• HISTOIRE ;

Allez Madame, poussez encore !

Qui n’a jamais entendu cette phrase lors d’un accouchement ? Elle est si ordinaire… C’est d’ailleurs la seule chose de banale qui me soit arrivée.

C’est bien Madame, respirez à présent, il est sorti. C’est un beau garçon.

D’après le registre de naissance, je m’appelle Merick Yann David Makeyvael, et c’est la dernière fois que vous entendrez ce nom.

Seigneur, contemple ton nouveau fils. Vois en lui l’espoir d’un monde meilleur et berce-le de ta clémence. Puisses-tu éclairer son chemin lorsqu’il en aura besoin, et le bénir à chaque instant de sa vie. Amen.

La première chose que j’ai touchée ne fut pas les gants en latex d’un médecin ou même les seins de ma mère, mais une croix. Une petite croix en bois que mon père m’avait tendue et mis dans les mains, me donnant une prière de bénédiction. C’est la seule chose que j’ai reçu de lui.


1981 : Story of a poor child.

Je suis né dans une petite ville nommée Round Rock, dans le Texas.
Je ne comprenais pas pourquoi, mais mes parents étaient constamment absents ou occupés. A tel point que c’est ma sœur, Sophie, qui m’a élevé.
A ma naissance elle avait six ans, et elle n’eut pas vraiment le choix d’être ou non une mère pour moi : je semblais ne plus exister pour mes parents au bout de quelques mois seulement.
On dit qu’on ne se souvient de rien de ses premières années. Moi je garde encore très bien ancré dans ma tête cette image de ma jeune sœur, me tenant contre elle en me faisant boire au biberon, me berçant de ses regards dont elle s’efforçait de masquer la tristesse. Elle n’avait pas eu le choix mais cela ne lui paraissait pas être une corvée. Elle m’aimait véritablement et s’est occupée de moi avec le plus grand soin.

Je ne voyais jamais mes parents, et mes nuits étaient toujours dérangées par des bruits suspects. Je ne comprenais pas de quoi il s’agissait, et ma sœur me tenait toujours contre elle pour me rassurer. Ou pour se rassurer… Elle pleurait sans cesse. C’était les seuls moments où je sentais que j’étais plus là pour elle qu’elle ne l'était pour moi. C’était la moindre des choses. Je le lui devais.

Je ne les voyais jamais sauf le dimanche matin pour aller à la messe. Chaque fois c’était aussi brutal : ma mère se souvenait d’avoir un fils et m’habillait à la hâte en me peignant comme un gentil garçon. Je détestais cette coiffure sur le trait mais je ne disais rien. C’était la seule chose que je recevais de ma mère ces coups de peigne. Mon père par contre…

C’était une perte de temps pour moi que de me rendre à l’église. Je détestais le vieux qui parlait et qui se penchait sur moi pour la prière. Il avait vraiment une haleine de chacal ! Et puis j’étais un peu jeune pour comprendre ce dont on me parlait. Jésus avait l’air d’un chic type, voilà tout ce que j’avais compris.


1987 : Story of a weird house.

Six ans après ma naissance, le ventre de ma mère gonflait. Une autre petite sœur, Melly, naquit. J’étais devenu assez débrouillard avec le temps, alors je laissais Sophie s’occuper de Maggie car tout naturellement comme avec moi, mes parents oublièrent l’existence de ma sœur cadette en un rien de temps. Il semblait que cette vie allait durer longtemps. D’ailleurs, je trouvais le temps long.

Mes parents ne nous envoyaient pas à l’école. D’abord parce qu’elle était loin et qu’il aurait fallut y aller seuls. Ensuite, parce qu’ils disaient qu’il n’y avait pas besoin d’un autre savoir sur la voix du Seigneur. Je me gardais bien de répondre que lorsque je voulais lire un livre, le Seigneur semblait être muet pour moi. Du coup je suis resté très longtemps sans savoir ni lire ni écrire, et je dois bien reconnaître avoir encore quelques défauts dans ces compétences écrites. Mais à l’époque cela m’importait peu. Je n’étais pas vraiment confronté au besoin indispensable d’alphabétisation, et je faisais fonctionner mon cerveau sur les images. Ceci explique sans doute cela : j’ai toujours une tendance à extrapoler à partir de ce que je vois.

Sans l’école, je devais passer mon temps à la maison, et à l’église. Je ne savais pas trop ce que je détestais le plus entre les deux. Le choix me fut imposé.


Papa mais enfin tu ne peux pas ! Regardez-vous toi et maman, vous n’êtes même pas capables d’éduquer vos enfants ! Et tu voudrais me faire croire que tu te soucies de son aven…

Silence !

Le bruit puissant d’une gifle infligée à ma sœur me tétanisa. Je me trouvais dans ce qui me servait de chambre à l’étage. J’avais entre mes bras Melly, qui dormait jusqu’à ces hurlements. Pour un bébé elle pleurait très peu. Bien moins que moi d’après ma sœur aînée. Sans doute devinait-elle que ce n’était guère le bon moment pour crier plus fort que mon père.

Il ne peut pas rester sans rien faire !

Et s’il ne veut pas ?

De quoi ? Mon fils, refuser d’être un messager du Seigneur ? Je préférerais qu’il meure !

C’était clair. J’allais passer beaucoup plus de temps en compagnie du vieux qui sent le phoque. Pour moi cela ne revenait qu’à tirer à pile ou face entre un calvaire ou un autre, alors j’acceptais sans broncher. Mais Sophie insista.

Papa, si tu fais de Merick un enfant de chœur je quitte la maison.

Ah ! Mais pour qui tu te prends, gamine ? Tu restes sans arrêt à la maison à ne rien faire et tu crois me donner des leçons à 12 ans ? Et bien casse-toi si tu n’es pas contente ! Allez, casse-toi pour voir ! Tu feras même pas 20 pas avant de revenir en pleurant.

Ma sœur est partie. Elle a fait 20 pas. Elle en a fait plus. Elle n’est jamais revenue.


J’étais seul à m’occuper de Melly. Je n’avais pas d’autre choix que de l’emmener avec moi à l’église du village car seule à la maison… bonjour les dégâts ! Cela ne gênait pas mes parents et moi non plus. Je faisais avec elle ce que Sophie avait fait pour moi ces six dernières années. J’avoue avoir eu un peu de mal au début, mais je pense m’en être pas si mal sortit.

J’ignorais toujours pourquoi mon père avait tant tenu à ce que je sois si plongé dans la religion. J’ignorais également encore pourquoi mes parents étaient si occupés. Tout me fut dévoilé à mes 10 ans.

Dans la famille exorciste, je demande la mère et le père. Et bientôt, le fils.
Voilà à quoi j’étais destiné : chasser les démons de gens qui sont supposés être possédés. Classe non ?
J’ai découvert le pot-aux-roses lorsque je vis mon père devoir faire un exorcisme imprévu dans l’allée de la maison. Il m’a expliqué ce que c’était, ce qu’il avait fait, et que c’est ce qu’il voulait que je sois. J’étais encore jeune alors pour moi, c’était un peu comme être un super héros du bien qui combat le méchant, voyez ? Quant à ma mère, elle aussi était exorciste mais avait un rituel assez spécial : elle s’abandonnait au démon pour le divertir. Je disais ma leçon en répétant que c’était le péché de la chair commis avec plein de types différents, qui plus est avec des démons, mais bien vite on me fit comprendre que les voies de l’église recélaient quelques ombres dans lesquelles les exorcistes baignaient. Je n’ai pas tout compris au discours fumant que mes parents m’ont sorti, je dois bien le reconnaître. J’étais plus resté sur le fait que c’était la première fois que j’entendais mon père sans qu’il crie, et autre chose que des cris suspects de la part de ma mère. Et puis… ça n’avait pas l’air si mal, d’être exorciste. La seule chose qui me peinait était de douter que ma sœur soit vraiment une sœur à part entière. Il y avait fort à parier qu’elle ne soit qu’une demi, fille de ma mère, et d’un démon. C’était peut-être aussi mon cas… Sûrement.

1993 : Story of a sad youth

La routine s’était installée sans que j’y prenne attention : j’allais à l’église avec Melly tous les jours, accompagnés de mes exorcistes de parents seulement le dimanche. Ma vie se résumait à la religion, à nourrir ma sœur et m’occuper de tout le nécessaire pour elle comme pour la maison.
Comme moi, elle devint rapidement très débrouillarde et je crois l’avoir regardé grandir avec un regard paternel. J’étais fier d’elle, vraiment très fier. Vous imaginez vous, votre petite mouflette de quelques années venir vers vous dans un grand sourire pour vous montrer son premier dessin qui ressemblait à quelque chose ? Ou bien aller chercher à la supérette du coin le nécessaire de survie pour la semaine et vous ramener le tout pendant que vous étiez occupé avec le prêtre-phoque ? Ou encore la voir venir avec une feuille toute crayonnée de noir, avec pour seule couleur un grand rond jaune en son centre, et qui, de ses yeux de petite fille innocente, triste mais trop reconnaissante de tout ce que vous faites pour elle pour vous l’avouer, vous dire en vous fixant droit dans les yeux : « c’est toi grand-frère, la lumière ».
J’ai pleuré.
J’ai pleuré parce que ce regard triste méritait d’être ravivé d’une lumière de joie qui nous fuyait. J’ai pleuré parce je me sentais impuissant. J’ai pleuré enfin, parce que je ne savais pas quoi faire. C’est une fillette de six ans que je n’ai pas vu grandir qui ma fichu la plus grosse claque de toute ma vie.
J’ai tout plaqué.


1994 : Story of a dangerous turn

Sans superstition aucune, j’avais décidé de tout plaquer à mes 13 ans. Inutile de vous dire que ce n’est qu’une façon de parler. En vérité, je ne savais même pas moi-même ce que j’entendais par « tout plaquer », mais j’étais décidé à le faire. Au final, la seule chose qui a changé c’est que maintenant, j’allais à l’école. Et pour tout vous dire, c’était plus sur ordre du phoque qui a jugé qu’il était inconcevable pour un ecclésiastique de ne pas savoir lire avec aisance, ou écrire.
Je me suis investi beaucoup pour rattraper un retard dantesque. Apprendre à lire et écrire des années après les autres, c’est vraiment difficile. J’essayais de faire rentrer cela dans ma tête en apprenant à ma sœur un peu de ce que j’apprenais dans la journée. Cela fonctionnait plus ou moins bien : j’étais toujours dernier de classe, mais on notait mes efforts réguliers. Mes parents se fichaient bien de mon bulletin. Eux tout ce qu’ils voulaient c’était que je continue à aller voir le phoque et à être un bon petit serviteur de Jésus qui était pour moi toujours aussi énigmatique.
Je vivais encore sur mon petit nuage du style « exorciste c’est super la classe », mais en vrai, la religion ne m’attirait pas. Je préférais de loin aller à l’école. Quand je pense à tous ceux qui se plaignent d’aller en cours… Qu’ils vivent une vie comme la mienne, si jeune soit-elle, et on en reparlera. L’école, parlons-en maintenant.

Etant dernier de la classe, c’était forcément avec le petit ramassis de « bordéliques » comme on les appelle que je traînais. Au début j’étais un peu tout seul, solitaire. Je bossais en cours et rentrait vite à la maison, puis de plus ils sont venus me chercher. D’ordinaire les types comme eux rackettent et tabassent les types comme moi, mais j’avais autre chose…


Je les avais surprit en train de jouer au baseball. Aucun titre de propriété mais leurs battes suffisaient à comprendre que le terrain était à eux. Ma sœur se débrouillait assez bien sans moi à présent alors ne tenant pas à passer ma vie enfermé, j’ai décidé, un soir, de m’arrêter pour les regarder. Naturellement je me suis fait prendre et après quelques bousculades, il a bien fallu que j’argumente en ma faveur.

T’as rien à foutre là. T’es sur notre terrain, tu piges ? Alors dis-moi pourquoi tu viens te traîner les couilles ici.

Et bien, en toute hypothèse, si ton père avait un tas de dettes impayées pour toutes les soirées bien entourées auxquelles il se livre, et si, pour éviter que sa blonde ne le sache, on avait envoyé un gamin plutôt qu’une fille pour recouvrer l’argent, on pourrait aussi bien dire que tu ne m’as jamais vu ?

Pas de batte, pas de matraque, pas de poing américain… Pourtant je les ai tous laissé sur le cul. On peut dire ce qu’on veut, passer son temps à l’église vous donne du répondant. C’est ainsi que j’ai développé mon don naturel pour l’argumentation. Pas convaincu ? Il vous faut une autre démonstration ? Très bien.


Dans le Texas, et surtout dans les petites bourgades, l’influence du Ku Klux Klan est tout à fait notable. Et puisque mes « potes » rencontrés au terrain de baseball n’avaient aucun avenir sinon dans la violence, par la force des choses je me suis retrouvé en plein dans ce mouvement également. Oh, je ne prends pas défense pour moi-même, j’assume. J’aurai pu ne pas rester avec ces types comme je le faisais de plus en plus régulièrement, mais je me disais que m’endurcir un peu ne me ferai pas de mal, au cas où. Petit enfant d’église travailleur, ce n’est pas très corpulent sans un virage adéquat. J’avais trouvé ce virage.
Je traînais donc, disais-je, avec la jeunesse hitlérienne de Round Rock. N’allez pas croire non plus que c’était par faiblesse. Certes il est toujours bon d’avoir de beaux bébés comme amis mais s’il avait fallut m’ériger contre les violences faites aux noirs, lutter contre la discrimination raciale, je l’aurai fait. Mais je n’en ressentais ni l’envie, ni le besoin. Pour tout dire, bien que je n’aie pas « la peur des étrangers », je comprenais ce sentiment de discrimination raciale. Vous trouvez cela sans doute idiot, mais ne vous leurrez pas. Si un jour les petits martiens débarquaient, vous vous sentiriez en sécurité au milieu d’une dizaine, d’une vingtaine, d’une cinquantaine de E.T ? Non, pourtant excepté de gros yeux globuleux, une tête de Jimmy Neutron et des membres plus fins et plus longs que la normale, ainsi qu’un aspect plus visqueux, sinon rien ne nous différencie d’eux. Un langage peut-être, et combien y en a-t-il de différents sur Terre ?
Vous voyez, si vous pouvez avoir peur d’un extraterrestre, vous pouvez avoir peur d’un noir. Il a simplement l’air plus « humanoïde ». Le racisme n’est pas si immoral qu’on veut le croire, car qui sur Terre ne serait pas d’accord pour annihiler ce qui lui fait peur et ainsi vivre tranquille ? A commencer par ces saloperies d’insectes. Je hais les insectes.

Alors, la démonstration vous a plu ? Peut-être pas. Faire d’un sujet aussi sensible un objet de démonstration d’une faculté à convaincre, j’avoue, cela peut être un peu horripilant. Mais je suis horripilant. Je gêne, je dérange, parce que je ne suis pareil à personne. Mon raisonnement déroute toujours, mes conclusions affolent parfois. Je peux être un bosquet d’épines dans le pied à moi tout seul si l’on est contre moi. Le plus incroyable dans l’affaire c’est que personne ne s’est encore résolu à me tuer pour cela. Qu’importe. Avec ce don je pouvais être un grand avocat, un lobbyiste de renom! Je serai prêtre… Pour commencer. Il était trop tard pour changer à présent.


2001 : Story of a strange nightmare

21 ans. L’âge de raison pour beaucoup s’il en est. Mon virage avait fait ses preuves, et maintenant je m’en éloignais.
Je venais d’entrer dans la paroisse catholique de la ville la plus proche pour y passer mon premier cycle (d’une durée de deux ans) en vue d’être nommé prêtre. Il fallait bien souvent six ans ou plus de séminaire pour accéder à cette fonction. Ayant des parents exorcistes et étant destiné à l’être à mon tour, d’ici encore trois ans, avec un bon piston, je pourrai peut-être m’y mettre avec un accompagnement, et deux ans plus tard être à mon compte. Je dis avec un bon piston car naturellement, j’en ai déjà eu un.
Avant de commencer le premier cycle il faut d’abord être gratifié du certificat d’étude secondaire, qui était loin de m’être acquis vu mes difficultés, et je dois bien le reconnaître, mes fréquentations. C’est peut-être la seule fois où mes parents m’ont vraiment servi à quelque chose dans mes études : peu de gens connaissent la profession d’exorcistes, encore moins souhaitent l’embrasser. L’Eglise a donc fait quelques pressions pour que les formalités soient bâclées et que je puisse sans tarder être intégré. Ceci explique sans aucun doute mes difficultés toujours actuelles.

2001 n’aurait pas été une année qui méritât qu’on y porte attention si elle ne fut pas marquée par un événement pour le moins inattendu : le retour de ma sœur aînée à Round Rock.

Ce fut elle qui m’eus trouvé, moi son petit bébé adoré. J’avais d’abord pensé que, partie à 12 ans seulement, elle s’était bien débrouillée pour être devenue si belle et si bien portante. C’était avant qu’elle ne me raconte ses misères.
La pauvre enfant, naïve, avait demandé hospitalité à pas moins de dix maisonnées différentes dans tout l’état, et n’y avait rien trouvé de plus que de l’exploitation, ou de l’abus. Le couvent ne lui avait guère mieux réussi, car si les bonnes sœurs ne se livraient qu’à des rituels de fustigation, les pères eux semblaient s’adonner de toute la dureté de leur être à l’éducation des jeunes filles -comme des jeunes hommes- à la paroisse.
La pauvre fille s’était par ailleurs trouvée maintes fois violée par quelques aventuriers de passage ou autres hommes très poilus et pour le moins sauvages, bestiaux même.

Je le reconnais, je n’ai pas crut un traître mot de tout ce qu’elle m’a raconté, dès qu’elle eut commencé à mentionner l’existence de créatures chimériques. Je crus que la pauvre femme avait cédé à la folie, mais elle paraissait aussi lucide que moi. J’essayais alors de lui soutirer l’aveu d’une plaisanterie de pacotille, mais elle était également aussi sérieuse que moi. Que pouvais-je faire ? Elle était belle ma sœur, et était venue chercher mon aide, ma présence. Je la lui offris d’aussi près que je pus, et ce fut sans doute, à ce qu’elle m’eut conté, la seule fois de sa vie qu’elle se fut livrée avec délice aux bras d’un mâle.

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Merci! Je ne sais pas si je parviendrai à tenir les délais, toutefois... Mais la première partie est en cours