Les cheveux au vent. Comme dans un film, avec dans mon dos, le soleil couchant. Moi, au volant d'une décapotable rouge. Je ris et je respire l'air qui m'arrive à toute allure dans les poumons. Au loin, j'entend comme les rires d'une fille, des rires étranges et délicieux qui tirent plus vers de brefs petits cris. Elle doit sûrement être à l'arrière, et pourtant, je sais qu'elle a de longs cheveux d'un roux flamboyant. Ils sont doux, mais comme collés à son visage. Cette fille est la fois sur la banquette et dans la Lune qui perce dans le ciel. Je la vois partout et nul part à la fois. Tout autour de moi est flou, mais je suis heureux, je suis bien. Comme l'on si bien prédit mes abrutis de géniteurs, je suis le flot de la rivière. Comme en apnée, une sorte d'adrénaline me parcoure l'échine. Tout ce que je ressens, c'est le moteur qui vibre et qui me fait sentir de drôles de sensations.


Pressant ses lèvres contre les tiennes, le lit grince de plus belle, tandis qu'une cascade de cheveux va au rythme de son corps en mouvement, sur ton torse dans un va et vient constant.


Puis je quitte cette route droite et désertique, et me voilà marchant dans une forêt inconnue. Au loin, j'entends toujours cette fille rire si étrangement. Je ne cherche pas à faire taire cette voix, je la laisse faire, car je sais que ça me fait du bien. Au milieu de tous ces arbres, des souvenirs me reviennent. Là-bas, on se tenait, Andrew et moi, cachés au cas où, tandis que les jumeaux faisaient les appâts. Tout devait se dérouler normalement. Je marche, toujours, dans cette forêt. C'était quatre ans auparavant et je m'en souvient encore. Là, Jake et Blake on véritablement servit de nourriture. On avait pas pu tirer nous, à cause des fusils. Cassés. C'est drôle, j'ai beau me remémorer tout ce sang éclaté ça et là et à la place de ressentir un malaise, je suis presque exalté. J'ai vu Andrew se faire décapiter à un mètre de moi, avant que j'arrive à fuir, blessé, mais vivant. Ma première nuit de chasse, à buter les CESS, et me voilà devenu l'un deux.
Mais c'est trop bon, et le souffle me manque. Tout se brouille, encore et encore, jusqu'à entr'apercevoir cette chevelure flamboyante, pour qu'une fois de plus, j'essaye de la toucher.


Un râle rauque se fait entendre de ta part, et l'agitation de ta partenaire semble progressivement se calmer. Quittant sa position à califourchon, elle vient alors se lover contre toi et te susurrer des mots que tu n'entends pas. Les pupilles dilatées, les yeux vitreux, tu es ailleurs. Dans un monde ou ses mèches rousses te fascinent, dans un monde ou tu te noies.


Rouge. Rouge. Rouge. Tout est rouge. Je nage dans cette immensité. Pourtant, il me semble que c'est doux, aussi doux que des cheveux. Et j'ouvre les yeux, et j'aperçois que c'est du sang. Autour de moi, sur moi. Du sang mêlé d'une douce odeur de shampoing. J'aime ça. Depuis ma transformation et la mort de mes cousins, je ne dors plus, je ne mange plus. Je survis comme je peux. J'ai quitté l'Illinois, dans la vieille bagnole ou on s'est trimbalés longtemps, nous quatre. Andrew, Blake et Jake. Sans histoire, sans grandes études non plus.
J'étais aussi le bouc-émissaire de tout le monde. "River's Flow, river's flow.. Sait-il seulement compter, cet enfant ?". Non, je n'ai jamais su compter, madame, mais vous êtes bien jolie dans les sous-vêtements que vous mettez pour rendre visite à mon père. J'étais peut-être arrogant, et même si je le suis toujours, je suis trop camé pour que ça se voit. Je suis passé de Mr. Bout de ficelle à Mr. Muscles aussi. Mais je suis trop camé pour vraiment en profiter.
Avec mes cousins, on s'est arrangés pour faire de la découverte de ces monstres notre gagne-pain. Me voilà maintenant devant le cadavre d'une jeune femme. Ettripée, en plusieurs morceaux. Je pourrais ressentir de la rage, ou de la terreur. Mais je suis à milles lieux de ça. Ses beaux cheveux roux se mélangent si bien avec son sang. C'est beau. Ça a une petite touche poétique, et avant de partir, une fois de plus, je l'embrasse une dernière fois.


Et elle dort, et toi, tu planes toujours. Un sourire mi-terrifié mi-heureux sur ton visage qui, avant d'avoir bu la précieuse drogue, était tellement soucieux de voir la pleine Lune le lendemain. Absent, tu caresses néanmoins machinalement les cheveux de la femme à tes côtés. Le V commence à s'estomper - il faut dire que tu l'as pris trois heures de cela - et loin de toute pulsion, tu te laisses aller dans ta vie passée que tu prends pour un rêve. Comme à chaque fois.


Elle s'estompe, comme le décor autour de moi. Comme un mauvais plateau de tournage, tout fond, me laissant seul, dans un silence assourdissant. Mauvais. Le noir m'encercle, mais soudainement, un spot lumineux est braqué sur moi. Je lève les yeux, je les baisse aussitôt. J'ai froid, je meurs de froid. Oh, je veux mourir, plutôt que de la voir une nouvelle fois. Menaçante, elle plane au dessus de moi. Elle se moque de moi. Ce n'est pas ce rire de femme si présent tout à l'heure. Non, elle, elle n'est rien que le silence, et je sais que bientôt, cette Lune va entendre mes propres grognements. Les poils sur ma peau s'hérissent en y pensant.
Je n'aime pas ça.
Je n'aime pas ça.
Et tout s'effondre.



Tu ouvres et ferme plusieurs fois les yeux. Un creux dans le matelas défoncé t'indique que tu as passé la nuit avec quelqu'un. Le soleil qui transperce les rideaux presque transparents lui te dit qu'il est plus de midi. Qu'il ne te reste plus beaucoup de temps. Une main passe dans tes cheveux, la tienne, t'en rends-tu seulement compte ? Tes yeux hagards se posent partout, cherchant désespérément une échappatoire à ce qui ne peut s'éviter.
Mais non, il y a toujours une porte de sortie. Présente en face de toi, dans cette petite bouteille remplie d'un liquide rouge rubis. Oublier tes responsabilités, oublier tes propres souvenir, ta propre vie. Perdus, c'est avec délice que tu bois cette douce drogue qui t'envoie dans un monde ou tout est beau et lumineux.

Jusqu'à la prochaine dose.