Devant un tel spectacle, je restais figée. Jamais encore je n'avais vu aussi belle créature. Fière, majestueuse. Dans la lumière de fin du jour sa toison rousse, comparé au reste de son corps blanc et immaculé, paraissait être enflammée. La belle restait, elle aussi, immobile, me fixant de ses yeux noirs. A ce moment-là, j'aurai aimé me faufiler dans son esprit et comprendre ce qu'elle tentait de me dire, car c'était ça, nous communiquions silencieusement.

D'un signe discret mon père m'indiqua qu'il était temps, lentement je relevais mon arbalète visant son flan, là où palpitait son coeur et tirais. La biche s'écroula sur le sol et commença à se débattre, plus aucune fierté, plus rien et je n'avais plus besoin de lire ses pensées pour comprendre qu'elle était tout simplement terrifiée et agonisante. Je m'approchais de ma proie haletante, lui caressais l'encolure et l'achevais.
- Magnifique. Droit dans le coeur.
- Comme toujours papa, tu sais que je suis la meilleur. 15 ans et déjà une tueuse professionnelle !
- Tu as encore beaucoup à apprendre, elle t'a repéré et si ça avait été l'un des chiens, il t'aurait réduite en charpie.
"Les chiens", un doux euphémisme pour parler des loups-garous. Je n'en avais encore jamais vu, je n'étais pas prête à partir en chasse selon lui et ce n'était pas ma mère qui allait le contredire.

Marnie Mackenzie était tout à fait contre le fait que moi, sa petite fille chérie, puisse être mêlée à cette tâche qui risquait déjà de lui faire perdre son mari et son fils ainé. Elle avait littéralement explosé le jour où il m'avait mis mon premier fusil entre les mains, mais la tradition familiale avait eu raison de ses arguments.
C'est donc ainsi qu'à douze ans j'ai commencé à apprendre l'histoire des chasseurs de créature des ténèbres et l'art de la chasse.

Les Mackenzie sont les descendants d'une vieille famille de chasseurs de Loup.
Arthur Mackenzie quitta son pays natal lorsque l'Acadie (ou la Nouvelle-Écosse) fut cédée à la couronne anglaise, pourchassant un spécimen qui l'avait beaucoup intrigué, un jaguar, à la fois différent des loups par leur hiérarchie et mode de vie, mais comparables dans leurs caractéristiques. La bête abattue, Arthur demeura en Nouvelle-Écosse et se maria à une Acadienne. Mais en 1755 le "Grand dérangement" obligea Arthur et sa nouvelle famille à fuir le pays pour se réfugier en Louisiane.

Je suis née à Lafayette, je suis donc bilingue comme beaucoup dans la région. J'y ai eu une enfance et une adolescence équilibrée sur le rythme de la vie acadienne. Pour dire vrai la chasse et la fête ont toujours été plus importantes que mes études que je quittais dès que possible. Je n'en avais pas besoin puisque je comptais reprendre l'armurerie de mon père avec Sam, mon ainé de six ans.
Lorsque je fus prête pour ma première chasse au loup, j'avais 17 ans, il m'offrit une Excalibur Emomax, l'une des plus puissantes arbalètes récurve sur le marché, ainsi que des flèches dont la particularité était leurs pointes, bien entendu, elles étaient en argent. Leur reflet sous les rayons de la pleine lune était comme le message flamboyant d'une mort certaine pour mes proies.

Durant ma "formation", j'ai vite développé une préférence pour les arbalètes, en raison surtout de l'absence de recul et de son silence, beaucoup diront que son efficacité est moindre si l'on ne transperce pas les organes vitaux et qu'un fusil est préférable, mais pour tuer un lycanthrope il faut obligatoirement transpercer son coeur, ce qui fait que le fusil acquière la même faiblesse.
C'est donc avec mon Excalibur sur le dos que je me préparais à affronter mon premier loup. Mon père et Sam le surveillaient depuis plus d'un mois et avaient repéré ses habitudes nocturnes.
- Pourquoi on ne s'attaque pas à lui quand il est humain, il serait moins dangereux.
- As-tu oublier tout ce que je t'ai appris Hale ? D'une ils ont seulement l'air moins puissant, de deux, il est assez difficile de connaitre l'identité humaine d'un chien humain et de trois imagine si l'on s'était trompé et que l'humain qu'on a suspecté n'est pas un chien en réalité. Notre chasse ne doit jamais, au grand jamais affecté un humain, tu entends.
J'acquiesçais et montais à l'arrière du pick up. Nous prenions la direction du bayou queue de tortue, à l'ouest de la ville, mais ce n'était apparemment pas notre destination finale. La route devint impraticable, je sautais donc du véhicule, vérifiais mon équipement et nouais mes cheveux à l'aide d'un bandana. Puis regardais les arbres immenses sous les rayons de lune.
- Prête Hale . T'as peur.
Sam me regardait avec son sourire en coin que je détestais, pour toute réponse je pris mon arbalète et chargeais mon premier carreau. L'orage de la veille était à la fois une bonne et une mauvaise chose, une bonne parce qu'il rendrait les traces du chien plus facile à suivre, mais qui rendait notre progression à travers la végétation plus pénible.
D'un geste, le patriarche nous stoppa, il avait repéré la piste. Nous la suivions depuis une demi-heure quand la proximité de notre proie devint évidente. Avec l'agilité d'un chat je grimpais sur les branches basses d'un arbre, une fois calée je regardais à travers la lunette à vision nocturne de mon arme et épiais le moindre mouvement.
J'entendis un premier coup de feu suivi d'un hurlement sauvage, la bête avait été touchée, mais je ne les avais pas dans mon champ de vision, le coeur battant je ne bougeais pas, prête à décocher, mais un grognement suivi d'un autre cri, humain, déchira l'air. Je sautais de mon perchoir en direction des nouveaux coups de feu, je retrouvais rapidement l'origine des hurlements. Sam gisait au sol aux côtés d'une masse de fourrure sanglante pendant que mon père et un deuxième chien s'entre-tuaient. J'épaulais mon arbalète et visais entre les omoplates du lycan, enfin j'essayais, je tirais. Le carreau pénétra la chair de l'animal qui hurla de douleur et de rage au contact de la pointe d'argent, mais j'avais loupé le coeur d'une bonne dizaine de centimètres.

Le chien se retourna, l'éclat de ses yeux me fit penser que cette expression de "chien" était tout à fait inadéquate, jamais un chien, même dangereux n'avaient ce regard sauvage et meurtrier. Je rechargeais une autre flèche le plus rapidement possible, pendant qu'il s'approchait rapidement de moi, puis tirais une deuxième flèche qui lui déchira l'épaule. Voyant ma mort certaine, je me mis à courir en rechargeant mon arme. Je pensais que tout était fini, mais quitte à mourir je le ferai en affrontant le loup. Je me retournais et décochais la pointe d'argent. Ce doit être ce genre de choses que l'on appelle la chance du débutant, à moins qu'il ne s'agisse seulement de l'instinct de survie, car j'avais touché le coeur. Je retournais auprès de mon père, il avait été blessé à la jambe et gravement mordu à l'épaule et son bras ballottaient à chacun de ses mouvements, comme le membre d'un pantin ayant perdu ses fils, je pris son bras valide et le passais sur mes épaules, mais il me stoppa :
- Occupe-toi de ton frère on ne peut pas le laisser là ? Je me débrouillerai.
J'obtempérais sans discuter, même si la tâche de supporter un poids mort largement supérieur aux miens à travers la végétation était loin d'être aisée, surtout que mon arbalète m'encombrait. Ce n'est qu'après avoir marché plus de deux heures que nous avions rejoint le pick up

Quelques jours après les funérailles de Sam, mon père me conduisit dans le bayou, il immobilisa le bateau dans un coin que je connaissais bien, parce que personne d'autre où les chasseurs d'alligators ne s'y aventuraient et à cette époque de l'année, la chasse était interdite.
Je me reculais le plus possible et attendis que le bateau se stabilise. La détonation réveilla les alligators qui dormaient paisiblement, ainsi que plusieurs oiseaux qui s'enfuirent à tir d'ailes. Le corps s'enfonça dans l'eau et je redémarrais le bateau. Voir les caïmans déchirer son corps aurait été de trop.
Je rentrais directement, dans le salon je croisais le regard de ma mère en larmes et montais directement dans ma chambre puis me couchais sans prendre la peine de me déshabiller. Le colt aux balles d'argent sous l'oreiller. Habitude qui ne me lâchera plus.

Les jours qui suivirent je supportais de moins en moins la foule, j'avais l'impression qu'un brouhaha m'emplissait la tête dès que j'étais en présence d'autres personnes et me donnait des migraines horribles. Je me réfugiais dans les bois, chassant des loups-garous ou du vrai gibier lors des périodes légales de chasse.
Je pensais devenir folle, mais je finis par comprendre que ces voix étaient réellement là, qu'elles n'étaient autres que leurs pensées. Il me fallut encore plusieurs années pour contrôler mon esprit, encore aujourd'hui cela me demande quelques efforts, mais j'ai ainsi pu reprendre une vie sociale et recommencer à sortir m'amuser.

C'est Katrina qui me vola tout ce qu'il me restait. Je n'avais réussi à sauver que mon Excalibur et mon python, les seules choses qui étaient à m'ont portée en permanence. N'ayant plus rien et les tensions entre ma mère et moi, devenues insupportables, je quittais la Louisiane pour la Californie où je restais deux ans, après avoir finalement décidé de recommencer une nouvelle vie à la Nouvelle-Orléans.
Je me fis facilement embaucher à l'armurerie "Guns & Blades" non seulement grâce à mon expérience dans la boutique de mon père, mais surtout en faisant comprendre au patron ce que j'étais et les dons que je possédais.
Cette ville n'était pas si différente de Lafayette, mais elle était bien plus fascinante en ce qui concerne les créatures ou la magie. J'appris beaucoup sur les races qui m'étaient inconnues ou presque et commençais à chasser toutes sortes de nuisibles.