« After many a summer dies the Swan. » A. Huxley

« Tell me, Michael. Please. » « Well, when Johnny was first starting out, he was signed to a personal services contract with this big-band leader. And as his career got better and better, he wanted to get out of it. But the band leader wouldn't let him. Now, Johnny is my father's godson. So my father went to see this bandleader and offered him $10,000 to let Johnny go, but the bandleader said no. So the next day, my father went back, only this time with Luca Brasi. Within an hour, he had a signed release for a certified check of $1000. » « How did he do that? » « My father made him an offer he couldn't refuse. » « What was that? » « Luca Brasi held a gun to his head, and my father assured him that either his brains or his signature would be on the contract. » « ... » « ...That's a true story. »

« T'es sûr que c'est un film pour moi ? » Mine dubitative, la gamine en pyjama me fixe avec un minuscule sourire au coin des lèvres. « C'est un classique. Je tiens à ce que tu possèdes une solide culture cinématographique. » « C'est interdit au moins de 12 ans. J'l'ai lu sur la boite. J'le dirais à Maman. » Petite pause. Pour accentuer l'effet. « On voit plein de scènes de meurtre. » Le sourire s’agrandit. Levant les yeux au ciel, je hausse les épaules. À son âge, j'aurais donné cher pour regarder un film de gangsters avec mon père. Mais nous n'avions pas de home-cinéma à l'époque. Quand bien même, le vieux n'avait pas non plus de temps à me consacrer. « Passe-moi le pop-corn. » Attrapant ledit pop-corn, elle vient se nicher dans mes bras, effaçant mon humeur chagrine d'un souffle affectueux.

***

Une sonnerie au loin. Loin, loin, si loin. Émerger. Un petit corps chaud, contre moi. Ocean. Seigneur, quelle heure est-il ? Morphée nous a embrassé au milieu des débâcles de la famille Corleone, venant réclamer son dû trop souvent oublié la semaine passée. Me libérant délicatement de l'étreinte de ma fille, je me lève et vais décrocher, une liste d'insultes toute prête à l'attention du gentleman qui ose appeler si tard. « Ouais ? » … « Seigneur, que.. ? » … « Elle n'aurais pas fait ça, c'est... » … « Mais elle t'a vraiment... ? » … « Oui, bien sûr. Laisse-moi le temps de coucher Ocean, j'arrive. » Raccrochant lentement, mes doigts s'attardent un instant sur mes paupières, las de toute cette agitation. « Papa ? C'était qui ? » Une voix fluette un peu pâteuse, deux grands yeux bleus, encore emplis du sable de la nuit et un cœur qui espère, qui espère en silence. Elle ne dit plus rien, mais elle n'en a même plus besoin. Derrière chaque appel peut se cacher Maman. Elle a bien dit qu'elle reviendrait, hein, Papa ? « Personne. Allez viens, je te porte jusqu'à ta chambre. » La prenant dans mes bras, je monte quatre à quatre les escaliers et la dépose dans son lit, la laissant se glisser sous les draps. « Elle me manque. » Une nuit de plus, j'ai pensé échapper à l'éternelle pièce que nous jouons tous les deux, moi mauvais dramaturge et elle, triste comédienne. « Essaye de dormir, Ocean, il est tard. » Elle m'agrippe le bras, les mâchoires serrées. « Elle nous a abandonné? » Elle ne reviendra jamais. Elle est partie loin, si loin, que nous ne pourrons jamais la rattraper mon ange. « Mais non. Je suis sûr qu'en ce moment-même, elle pense à toi. » L'âme et les lèvres tachées par le sang de son ancien amant. Seigneur. Ne pas y penser. Afficher un gentil sourire paternel et lui embrasser le front, prétendre et y croire. « Bonne nuit sweetie. » Sortant de la pièce, je laisse une veilleuse allumée, selon ses souhaits. Les anciennes terreurs resurgissent quand, avalé par les Abysses, le parfum d'une mère disparaît.

***

Les contours effacés de la villa d'Andrew surgissent soudain au détour de la route, dardant le ciel de sa silhouette effilée. Dieu merci, il n'habite pas à l'autre bout de la ville, je n'aurais pas eu le courage. Me garant près de la baraque, je sors et prend le temps de me griller une gitane, cherchant un semblant de réconfort dans les volutes lugubres. Les rares fois où l'on m'a gracieusement autorisé à la voir, furent douloureuses. Morte et froide ; encore trop vivante à l'intérieur. Avalant une grande bouffée d'oxygène, sentant que j'en manquerais probablement, je me décide à aller sonner.

Le talamascain se présente à la porte immédiatement, m’expliquant rapidement la situation. Un scotch et quelques encouragements plus tard, il m'indique courtoisement le chemin pour les Enfers. Je descend seul, poussant la porte de la cave avec appréhension. Après quelques tâtonnements, je finis par pousser l'interrupteur et les néons blanchâtres illuminent la pièce glacée, clignotant avec paresse. Une ombre est recroquevillée contre un mur, sa chevelure blonde ne laissant pas de doutes quant à sa propriétaire. « Tess.. ? Tess, c'est Dimitri. » Dans ma poche, mes doigts enserrent fiévreusement une vieille croix, adressant une prière muette au Dieu des Dieux. Qu'elle ne sorte pas les crocs. Que nous n'ayons à nous entre-égorger, Seigneur.

« Tess.. » Apathique, engourdie, je peinai à distinguer sa voix. Embrumée dans mes propres songes, je pensais encore, sans effort, à tout ce qu'il n'avait pas dit. Traumatisée, sans doute, mais pas autant par ce que j'avais fait que ce que j'avais appris. Comment pouvait-on trahir ainsi ? Laisser une deuxième chance constituait mon activité favorite. Mais, cette fois, on ne m'avait mise sur aucune piste. Pris la main dans le sac, monstre glacial qu'il était, Andrew Osborne n'avait pas prononcé un mot. Aucune excuse, aucune justification. J'avais pour seul souvenir l'exaspération discrète de ses orbes bleutées, comme une insulte suprême à tout ce que nous avions été. Son attitude m'avait déchirée, à tel point que, ne pouvant rien faire d'autre que penser, j'imaginais encore, et encore, à l'infini, les paroles qu'il m'avait refusées. Etait-il à ce point mauvais pour autant me dédaigner ?!

« Tess, c'est Dimitri. »

Recroquevillée dans un coin de la pièce, je laissai tous mes sens vagabonder jusqu'à lui. Un énième chevalier servant envoyé pour me tromper... ? Impuissante, la Bête se mit alors à grogner. Aussi doucement qu'un chat qui avertit. Encore trop faible pour tenter quoique ce fut, je réagis à la lumière infiltrée à petite dose dans ma prison. Le poison courait encore dans mes veines, en trop grande quantité pour me permettre de me défendre. Au cas où. Mais la tête avait fini de me tourner. Bien au fait des événements, je compris qu'Andrew n'était toujours pas prêt à venir s'excuser. Qu'il ne viendrait sans doute jamais, et que ses douces paroles, je les avais rêvées. Mon âme était toujours alourdie, piétinée. Et mon baby-sitter, connaissait-il les raisons de sa venue ? Il n'était pas apparu par enchantement, et sa sollicitude avait forcément été motivée par l'appel tardif de son grand ami. « Il n'a pas eu le courage de prévenir Asher », dis-je en affichant le sourire pervers de la Bête. Elle prenait encore trop de place, mais moi, intérieurement, j'étais soulagée de ce choix. Mon Sire éprouvait une folle aversion pour chaque homme de ma vie. Quel aurait été le sort d'Andrew, si par malheur, je lui avais conté cette histoire, et jeté mon bourreau entre ses griffes ? … J'étais blessée, amère... mais jamais au point de vouloir le perdre. Dieu merci, ma raison revenait à petits pas.

Les yeux entrouverts, je levai une main en travers de mon front, faisant barrage à la vision de l'importun. Son odeur était plus forte que toutes celles que j'avais appréhendées jusque là. Mais ça ne me dérangeait pas. Et je constatais bien vite alors que sa présence avait sur moi le même effet qu'autrefois. Elle apaisait la Bête. Et me rassurait, moi.

Lamentable, je baissai la tête, et me traînai sur le béton froid. Mes membres refusaient encore de supporter mon poids, et, aucune accroche ne me permit de retrouver, par moi-même, un semblant de dignité. « Je sais qui tu es », crachai-je enfin, sur la défensive. L'agressivité reprenait du service, la Bête refusant de se laisser materner. Il m'était pénible, à la longue, d'être infantilisée sous tout prétexte. Non, je n'étais pas complètement folle. Je savais encore qui j'étais, ce que j'avais fait, et qui Lui était. Le poison avait fini d'anesthésier mon esprit. Et il était là, lui. Le voleur de fille.

L'infâme, le cruel, profitant d'elle tandis que mon être tour à tour pleurait, menaçait, brutalisait, incapable de s'engoncer dans une stabilité salutaire, et de ce fait, d'approcher ce petit être si cher à mon cœur, arraché à ma vie. Il portait Son odeur sur lui. Alors, instinctivement, je tendis la main dans sa direction. Non pas pour quémander son aide, mais par pur réflexe, aussi désespéré qu'animal, avec cet air de dire : « Redonne-moi ma fille, ou je meurs ».

Où était-elle ? Jouissait-il à présent de me voir impuissante, sa fille chérie enfin toute à lui ?! Ce n'était qu'une histoire logique, une bataille des karmas. « Ce que je subis, je l'ai fait,
ce que je fais, je le subirai. »