères. Qui sait... De toute façon, il est peu probable que je m’éternise ici.