J’étais venue une fois dans ce bar, plus d'un an auparavant, lors de mon arrivée aux États-Unis. Limite à la rue, n'ayant trouvé refuge que dans un squat à défaut d'avoir trouvé mieux dans l'urgence, j'étais venue m'échouer dans ce bar aux mille couleurs, avec des gens visiblement de mon milieu. J'en entendais parler de magie, potion et autres trucs de sorcier, derrière moi alors que j'étais accoudée au comptoir, un de mes innombrables verres de vodka bien calé au creux de ma main droite. J'avais été saoule ce soir là, mais pas au point de ne plus me souvenir de ma fin de soirée. Il fallait encore que je trouve comment rentrer, et je préférais éviter de foutre le bordel inconsciemment alors que je ne connaissais personne en ville. Et j'étais rentrée bredouille, ayant bien tant que mal tenté d'adresser la parole à quelques têtes sympathique à la surface, mais pas en profondeur. Je ne devais pas avoir l'air assez puissante, ou assez intéressante pour qu'ils daignent délier la langue afin d'échanger quelques bribes avec moi, si bien qu'ils m'avaient congédiée limite avec un simple geste dédaigneux de la main. Sauf que même si j'y avais été modérément sur l'alcool, je réagissais toujours aussi vivement. Et sur un coup de sang surtout, comme d'habitude. A défaut de savoir que dire comme incantation, cela avait fini par un simple coup de boule, avec l'autre abruti les fesses par terre et l'air hagard. Quand à la suite, je m'étais fait jetée dehors, avec des promesses de mort de l'un des deux principaux intéressés.

Clope au bec, j'observai la façade de la bâtisse, vêtue d'un jean noir serré ainsi que d'un débardeur rouge sang, réhaussé d'une veste en cuir ouverte. Campée sur mes talons d'un peu moins d'une dizaine de centimètres, mains sur les hanches, je me remémorais le passé en attendant de terminer ma cigarette, m'amusant en parallèle des couinements poussés par l'un de mes rats, perché sur mon épaule droite. Il râlait sur ma fumée de clope, sur sa journée, sur ses innombrables gosses qui avaient passé leur journée à enchainer bêtise sur bêtise... J'écrasai le mégot de mon pied, puis pénétrai dans l'enceinte, me demandant si les olibrius de la dernière fois s'y trouvaient encore, et surtout s'ils se souvenaient encore de moi, après tant de temps écoulé. D'un premier coup d’œil d'horizon, j'observai que l'endroit n'avait pas changé, et que surtout, il était bondé. Ni une ni deux, j'adoptai une démarche souple tout en m'avançant vers le bar à cette heure avancée de la soirée, me glissant entre les divers ivrognes se trouvant sur mon passage. Je les traitais comme tel, mais je savais que lors de mon départ, je risquai fort d'avoir bien des difficultés à passer de la sorte, aussi imbibée de vodka qu'une éponge plongée dans un lac.

Au bout d'une heure, j'étais faite. Les cocktails d'ici avaient quelque chose de... magique. Les humains pensaient à un tour de passe-passe, une substance secrète ajoutée dans les verres. Ils n'avaient pas tords, mais cela ne faisait parti que de leur folklore. Mais en réalité, la tenancière des lieux étant une sorcière, les breuvages étaient bel et bien traficotés à la manière de Merlin. Me redressant difficilement, je m'adossai contre le bar, en profitant pour constater que les lieux s'étaient un peu vidés pendant que j'engloutissais ces petites merveilles. Je me demandais si j'allais être en mesure de me défendre si jamais les ennuis arrivaient, bien que je n'avais plus eu aucune nouvelle des playboys depuis notre rencontre explosive. Mon regard resta bloqué l'espace de quelques secondes sur une tête blonde familière. Une personne dont j'ignorais tout jusqu'à son prénom, mais que j'avais croisé un bon nombre de fois, que ce soit dans des bars ou des boutiques spécialisées pour sorcières. Sorcière. Le seul élément connu. Elle m'intriguait, et je voulais en savoir plus.

Frottant mes paumes contre mes paupières, je pus m'apercevoir qu'elles en ressortirent couvertes de mon khôl. A ce stade d'ébriété, ressembler à un panda ou non ne risquait pas de me faire peur au niveau social du terme. D'autant plus que le gris très clair de mes yeux devait rendre mon regard vraiment étrange. Sans hésitation, je m'avançai vers la demoiselle sans même ne me préoccuper qu'elle soit accompagnée ou non, tout de même encore suffisamment sobre pour ne pas tituber et manquer de me casser la figure à chaque pas. Hendrik, qui dormait sur mon épaule, s'éveilla lors que je me stoppai face à la femme visée, et ne manqua pas de me susurrer une réflexion à l'oreille qui me fit rire. En guise de salutation, je fis part des pensées du rat à la jolie blonde. "Il vous trouve très belle", fis-je, haussant mon épaule afin de lui indiquer la source première de cette pensée. Il y avait fort à parier qu'elle ne comprenne pas, ce genre de don étant assez rare -suffisamment pour n'avoir encore croisé d'autres personnes disposant du même au cours de ma vie-. Mais il était inhabituel que j'agisse ainsi avec les inconnus, préférant rester discrète vis-à-vis de mes capacités autres qu'ordinaires. Enfin, pour des gens comme moi.

« Freyja reviens ici tout de suite ! »

Mon rire rebondit sur les murs de notre manoir et je regarde Stefan me fixer d’un air faussement furieux alors que je viens de le pousser dans la piscine. Mutine, je lui envoie un baiser et me dépêche de fuir jusqu’à la salle de bain. Il ne tarde pas à venir tambouriner contre la porte en me promettant les pires horreurs (oui enfin tout est relatif), ou plutôt en promettant de ne pas me laisser sortir de la chambre avant une semaine. J’aime profondément Stefan, cela dit je ne suis pas infatigable contrairement à lui et j’ai d’autres projets pour ce soir. Aussi je me mets à hurler joyeusement pour appeler mes sœurs au secours et Aphrodite ne tarde pas à venir occuper notre professeur. J’en profite pour m’échapper discrètement et termine dans mon dressing en compagnie d’Isis pour qu’elle m’aide à choisir ma tenue de ce soir. J’opte pour un short en jean, un petit top en soie et une paire de compensées colorée. Je passe par la chambre de Stefan, lui subtilise une chemise et me voilà prête à partir. J’embrasse mes sœurs en leur promettant de les appeler en cas de besoin et me mets en route.

A peine arrivée à l’Elixir, je m’installe à une table et commande un cocktail au nom improbable, Mélusyne. J’ignore ce qu’il y a dedans, mais cela ne tarde pas à m’enivrer, comme d’habitude. Je vais passer directement du stade sobre à « carrément déchirée » si je n’y prends pas garde. Alors que pompette serait plus raisonnable. Je décide de lever le pied, un peu, et me contente d’un cocktail moins alcoolisé pour le suivant. Cendrillon. Doux, frais, un peu niais et fruité avec une touche de citrouille, c’est parfait. Je chantonne doucement, mon regard errant dans la salle. Sorciers. J’aime à sentir l’énergie de mes semblables. C’est pour cela que je tombe facilement amoureuse d’eux, que je hante ces endroits où les miens aiment à se réunir. L’amour que je leur porte pourrait me pousser à l’imprudence et il faut que je me souvienne que je suis morte déjà deux fois. Le bûcher et la noyade. Soyons prudente.

L’alcool ne m’aide pas et je soupçonne fortement ces merveilleux cocktails d’être enchantés. Peu importe, je m’enivrerai jusqu’à plus soif ce soir ! Libre de ma famille que pourtant j’aime de tout mon être, libre de Stefan qui ne repoussera pas tout être m’approchant d’un regard meurtrier, je me sens bien. Ce soir je suis célibataire, libre et pompette. « Il vous trouve très belle. » Je relève la tête et fixe mon interlocutrice avec un air rêveur et un peu d’incompréhension, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’un rongeur est perché sur son épaule. J’éclate de rire et tends la main pour caresser le rat. J’accepte plutôt bien l’idée qu’un rat puisse me trouver séduisante et, l’alcool aidant, il m’est facile d’accepter le fait que cette charmante jeune femme au maquillage certes un peu étrange puisse le comprendre. « Merci beaucoup mon joli, tu n’es pas mal non plus. » Je fais un clin d’œil à sa compagne et l’invite à s’asseoir à ma table. « On se connaît non ? Il me semble que je vous ai déjà vue… quoi que je n’arrive pas à m’en souvenir » j’ajoute en désignant mes verres vides en riant.

L’état de la jeune femme me fit sourire. Décidément, il n'y avait pas qu'à moi que ces cocktails faisaient de l'effet, beaucoup d'effet. Un peu comme une explosion dans le cerveau, quelque chose qui vous rendait presque instantanément ivre. Je traduisis sa réponse pour mon rat, et me penchai en avant afin que sa main puisse atteindre sa petite tête. Répondant à l'invitation par un simple sourire, je posai mes fesses sur la première chaise qui tomba sous ma main, manquant de peu de tomber suite à une légère perte d'équilibre. Décidément, le fait de me lever m'était souvent fatal. J'avais encore toutes mes pensées. Du moins, telle était ma croyance. "Pas de soucis," entonnai-je en riant, "je n'ai plus toute ma tête non plus. Mais on s'est croisées quelques fois dans des bars, et peut-être dans des boutiques aussi, mais j'avoue ne jamais être venue me présenter. Certainement trop de vodka dans le sang. Ou plutôt, de sang dans ma vodka." Je me mis à rire seule de ma blague certes pitoyable, mais qui sonnait définitivement hilarante au sein de mon esprit fatigué. Une fois calmée, je fis tournoyer le breuvage au sein de mon verre, m'amusant de la vue du tourbillon qui vint s'y former. La magie de la nature, changeante suivant son humeur. Je levai mon verre en l'air, ouvrant la bouche afin de prononcer d'autres paroles, oubliant totalement de me présenter une fois de plus.

"Ça fait du bien de se retrouver un peu dans des endroits comme celui-ci, au moins les humains pensent à des tours de passe-passes si on déborde un peu trop..."

Je ne m'inquiétai pas immédiatement du bruit mouillé récurrent à coté de mon oreille, un peu trop torchée pour me soucier de quoi que ce soit de toute manière. Je sursautai lorsque le cri strident d'Hendrik s'éleva dans tout le bar, hurlant vaguement un "youpie" dans son langage bien à lui. A peine avais-je tourné la tête du coté droit qu'il entama l'escalade de mon visage, me griffant la joue au passage. J'en lâchai mon verre, dont le liquide rougeâtre vint se répandre sur le bois usé de la table, et acheva sa course sur les genou de ma nouvelle connaissance. "Geronimooooooo !!!!!! Ça me chauffe les oreilles !" Je compris soudainement ce qu'il voulait dire par là. Heureusement, je devais être la seule à le comprendre, mais quand même. Mon rat était bourré. Le petit sacripant avait lapé dans mon verre pendant que je n'y prêtais plus attention, et l'alcool lui avait monté à la tête plus rapidement que le changement d'humeur d'une femme enceinte. Une autre information me revint en mémoire. Le petit aimait boire, mais surtout, cela tendait à le rendre sacrément pervers. La plupart des humains pensaient que les animaux n'étaient que des choses seulement dotées de leur instinct, mais s'ils savaient à quel point ils se plantaient lourdement... "Putain Natalia, tu vois ce que je vois ?! C'est le paradis sur Terre !" Et il sauta du sommet de mon crâne tandis que je venais de remarquer les dégâts provoqués par mon verre, trois secondes auparavant. Il plongea... tout droit dans le décolleté de mon interlocutrice, hurlant à quel point il pouvait désormais mourir heureux.

"Merde !"

D'instinct et d'habitude, j'avais prononcé mon juron en russe. Mais j'étais presque certaine que tous les membres présents dans ces lieux avaient saisi ce que j'avais voulu dire. Me relevant brusquement, et surtout maladroitement, je plongeai à mon tour mes mains dans le top de la jeune sorcière, sans la moindre timidité. A dire vrai, je n'avais même pas réfléchi à ce que je faisais, et n'étant pas de ce bord, je n'y voyais aucun inconvénient sur le moment. Enfin, je ne m'étais jamais réellement posé la question, je trouvais certes des femmes attirantes, mais aucune n'avait jamais encore fait chaviré mon cœur. Palpant sans le vouloir au passage la poitrine de mon interlocutrice, je cherchai un peu au hasard la bestiole, jusqu'à la trouver, nichée entre un sein et son soutient en tissu. Le hissant de sa cachette, j'eus droit à des "traitresse", "va au diable", et aux autres mots si grossiers qu'on en taira le contenu précis. Rassemblant mes quelques neurones en m'asseyant de nouveau, l'air un peu perdue, je soufflai quelques mots que seule Freyja put certainement déceler, une formule ancienne, permettant de faire s'endormir la chose que je tenais au creux de mes mains. Hendrik s'endormit immédiatement, me permettant de reprendre mon souffle. Je le reposai sur mon épaule, et relevai les yeux vers la victime. Petit sourire gêné aux coins des lèvres, je fis la première chose qui me vint à l'idée. Je tendis la main l'air de rien, et fis la chose oubliée quelques temps auparavant.

"Lexy."

"Pas de soucis, je n'ai plus toute ma tête non plus. Mais on s'est croisées quelques fois dans des bars, et peut-être dans des boutiques aussi, mais j'avoue ne jamais être venue me présenter. Certainement trop de vodka dans le sang. Ou plutôt, de sang dans ma vodka." J’éclate de rire et lève mon verre à sa santé avant d’en avaler une gorgée qui me chatouille la gorge et me réchauffe le corps. Nous restons silencieuses le temps d’avaler un peu d’alcool et je lui lance un regard amical. Je ne connais pas cette fille, enfin pas vraiment, mais ce n’est pas grave, je ressens de très bonnes ondes émanant d’elle et de son rat qui est tout bonnement adoraaable ! "Ça fait du bien de se retrouver un peu dans des endroits comme celui-ci, au moins les humains pensent à des tours de passe-passes si on déborde un peu trop..." Je hausse un sourcil et souris à nouveau avant de boire doucement mon cocktail. « Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler. Nous sommes humains jusqu’à preuve du contraire, pas des petits lutins ou pire encore, des trolls ou des sorciers ! »

Je continue à siroter mon verre tranquillement et sursaute en entendant son rat hurler. Grands dieux ! Mais que se passe-t-il ? La suite est trop rapide pour que je puisse réagir. L’animal grimpe sur la joue de ma comparse et plonge dans mon décolleté avec un cri que je qualifierais de cri de joie. Je reste complètement figée. C’est bien la première fois qu’un mâle qui n’est pas humanoïde plonge ainsi entre mes seins ! Alors là je ne comprends pas, ou disons que je suis trop pompette pour comprendre. Mais je trouve ça très drôle. « Haaaaa, ça chatouille ! » je crie joyeusement en levant mon verre vide à l’intention de la serveuse pour qu’elle m’en apporte un nouveau. Si ma compagne lâche un mot que je ne connais pas, je suppose qu’il s’agit d’un juron vu le ton employé. Loin d’être fâchée par la situation, je la trouve si hilarante que je ne peux pas m’empêcher de rire.

Ma compagne récupère alors son animal en plongeant ses mains dans mon décolleté et finit par se présenter. "Lexy." Je souris et attrape le verre que la serveuse me tend. « Enchantée, je m’appelle Freyja. » Je tends la main et saisis la sienne avant de me rasseoir et de l’observer avec attention. « Alors comme ça tu es une sorcière. C’est intéressant. » Quoi ? J’ai beau avoir trop bu, je suis encore capable de reconnaître une sorcière quand j’en vois une, surtout si elle ne cherche pas à dissimuler son énergie magique. « Tu devrais être plus discrète et ne pas parler aux inconnus de magie ou de ce genre de choses. Tu veux un autre verre ? » je demande avec un sourire joyeux. « C’est ma tournééééééée ! » Je glisse de ma chaise et atterrit par terre en pouffant de rire. Définitivement, j’ai trop bu et rester sérieuse m’est impossible.

Je fus rassurée à l'instant où ma comparse attrapa ma main avec une mine joyeuse. J'en connaissais plus d'une qui aurait déjà fuit en courant, ou pire, aurait tenté de me coller une droite à moitié méritée. Et vu que je n'avais aucune envie de me battre, sa réaction me fit plaisir. Pas encore dans ce bar, autrement je l'aurais définitivement qualifié de bar à poisse, et n'y aurait jamais remis les pieds. Ce qui aurait été fort regrettable, vu les délicieux breuvages que l'on y servait. Malgré les quelques verres que j'y avais bu, j'étais toujours aussi incapable de déterminer la source magique ou non dedans, mais ils montaient rapidement à la tête, les bougres ! Et la vodka n'était pas la seule chose en cause dans l'histoire. "Enchantée de même..." Ce mot précis sonna étrange dans ma bouche, cela faisait de nombreuses fois que je croisais la jeune femme sans pour autant venir l'aborder. Ce qui me donnait l'impression de la connaître depuis longtemps, dans mon esprit rendu totalement fou par l'ivresse. Je laissai ma main dériver sur la table de bois à la recherche de mon breuvage que j'apportai à mes lèvres tout en écoutant ses quelques mots.

Hé. Moi au moins, je n'avais pas prononcé directement le terme. D'accord, il n'y avait pas l'air d'y avoir d'oreilles humaines à portée, et il y avait bien peu de chance de toute manière que quiconque prête le moindre intérêt à la conversation entre deux femmes visiblement saoules. Je me mis à faire la moue et m'apprêtai à répondre quand mon interlocutrice me proposa un autre verre. Pourquoi pas ? Mais à peine cette pensée parvint dans mon cerveau qu'elle était déjà par terre sans que je puis rien faire pour l'en empêcher. "Hey !", lâchai-je en me levant brutalement, manquant de me rétamer à mon tour. Heureusement, j'avais l'habitude d'être souvent en étant d'ébriété, si bien que je parvins à peu près à contrôler le tout. Je l'attrapai sous les bras sans ne lui demander d'avis, et la reposai tant bien que mal sur sa chaise, lui sommant de ne plus bouger. Bon, forcément, j'étais morte de rire, et elle n'avait pas l'air d'avoir si mal que ça. "La mienne, tu paieras la tienne plus tard !" A condition que l'on ne se foute pas sur la gueule dans les dix minutes qui allaient suivre. J'étais à nid à problèmes, surtout lorsque j'avais bu, mais j'avais confiance en cette fois-là. D'autant plus qu'elle avait l'air sympathique, et pas du genre à chercher les noises pour peu que l'alcool vienne à monter.

Je partis chercher deux verres d'un mélange que je ne connaissais pas encore. Les deux même, avec forcément de la Vodka dedans. Un cocktail sans Vodka n'était pas un bon cocktail. Selon mes critères, et selon celui des gens qui avaient du coup par conséquent. Je déposai les deux breuvages pétillants d'une couleur rosée sur la table, et approchai ma chaise de la sienne afin de pouvoir discuter plus tranquillement, de peur de trop hausser la voix par mégarde. "Voyons ceux-là !" lançai-je tout en me frottant les mains. Passant ma langue sur mes lèvres afin de les humecter, je partis à la découverte des nouvelles saveurs de ce verre, et me retrouvai propulsée à quelques années-lumières d'ici. "Wouahou !" Délicieux. Reprenant un minimum mon sérieux, je resongeai à l'offense faite quelques instants plus tôt, et reposai le contenant d'alcool. "Sinon, je sais très bien que tu n'es pas comme n'importe quel humain lambda. On s'est croisée de nombreuses fois dans des boutiques spécifiques, et tu prenais pas des souvenirs de vacances comme ils aiment faire !" J'haussai les épaules, vestige de mon mois passé dans un petit pays dans l'ouest de l'Europe, et continuai ma tirade. "Et puis même, ça... Se sent." Je fis un geste de la main droite en nous désignant l'une après l'autre. Je pouvais sentir son énergie magique sans pour autant qu'elle déferle autour d'elle, mais je savais reconnaître une sorcière. Enfin, quand je me concentrais un minimum, je n'en avais pas l'habitude, et ne prêtais que très rarement de l'attention à ce genre de détail, préférant vivre ma vie tranquille dans mon coin. Même si je sentais que ça n'allait pas beaucoup rester le cas.

« Hey ! » Je pouffe de rire alors que ma compagne m’aide à me relever et lui offre un sourire reconnaissant. « La mienne, tu paieras la tienne plus tard ! » Je hoche la tête, pas contrariante. On me paie à boire, je ne vais pas me plaindre ! Enfin de nouveau assise sur ma chaise (et un peu trop pompette pour rester plus d’une minute sérieuse), je pousse un cri de joie en voyant Lexy revenir avec des cocktails trop mignons, roses et pétillants. Je bats des mains comme une enfant, me fichant pas mal de l’allure que je peux donner. J’ai une réputation de blonde futile et stupide à sauvegarder que diable ! « Voyons ceux-là ! » déclare ma compagne en me tendant mon verre. Je m’en empare et en avale immédiatement une gorgée. « Wouahou ! » « Wouahou ! » je répète d’un air extatique.

Ce truc est une tuerie. Un mélange à base de vodka et d’autres trucs qui devraient être interdits par la loi tant c’est bon et tant ça monte à la tête. « Sinon, je sais très bien que tu n'es pas comme n'importe quel humain lambda. On s'est croisées de nombreuses fois dans des boutiques spécifiques, et tu prenais pas des souvenirs de vacances comme ils aiment faire ! » Je reprends une mine un peu plus sérieuse (ou un peu moins crétine, au choix) et offre un sourire joyeux à ma compagne de beuverie. C’est vrai que quand je débarque à l’herboristerie du coin ce n’est pas pour acheter deux grammes de gingembre pour bricoler une potion aphrodisiaque ! Stefan n’en a surtout pas besoin (déjà qu’il est épuisant en temps normal, alors je ne l’imagine pas sous l’effet d’une telle potion) et je préfère largement faire des choses plus compliquées et plus utiles.

« Tu t’y connais on dirait… tu as tes petites recettes préférées toi aussi ? » je fais avant de reprendre une gorgée de cocktail. « Et puis même, ça... Se sent. » Je hoche la tête, un peu plus sérieuse que d’ordinaire. Il est vrai que si l’on ne cherche pas spécialement à dissimuler notre énergie, nos pairs peuvent savoir qui nous sommes assez facilement. Or en tant que vieille peau paranoïaque d’une autre époque j’ai plutôt tendance à cacher mon aura et seuls quelques sorciers plutôt puissants, anciens, expérimentés ou particulièrement doués parviennent à la déceler. « Touchée. » je murmure en la fixant dans les yeux. « Tu m’as l’air d’être particulièrement douée pour repérer tes semblables. Et paradoxalement tu as l’air tellement jeune… Pardonne ma curiosité mais… tu as un mentor ? Ou quelqu’un qui t’a enseigné à utiliser tes dons ? »

Immédiatement je pense à Stefan qui serait sûrement ravi de compter cette petite parmi notre cercle, puis à Aphrodite qui serait immédiatement folle de cette jeune femme qui semble autant aimer l’alcool qu’elle. Isis resterait certainement à l’écart, comme d’habitude, avant de se laisser apprivoiser, mais ne résisterait pas à ce rat absolument adorable. Ma sœur a un gros faible pour les animaux. « Dis-moi, tu connais d’autres sorciers par ici ? » Quoi ? Je me renseigne en toute innocence ? Et puis après deux morts j'ai appris à être prudente, mais avec davantage d'alcool que de sang dans les veines.

Je ne pus réprimer un gloussement lors de sa question. Si j'avais mes petites préférences ? Ça... Ma génitrice passait littéralement tout son temps à concocter des potions de toute sorte, et me forçait généralement à participer avec elle histoire de faire mon éducation. Et vu que mon "incapable" de tante n'était plus autorisé à me voir depuis le jour où je m'étais retrouvée dans un état pitoyable à ses cotés, lors de l'année de mes seize ans, je n'avais plus que cette voie magique. Je me voyais bien me défendre en jetant une tube à essai sur un vilain vampire, mais je n'avais pas eu le choix lors de mon emprisonnement de trois ans, avant de trouver une faille dans sa foutue barrière afin de pouvoir m'enfuir. Finalement, je me rendais bien compte de mes lacunes par rapports aux autres sorciers dans la plupart des domaines, notamment d'attaque et de défense. Et je ne voyais pas beaucoup d'intérêt à réellement m'y remettre, tant que je restais dans mon petit coin, tranquille, sans ne me mêler de la politique de la ville. "En fait, je sais surtout faire ça, des potions. Et des petits trucs à coté... Mais ce que j'aime le plus, c'est me déguiser", fis-je d'un ton jovial. Changer mes yeux de couleur, mes cheveux, ma morphologie, tout. Enfin, je ne les avalais pas, mais transmettais le pouvoir final dans une amulette que je n'avais plus qu'à porter. Pour ce qui était du reste, j'avais mes propres petites recettes pour me faciliter la vie de tous les jours.

Je terminai mon verre d'une traite, sentant les vapeurs de l'alcool me monter instantanément à la tête. Si les quelques secondes auparavant j'étais joyeuse, là j'étais complètement ivre. Sauf que je venais visiblement de brasser un point sensible, vu l'air sombre que ma comparse prit soudainement. Il fallait que je me concentre, que je me laisse encore cinq minutes avant de tomber dans les affres du grand n'importe quoi. Je sentais le sang me monter à la tête, mes pommettes prirent feu, brasier ardent retranscrit dans le rouge intense qui colora mes joues. J'avais chaud, soudainement, beaucoup trop chaud. Je pris une profonde inspiration tout en m'écroulant à moitié sur la table, faisant tomber mon verre à terre, qui ne se brisa heureusement pas. Une serveuse qui passait à coté pesta, le ramassa, puis partit sans ne faire de remarque supplémentaire. Ce qui me fit éclater de rire au premier abord, puis les paroles de la sorcière me revinrent en tête. "Question d'habitude" répondis-je tout en haussant les épaules, achevant de me calmer de rire. Je m'approchai d'elle afin de pouvoir baisser d'un ton, et ne pas risquer que quelque chose d'étrange tombe dans les oreilles d'un humain. Même si la plupart devaient véritablement trouver les lieux bizarres, et que seuls les geeks fana de surnaturel devaient trouver l'endroit intéressant.

"En fait j'bosse dans un garage, et beaucoup de mes collègues sont des lycans. J'arrive à reconnaître à peu près un des leurs quand j'en croise un désormais, et j'imagine que ça a dû affiner un peu mes sens..." Nouveau haussement d'épaule, suivi d'une moue un peu plus gênée. "J'suis pas spécialement douée sinon. Je tente de rester en dehors des histoires, je fais ma petite vie tranquille dans mon coin et personne vient m'emmerder, pour le moment... Et j'espère que ça va continuer comme ça. Fingers crossed !" achevai-je, joignant le geste à la parole, croisant mes doigts. mes pensées s'emmêlaient, et mes yeux ne demandaient qu'à se fermer. Pourtant, je les fis taire mentalement, et continuai la suite de ma réponse. "Quand j'étais en Russie, ma tante m'a surtout apprendre à me défendre... Mais je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de m'améliorer, ma mère m'a rendue captive, et j'ai dû surtout me résoudre à l'art des potions pendant trois ans, jusqu'à mes dix-neuf ans." Généralement, je ne parlais jamais de moi, n'aimant pas cela. Mais là, comme la plupart des autres fois où cela arriva réellement, j'étais sous l'emprise de quelque chose, comme l'alcool.

J'humidifiai mes lèvres, passant ma langue entre elles. "A part toi du coup maintenant, et quelques autres croisés ici et là, non. J'ai de la sympathie pour quelques uns, une grande amitié avec un aussi marginal que moi, mais rien de plus. J'aime ma tranquillité." Je contemplai le fond de mon verre vide, avec un vague pincement au cœur. Verre plein, je te vide, verre vide, je te plains. "Et toi alors," fis-je en reportant soudainement mon attention vers la bimbo d'apparence, "qu'est ce que tu caches dans les tréfonds de ton âme ? Tu m'as l'air assez soucieuse par rapport à ça... Je doute que tu sois aussi stupide que tu tentes de le faire croire." Puis je me mis à agiter mon verre vide sous son nez. "Ton tour, ta tournée !" Ma bonne humeur était revenue comme par magie, et les traits de l'inquiétude s'en étaient allés de mon front.