Chaque jour se ressemble. Les travaux ménagers m’aliènent et me font perdre la raison. Je ne sais plus qui je suis, ou qui j’étais. Je suis « l’esclave », je suis « le bon à rien », je suis…un objet au service de mes maîtres. Je n’ai plus de volonté, et pourtant je continue de me battre, de leur tenir tête. Je veux recouvrer ma liberté, sortir de ces chaînes et de cette muselière. Ils m’ont brisé et me briseront encore…seulement, je n’ai pas dit mon dernier mot. En échange de quelques piécettes, mes parents m’ont condamné à l’Enfer. J’aurais tout essuyé. La ceinture, les fessées, les gifles et maintenant le fouet. Ils ne me briseront pas. Jamais. Jamais je ne deviendrai cendres.

Asher, 12 avril 1358.

Je ne remercierai jamais assez Alexander de m’avoir tué. Désormais, me voilà libre et immortel. Certes, je dois soumission et obéissance à mon maître, mais il me respecte et me traite correctement. Il me nourrit et m’apprend à chasser. Il m’a même acheté des vêtements ! C’est comme si je revivais. Quand je me regarde dans le miroir, je ne vois plus l’esclave crasseux aux cheveux hirsutes. Les soins de mon maître m’ont transformé en un homme charmant, et même si ma musculature suggère mon ancien rang d’esclave, on ne se risque à poser la question. Mes yeux bleus glace me semblent plus froids et percutants. Ma chevelure noire corbeau brille, et ses mèches parfaitement peignées incitent aux caresses. Aucune imperfection ne salit mon visage aux formes anguleuses, au nez pointu et aux adorables fossettes. Seule une marque de morsure orne mon cou. Heureusement, seul un œil averti s’en formalisera. Ma vampirisation n’a pas effacé les traces de fouet présentes le long de mon dos, c’est bien dommage. Mon maître trouve cela très bien. Lui non plus n’hésitera pas à me fouetter, si cela doit m’apprendre les bonnes manières.
Venant de lui, cela devient un honneur.

Asher, le 17 octobre 1360.

J’en voudrai toujours à Alexander de m’avoir infligé une telle punition. D’habitude, il me fouette, me mutile ou m’affame. J’aurais préféré une combinaison de ces trois châtiments, en comparaison à l’infamie à laquelle je suis condamné. Romen, mon bourreau le plus insupportable, m’accompagnera éternellement. Je ne puis déjà plus le supporter, lui et ses remarques à coucher dehors. D’après lui, je suis un monstre, une bête incontrôlable, et je mériterais d’être brûlé vif. Hélas, nous sommes de la même race. Le sang de notre maître coule dans nos veines, faisant de nous des frères. De vrais frères. Ah ! Quelle horreur !
Si seulement je parvenais à soigner mon orgueil, mon goût de la vengeance et mon animalité ! De nombreux problèmes ne verraient pas le jour. Celui-ci en fait partie.

Asher, 4 novembre 1361.

L’eau bénite a sali mon corps, à jamais. Des sillons blanchâtres se mêlent aux marques de fouet et agressent le regard des spectateurs. Je préfère rester célibataire, du moins pour le moment, au risque de dégoûter mon amante. Que puis-je faire, désormais ? J’ai réussi à m’échapper des geôles de l’inquisition, mais je me retrouve à la rue. On me poursuivra encore, et cela n’est plus viable. Je m’estime déjà heureux de ne pas avoir fini comme la pucelle de Loraine, brûlé sur le bûcher. Ce sort m’était réservé, et je l’ai évité de justesse. A moi la liberté ! Encore faut-il la conserver.

Asher, 15 avril 1431, Rouen.