Aujourd'hui, je m'ennuie et puisqu'il parait qu'il est bon, parfois de se remémorer sa vie pour faire le point, c'est ce que je vais faire. Je n'ai pas l'habitude de parler de moi et ce que je vais écrire ici, personne d'autre ne le sait. Je suis né à Berlin en 1910, dans une époque plutôt sombre d'avant guerre. En fait, j'ai assez peu de souvenirs de cette période, j'étais très jeune et tout ce qui se passait me semblait assez lointain pour que je ne m'en préoccupe pas. Pourtant, j'ai vécu la disette avec ma mère jusqu'à ce que mon père rentre à la maison, la défaite de l'Allemagne sur le dos. Je me souviens que le sentiment d'injustice était ce qui m'emplissait le plus. Nous avions perdu, mais on continuait de nous faire payer le prix de la défaite longtemps après. Nous avions toujours aussi faim et cela ne semblait pas aller en s'arrangeant. Je ne sais pas si c'est parce que je grandissais, mais la situation me paraissait plus critique chaque jour. Peut-être l'était telle. La première guerre mondiale avait crée énormément de morts, la disette planait sur le pays et en parallèle, le chômage gagnait de plus en plus de personnes dans le pays. L'avenir était incertain pour tout le monde.

Pourtant, à cette époque, l'émergence du parti nazi faisait du bruit. À cette époque, l'opinion était encore très mitigée, mais mon père lui ne doutait pas. Pour lui, cela ne faisait aucun doute, Hitler était la solution à tous nos problèmes et je n'ai pas tardé à rejoindre son avis. Les années qui suivirent sont plus floues dans ma mémoire, j'ai fait mon service militaire tout en suivant l'ascension lente du Führer. Peut-être que je ne vois plus la chose de la même manière maintenant que j'ai du recul. Ce que je pense avoir vécu et ce que j'ai vécu est surement très différent, mais qu'importe au fond. C'était une bonne période, bien qu'elle soit dure.

Ce n'est que qu'un peu avant janvier 1933, avant la montée au pouvoir de notre guide, que la vie s'est accéléré pour moi. Dans un meeting, j'ai rencontré Anna. J'étais un jeune homme en pleine santé et j'avais des envies bien précises la concernant. Finalement, nous nous sommes revus, encore et encore. C'était une femme de caractère pour l'époque, elle avait des idées et l'assumait fièrement. En plus de cela, elle était belle comme un coeur. Elle m'a apporté toute sa douceur et sa patience. J'en suis tombé complètement fou. Nous nous sommes mariés juste avant que la guerre ne commence. C'est Himmler lui-même qui m'avait conseillé cette initiative. Il avait fait vérifier la généalogie d'Anna et avait déclaré qu'elle serait une très bonne femme. Ho oui, j'oubliais, entre temps, j'avais aussi monté les échelons d'un point de vue professionnel. J'étais maintenant dans la Schutzstaffel, la garde rapprochée d'Hilter ne comptant qu'une élite de membres.

Il est étrange de voir qu'aujourd'hui, nous les SS avons encore un nom qui impose le respect. Cela dit, je ne pense pas que beaucoup de mes camarades puissent le remarquer à l'heure actuelle. De fil en aiguille, je suis devenu SS-Totenkopfverbände du camp de concentration de Dachau. Anna n'était pas très heureuse de devoir quitter Berlin, mais le devoir m'appeler et elle le comprenait. Cela n'a pas été simple, c'était un travail auquel on n'est jamais préparé au début. Moi qui pensait que j'avais suivi un entrainement qui m'avait endurcit pour en être arrivé là, je n'étais pas au bout de ma peine. La tolérance n'était rien d'autre qu'un signe de faiblesse et un bon partisan ne serait jamais faible, il s'endurcirait pour servir son Führer. Les premiers mois furent pour moi terrible. Faire constamment preuve d'une dureté absolument implacable était un véritable effort sur moi-même. Évidemment, c'était dur pour ses hommes prisonniers, mais cela leur offrait l'occasion de réfléchir à leurs motifs d'inculpation et de revenir dans la bonne voie par la suite.
En 1942, je suis passé à l'étape supérieure avec le camp de Treblinka. C'est à ce moment que les choses ont commencé à s'effondrer pour moi. Nous avions de très bon rendement sur le camp et j'étais chargé de la garde de nuit de celui-ci. Veuillez à ce que personne ne sorte ni ne rentre dans le camp était assez simple jusqu'à ce que nos gardes se fassent attaquer. Souvent, on entendait tout juste un cri à l'autre bout de la zone pour ne retrouver qu'une casquette au sol. Évidemment, nous nous sommes tous dit que des soldats devaient être embusqués dans les alentours et voulaient venir délivrer les prisonniers. Jusqu'au jour où nous avons surpris l'un des agresseurs... C'est le souvenir d'humain qui est le plus frais dans ma mémoire alors que paradoxalement, c'est l'un des plus brefs.

J'étais haut perché dans une tour, jumelles à la main pendant que tous les projecteurs dont nous disposions étaient en stand-by. Nous voulions allumer tous les phares simultanément au premier cri pour débusquer enfin nos attaquants. Nous avions gardé les lumières habituellement présentes sur le camp et agissions comme à l'accoutumé. Je passais le temps en regardant l'horizon, à la recherche de quelque chose d'étrange. Je ne fus pas déçu, car effectivement « quelque chose » était passé devant mes yeux et le temps que je retire les jumelles de mes yeux, la créature était déjà partie avec sa proie. Quelques secondes plus tard, nous entendions un cri de l'autre côté où un second soldat avait été emporté. Nous n'avions rien vu venir...

Il fut décidé qu'on attacherait des prisonniers à la clôture pour voir ce qu'il adviendrait. Ils furent tous épargné, mais les créatures prirent plus de gardes qu'à l'accoutumé cette nuit là. Dans les rangs, la panique était palpable. Les prisonniers qui avaient servi d'appât furent tué pour qu'ils ne révèlent pas l'incident à leurs congénères. Les créatures ne voulaient pas n'importe quel gibier, elles voulaient des soldats allemands... Parfois, en journée, nous retrouvions des cadavres dont le cou était à moitié arraché à quelques kilomètres du campement. C'était complètement incompréhensible.

Un jour, ce qui devait arriver arriva. Malgré une vigilance renforcée, ce fut mon tour d'être attrapée par la bête. Au début, je sentis juste quelque chose m'attraper par le col et me lever du sol pour aller dans un lieu inconnu. Il m'amena dans une grotte et sans autres préliminaire et se jeta sur moi pour me vider de mon sang. Je ne me souviens pas avoir eu le temps d'éprouver autre chose que de la peur. Toujours est-il que je me croyais mort et que mon cauchemar commença à cet instant. Je ne pense pas qu'il y ait, de mémoire d'homme, une souffrance plus affreuse que la transformation en être de la nuit. Mon corps se déchira, se brisa, se dépeça, se brûla, se congela et finalement s'arrêta. C'est très étrange de vivre dans un corps a priori mort les premiers instants. Mon maître m'expliqua brièvement la situation, son compagnon de route l'avait abandonné pour d'autres horizon, alors il avait voulu le remplacer et la solution la plus rapide rester de créer son infant. Pendant une semaine, il m'expliqua les bases, comment se nourrir, comment chasser... Contrairement à beaucoup d'humains, je n'ai pas trouvé cela totalement infaisable et immoral. Une poule ou un humain, ça reste un bout de chaire...

Au bout de cette semaine d'apprentissage, il me renvoya au camp de Treblinka, où j'ai expliqué mon absence par une histoire assez abracadabrante mais vraisemblablement assez crédible puisque je fus réintégré sans être davantage enquêté. Mon maître chassé comme à son habitude, tandis que je prenais parfois la vie d'un ou deux prisonniers qui ne manqueraient à personne. Je me nourrissais principalement grâce à Anna. C'est un passage qu'il m'est assez difficile de poser sur papier. Je me suis servis d'elle comme poche de sang jusqu'à l'arrivée de l'armé russe. Chaque jour, au crépuscule, nous nous réveillons avec mon sire (nous nous étions installés dans la cave), je satisfaisais ma soif grâce à Anna et mon maître l'hypnotisé pour lui faire oublier l'incident et remplacer ses souvenirs de la journée. Sans cela, je n'aurais jamais pu avoir une attitude a peu prêt normale durant mes gardes et j'aurais vidé le camps de toute trace de vie.

Quand l'arrivée des Russes s'est faite sentir, nous avons pris la fuite, mon sire et moi. Il m'a dit qu'il avait laissé Anna avec des gens de son espèce, que c'était mieux, qu'elle me croyait mort dans un combat face aux Russes... Maintenant, je suis pratiquement sûr qu'il l'a tué pour qu'elle ne puisse rien dire une fois loin de ses hypnoses quotidiennes. À l'époque, j'avais trop faim pour me souvenir de mes sentiments, ce n'était pas quelque chose dont j'avais vraiment conscience. Je sais bien, aujourd'hui, que j'ai tout perdu en la perdant elle.

Suite à cela, nous avons voyagé un peu partout en Europe, alternant les cultures au fil des conflits et de l'économie. Je ne suis plus jamais retourné en Allemagne, mon sire à toujours soigneusement évité cette destination et je ne me voyais pas protester. Pourtant, mon pays et cette époque me manquent. En fait, les années qui suivirent avec mon maître furent plutôt bonne, je ne peux pas le nier, mais cela semble tellement fade par rapport à ce que je ressentais humain. Je sais pourtant qu'au début, j'étais émerveillé par mes capacités, par ma nouvelle nature, par mon intemporalité, par le magnétisme que je dégageais. Paradoxalement, en faisant l'histoire de ma vie, je me rends compte de ce que j'ai perdu, ce qui a sans doute fait de mon inconsciemment ce que je suis aujourd'hui : un homme sombre et renfermé, ne désirant rien d'autre que la chasse et le frisson de la guerre.

Le constat est bien triste ! Ce n'était pas une bonne idée de faire cette « autobiographie » mais ça sera toujours un bon combustible pour cheminée.